Avoir étudié le grec, ça aide pour faire médecine, mais avoir fait médecine, ça n’aide pas pour danser le sirtaki.
Avoir étudié le grec, ça aide pour faire médecine, mais avoir fait médecine, ça n’aide pas pour danser le sirtaki.
Fine lame à la crapette, je joue au tennis comme un manche. Par ailleurs, mais cela n’explique probablement pas ceci, je porte le nom de l’un des meilleurs couteaux français.
(Merci pour votre temps.)
On s’imite et se copie, tous et sans cesse, mais la reproduction n’est pas parfaite et il y a un petit décalage, un glissement, une différence quasi imperceptible sur le moment qui va en s’amplifiant. Ainsi, sur deux ou trois générations ce glissement devient manifeste, et on s’amuse de revoir toutes nos grands-mères parler, danser, penser de la même façon, mais différemment de nous.
Je me demande qui sont les “décaleurs” ?
Il faut être de son temps. Soit. Le conseil est judicieux, mais à condition de ne pas condamner l’intempestivité des génies, l’anachronisme des agendas papier et le retard des horloges à balancier.
Et plus encore, il faut être de son espace. On sous-estime les liens intimes que choses et êtres entretiennent avec leur espace que l’on prend à tort pour un contenant.
L’homme est bon, je veux dire excellent pour faire le mal.
Profitant d’une matinée de pluie, l’escargot alla visiter le stade d’athlétisme. En passant sur la ligne de départ du 110 mètres haies, il se dit : « Tu peux plus que tu ne penses ; les obstacles sont dans ta tête ; la vitesse est relative. Ose ».
Puis, – zut ! – un généreux soleil réapparut.
– Être veuf, c’est un statut socio-économique avec des droits, des préjugés, des règles, des fantasmes, des codes. Comme être puériculteur ou livreuse de pizzas ou mieux fonctionnaire, car c’est un CDI rarement rompu.
– Quelle honte, comment osez-vous proférer de telles infamies ! On voit bien que vous n’avez jamais livré de pizzas.
Cette pomme a une forme de pomme, se méfia le compotiste.
[Brief an eine junge Möwe]
Chère Mademoiselle Mouette,
Oui je sais, vous ne m’avez pas écrit, vous ne m’avez pas envoyé vos poèmes et vous vous moquez bien de mon avis. “Les leçons, c’est pour les cons, criez-vous, la poésie, c’est tout pourri”. Ça tombe bien, je ne viens parler ni vers ni rime et c’est moins une leçon qu’une hypothèse que je risquerai.
Plutôt que de rentrer en vous-même et chercher à décrire l’intime intouché, ouvrez-vous aux vents errants et dansez vos histoires, car la douce rugosité du dehors, me semble-t-il, n’attend que vos mots. “Mais c’est quoi ton délire, piaulez-vous, tu me prends pour Shakespeare, moi je sais pas écrire et lire c’est encore pire.”
Vous préférez les nouveaux océans de déchets puants aux espaces iodés que des horizons glissants cultivent. Je ne vous juge pas Mademoiselle Mouette. Plutôt, je me demande pourquoi, interminablement, les périples incertains apportent fatigue et joie quand les séjours nourrissent et ennuient. “Que du bla-bla pour intellos, riez-vous, du charabia pour alcoolos.”
À l’évidence, vous goûtez l’assonance, et l’allitération a votre admiration – si je peux m’amuser aussi. Faites si c’est un jeu libre, mais vous savez sans doute que le filet piège souvent le thon et le carrelet quand il manque toujours l’élan et le souffle. “Grand merci pour l’image monsieur pêcheur de mots, vous mettrez au chômage les meilleurs prêcheurs pros.”
Vous êtes légère et insouciante, et me faites rire aussi, mais vous avez raison, Mademoiselle Mouette, et c’est sans doute pour moi que je vous écris. J’ai besoin de vous parler pour mieux m’entendre et me déchiffrer, peut-être. “Vraiment pas tout compris, cher Monsieur de l’Écrit, mais si je vous fais rire, pas besoin de saisir.”
(Décidément, ça ne s’arrange pas ici, pensa Gros Lulu qui passait par là ; il avait trouvé un CDD dans un blog voisin.)
Alors bien sûr, on va finir pas tous se comprendre, plus ou moins, puisqu’on aura une langue commune. Bien, mais pour se dire quoi si on partage aussi la même “culture” ?
L’alternative serait-elle : ne pas pouvoir se dire combien on est différents tellement on l'est ou pouvoir se dire que l’on n’a rien à se dire tant on se ressemble ?
Omne animal triste post vitam praeter bucinum pullumque.
(Je parle du bulot d’élevage et du poussin mâle, bien évidemment, et fais référence, mais cela va sans dire, à la conception nietzschéenne de la vie.)
Dans le Gorgias de Platon, Calliclès dit à Socrate que la philosophie c’est bien quand on est jeune, mais une fois vieux, il faut s’intéresser à des sujets plus sérieux, la politique, par exemple, ou la psychologie. Calliclès a doublement raison.
Qui imagine notre président du Sénat, jeune et svelte comme un Apollon ? Qui irait consulter un psychanalyste de trente ans qui ignore tout de la perversité, de la domination et de la fatigue du désir ? Personne. Ah ! vous voyez.
En outre, la philosophie suppose que l’on sache encore rêver et jouer, que l’on goûte le simple et l’inutile, que l’on préfère construire des cabanes à gérer un patrimoine immobilier. Le philosophe, oui Calliclès a raison, s’est pris les pieds dans le fil du temps et est resté coincé en enfance.
Être réactionnaire : à vingt ans, quelle tristesse ; à cinquante, tellement prévisible ; à soixante-dix, à peine excusable ; à trois cents ans, on s’en fout.
