Il est des voyages qui vous confortent et vous confirment et finalement vous confinent ; d’autres vous confondent.
Il est des voyages qui vous confortent et vous confirment et finalement vous confinent ; d’autres vous confondent.
Si tu ne te déprends pas des sentiments, ils te prendront, mais si tu t'en déprends, ils ne te surprendront plus.
Il est curieux qu’en devenant pluriel, le mot vacance prenne un sens presque contraire : du vide on passe au plein. Plein de choses à faire pendant les vacances, à voir, à manger, à visiter, à acheter et plein de choses à raconter au retour.
Il faut faire un petit effort intellectuel pour entendre le sens initial, mais au pluriel. Mes vacances deviennent alors ces moments d’abandon, de ralentissement, d’oubli, moments où l’on s’isole pour un temps, pensant peu, regardant à peine, n’agissant pas, faisant l’expérience d’une présence au monde quasi animale, végétale même.
Puis on rebranche son moi et se reconnecte à la société.
Il serait prudent que je commence à réfléchir à mes dernières paroles. Ça ne s’improvise pas et il ne faut pas se manquer ; on n’a pas de deuxième balle. Je pensais à un truc du genre « j’avais quelque chose d’important à vous dire, mais là, tout de suite, je ne souviens pas ; allez ! ça va me revenir ».
Je n’arrive pas à savoir si ça amusera ou pas.
Il y a une façon subtile, géniale peut-être, de presque-répéter. Je crois qu’un art original vient se loger là – entre la duplication stérile et l’innovation impatiente.
L’étranger a un charme incontestable, mais qui ne dure pas. Soit il s’adapte, alors il devient fade et ennuie comme les autres ; soit il demeure étrange, alors il inquiète et on le rejette.
– Alors Pierre tu es gentil, ce soir je ne suis là pour personne, je regarde France – Portugal.
– Donc, c’est comme d’habitude ; tu sais d’ailleurs que certains en viennent à douter de ton existence. Bon, ce n’est pas le problème. En revanche je serais curieux de savoir de quelle équipe tu es le supporter parce que c’est un peu Lourdes contre Fatima !
– Tu sais que je suis trois personnes en une, alors, on peut bien se diviser en deux pour un soir.
Je déteste les escalators et tapis roulants et je les évite toujours. D’abord parce qu’ils méprisent nos jambes qui finiront par se venger, mais aussi parce qu’ils n’ont pas évolué depuis leur création et ressemblent toujours à des monstres d’acier aux mâchoires vicieuses.
Mais d’où vient l’expression « une vie de chien » ? Y a-t-il animal, que dis-je être vivant, plus choyé, gâté, considéré ? Une vie de vache ou de veau, oui, de rat, de porc, de poussin, sans doute, de faisan, de bécasse, de thon rouge, d’oie, de pangolin, d’accord, mais pas de chien.
C’est comme si on disait « une vie de panda » ou « une vie de paon ».
Parfois, ça peut sembler très long. Une randonnée, une grève, une nuit sans sommeil, une journée sans sourires, un repas de famille, un film d’auteur, une brouille, une attente aux urgences, une réunion, une maladie grave, une remise de prix, une vie… mais tout finit toujours par finir.
J’hésite sur le pourcentage, mais nous sommes à l’origine d’une bonne partie de nos malheurs.
Et si on essayait de consacrer notre énergie, notre intelligence, notre imagination, notre temps et notre argent à autre chose ?
C’est beau un corps qui s’oppose et jamais ne renonce, une tête droite qui fait front et dit non, regard déterminé, mâchoires serrées, mais je préfère encore le visage qu’un oui joyeux illumine.
– Dis-moi Œuf, tu ne vas pas te décider un jour à éclore et faire quelque chose de ta vie, sermonna Poule ?
– C’est-à-dire que je manque de modèle, se lamenta l’organisme ovoïde.
– Si vous voulez mon avis, proposa Panda, Œuf a une valeur symbolique et à ce titre il échappe au processus aristotélicien de génération et de corruption : œuf un jour, œuf toujours, risquerais-je.
– Non, on ne le veut pas, grognèrent en chœur Œuf et Poule, mais trop tard, Panda était déjà reparti faire des roulades pour amuser les enfants du village.
Sucer, je ne sais, mais citer, c’est bien tronquer, c’est bien tromper. Une double tromperie même, et contre l’auteur et contre le lecteur. Quant aux dictionnaires de citations, c’est un ramassis de tromperies. Détestable.
Certains reprochent à la littérature d’oublier l’homme et le monde, de se réfugier égoïstement dans un ailleurs sans danger et ce, pendant que d’autres, ingénieurs et techniciens, se coltinent le réel.
C’est curieux, j’ai l’impression – mais je ne suis pas très objectif – que c’est l’inverse : je trouve qu’il y a dans le chiffre et la formule, le piston et l’électrode, un déni de réel, parfois même un mépris.