Être révolutionnaire : à vingt ans, un pléonasme ; à cinquante, une farce ; à soixante-dix, un oxymore ; à trois cents ans, un mythe.
Le ressac et la barque sauvent l’océan de la mégalomanie.
En 1790 Kant clôturait sa trilogie philosophique avec sa fameuse Critique de la faculté de juger.
On a retrouvé récemment sur l’un de ses exemplaires une notule manuscrite jamais traduite encore. Je me permets donc d’en donner une version française, la plus littérale possible, en attendant que des germanistes me corrigent.
« Bande de tocards (guignols ou bouffons conviendraient aussi), depuis quand juger est une faculté ? Vous autres hypertrophiés du Ich (au moi obèse conviendrait mais serait retoqué par un sensitivity reader) apprendrez vite que juger est au contraire une infirmité, une impuissance, une incapacité à accueillir. Salut, les atrophiés du bulbe (non, petites bittes n’irait pas ici), et allez bien tous vous faire “faculter” » (jeu de mots intraduisible, néologisme osé ou coquille inopportune ? C’est à tout le moins un hapax dans l’œuvre du philosophe). C’est signé IK (pour Immanuel Kant). Il conviendrait néanmoins que des graphologues vérifient l’authenticité de cet ajout qui tranche, il est vrai, avec le reste de l'œuvre et pourrait être apocryphe.
… terminons par un point qui intéresse les coachs en hygiène alimentaire. Enchaîner plusieurs aphorismes ruine le bénéfice du premier. Comme les pistaches à l’apéritif. Trop de pistaches tuent l'aphorisme.
… ajoutons une autre curiosité qui rend perplexes tous les coachs. Vous sortez souvent indemne d’un roman-fleuve, vous pouvez même en lire un autre dans la foulée ; l’aphorisme, à l’inverse, vous laisse courbaturé du cerveau.
Si le roman-fleuve tient du marathon, l’aphorisme n’a rien du sprint ; ce serait plutôt un footing lent très court – ce qui est absurde, vous confirmeront tous les entraîneurs.
– Aime-toi toi-même d’abord, lui dit Vince, coach en harmonie astrale. Comment veux-tu aimer quelqu’un si tu ne t’aimes pas d’abord ?
– Aime ton prochain d’abord, rectifia Paul, pèlerin œcuménique et apostolique. Comment veux-tu t’aimer si tu n’aimes pas quelqu’un d’abord ?
– Quelqu’un pourrait me passer le sel, synthétisa Gilbert, qui avait encore plusieurs clients à voir pour finaliser leur contrat d’assurance-vie. Comment voulez-vous qu’on s’en sorte si le diesel augmente encore ?
– Mais ça n’a rien à voir, roucoula Piou Piou le pigeon, sans que personne ne l’écoute.
(Comment voulez-vous que l’on se comprenne si personne n’écoute les pigeons.)
J’écris une magnifique histoire d’amour entre deux alpinistes qui s’attaquent à l’Everest.
Il ne me manque plus que la chute.
Cela faisait plusieurs années déjà que je notais ce curieux phénomène : lire, entendre et surtout prononcer le mot grumeaux (fréquent en cette période de l’année) me remplissait chaque fois d’un sentiment diffus et vague de bien-être. Curieux phénomène car le mot est plutôt vilain à voir avec cette interminable et injustifiable finale, il racle la gorge et écorche l’oreille, sa définition ne plaide pas non plus pour lui – substance pulvérulente mal délayée – et ce n’est pas ce qu’il dénote qui pourrait le réhabiliter. Je cherchais vainement à comprendre et ce sentiment agréable se voyait progressivement altéré par l’agacement de ne pas y parvenir.
Et puis j’ai trouvé ! Ce mot fonctionne comme une madeleine lexicale, il me rappelle mon copain Grumaud (on s’appelait par nos patronymes à l’époque) ; on avait dix ans et on formait une équipe redoutable à la tique.
Quel soulagement d’avoir enfin compris. Malheureusement, depuis, ma madeleine a perdu son goût !
Allez ! Une beurre salé-sucre-citron pour compenser…
Et soudain, au détour d’un sentier gris et boueux, le pied fatigué et le dos endolori, je croise une fillette enjouée qui me montre fièrement son bâton : “regarde, c’est drôle, il a une forme de Y !”. Et c’est tout l’univers qui s’éclaire et sourit avec nous.
En devenant vieux, d’abord, on triche sur son âge, puis on l’assume, enfin on le revendique. Pathétique d’abord, puis résigné, on finit crétin.
Selon une étude très sérieuse (cf. Celia Klin, Computers in Human Behavior), un SMS terminé par un point semble insincère. Ponctuer, serait-ce tromper ?
Je ne sais à qui nous devons la ponctuation, mais quels génies ! Quelle sensibilité au détail et quel sens de l’allusion ; le tout avec une telle économie de moyens – sans parler de la dimension esthétique, plutôt réussie.
Alors de grâce, ne faisons pas de ce souffle un carcan, ne transformons pas ce supplément d’humeur en un code de la page. Quelques règles suffisent, pour le reste, laissons faire les usagers et souffrons une certaine licence.
Il m’arrive de mettre un point devant une conjonction de coordination et commencer une nouvelle phrase, donc, par ce qui devrait suivre. Et alors ? Je déteste les guillemets français : « beurk ! » et les remplace souvent par les guillemets anglais “so cute”. Traîtrise ? J’abuse du point de suspension qui mélange le doute… et la malice et des parenthèses qui trouent le texte (et ouvrent sur une autre histoire, comme un trou de serrure coquin). Plus quelques autres délits. Cela fait-il de moi un factieux ?