Nos souvenirs ne sont pas posés là, sur l’étal de notre mémoire, comme les tartelettes dans la vitrine de la pâtisserie. Il faut creuser, fouiller d’abord pour ne trouver que des morceaux à rabouter, des formes peu déterminées à remodeler, des textes troués, des images effacées.
La mémoire suppose un travail, celui de restaurateur plus que de gardien de musée, et des qualités, l’imagination plus que la fidélité.
Je trouve que le monde sent de moins en moins.
À voir, à entendre, oui de plus en plus, mais à sentir, non.
– Le Lecteur : Bonjour, je suis lecteur.
– Le Râleur : Merci, je sais lire.
– L. : D’accord, mais on peut être autre chose que son titre, non ?
– R : Peut-être dans le théâtre contemporain, là où l’on veut casser les codes et troubler les genres, mais dans la littérature classique, le lecteur lit et le râleur, râle. On accorde les participes, on n’invente pas de mots et on respecte la concordance des temps. Facile à comprendre, non ?
– L. : Et ça vous convient ?
– R. : Bien sûr que non, c’est râlant. Mais imaginez qu’on me confie un rôle dans un texte contemporain, j’acquiescerais à chaque réplique et m’enjaillerais à longueur de lignes. J’y laisserais mon identité et mettrais en péril ma santé mentale.
– L : Logique. Donc vous préférez être un râleur qui râle.
– R. : Ce n’est pas une histoire de préférence – faut tout vous expliquer, vous – mais de distribution.
– L. : Ah ? Et qui distribue alors ?
– R. : C’est l’auteur. Il compense.
– L. : Pardon ?
– R. : Mais c’est crétin à ce point un lecteur ? Un auteur, c’est un dominé qui se venge sur ses personnages. Soumis dans sa vie, tyran dans ses livres.
– L. : Ça me semble un peu simpliste comme raisonnement. Vous devriez lire Se una notte d’inverno un viaggiat…
– R. : D’abord je ne parle pas espagnol, ensuite, je suis Râleur, pas Lecteur.
– L. : Ça tombe bien, c’est de l’italien !
La joie, écrit Spinoza, est une augmentation de la puissance d’agir. Je ne saurais dire si c’est facile à comprendre, mais sans aucun doute, c’est facile à sentir.
La langue généralise et abstrait et nous prive d’un rapport direct avec les choses singulières : tel galet, qui malgré un nom générique ne ressemble à aucun autre. Mais c’est la langue encore – et ses ressources quasi infinies – qui peut nous sauver de ce retrait et nous rapprocher au plus près de la réalité complexe et mystérieuse.
– Hé hé hé, qu’est-ce que tu essaies de faire, là ?
– Enfin, chérie, tu vois bien, qu’est-ce qui se passe tu n’as pas envie ?
– Ce n’est pas le problème, c’est plutôt qu’on ne rentre pas comme ça. Mot de passe ?
– Non mais c’est quoi encore cette histoire ?
– Mot de passe erroné. Encore deux tentatives.
– S’il te plait, tu ne veux pas arrêter.
– Mot de passe erroné. Plus qu’une tentative.
– Écoute s’il y a un problème, tu m’en parles, mais…
– Troisième échec. Verrouillage.
– Allez ça suffit, tu ne veux pas parler normalement.
– Je ne peux rien pour toi, tu dois appeler le service clientèle pour le déverrouillage.
Mes congénères recommencent à interagir. Ça se frotte et se regarde, ça se sent ; ça parle un peu, rit fort et trinque beaucoup ; ça s’écarte et se rapproche, ça s’attire et se repousse. C’est le sac et le ressac de la comédie humaine.
J’aime bien ce retour sur scène, je suis un inter-acteur correct.
– Est-ce que quelqu’un aurait vu Œuf par hasard, risqua Œuf ?
– Non mais Œuf, s’inquiéta Poule, ça devient pathologique, là ; faut que tu consultes.
– C’est juste que je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, se lamenta Œuf.
– Arrête, je ne sais pas lire, précisa Poule, mais j’ai vu le film.
– Sèche tes œufs… euh tes yeux, enchaîna Panda, tu es l’inattendu, celui qui troue le temps et possibilise le possible.
– ?!
– !?
Je l’ai déjà dit, mais il faut le répéter, la langue n’est pas un moyen de communication, disons pas seulement, pas essentiellement.
C’est un peu comme votre copain, bien sûr qu’il est utile quand il vous fait la courte échelle, mais il est aussi et surtout celui qui vous console, qui vous prête sa bicyclette et partage ses rires et ses bonbons.
(Et donc, qu’est-ce qu’elle est la langue, quand elle partage ses bonbons ?)
Je ne sais trop à qui l’on doit se plaindre, mais il y a quelque chose de complétement raté dans le corps humain, toutes ses parties ne s’usent pas à la même vitesse et cela ne va pas sans entraîner quelques dysfonctionnements au bout d’un moment. Un peu comme une voiture qui aurait des essuie-glaces de Traction, des phares de 208, un carburateur de Dauphine, une calandre de BMW, des sièges de R5, etc.