- L.-G. Décidément ça ne va pas mieux. Que tu soies un parasite superfétatoire, passe encore, que tu joues au Grand Pourvoyeur de Leçons, admettons, mais pourquoi en rajouter avec
l'absurdité, ça devient pitoyable.
- NAN. Parce qu'il faudrait que le non-sens ait du sens ?
- Quel inestimable progrès, nos modernes moyens de déplacement nous mènent très rapidement là où nous voulons aller, ce qui nous permet, une fois arrivés, mais seulement si nous le voulons
- car nous sommes le peuple de la liberté - de repartir plus vite et de revenir plus tôt là où nous étions. Cela rendant possible, si nous le désirons - car nous sommes des êtres
de désirs - un nouveau départ, avancé, ce qui - je fais court - autorise, si nous le souhaitons, car nous...
- Ça va, j'ai compris, espèce de kryptoliberticide. Reste-t-on donc assis, pauvre kyste sans ambition.
- Mais le séjour est-il sans mouvement et la présence sans avenir ?
- NAN (sans un mot, bruyant pourtant, sans un regard, sans un sourire, désireux néanmoins d’aboyer fort et de mordre profond) : …
- LOUIS-GONZAGUE (admirable métaphoricien s’il en fut, comparatiste averti) : Bravo ! tu es tout à fait en harmonie avec l’environnement, en ce lundi matin : pluie grise
et sale, marteau piqueur cynique et pervers ; olfactivement tu aurais pu faire mieux, ton gel douche coco-vanille rend assez mal l’odeur très occidentalo-urbaine qui domine sur la ligne 7.
Madame M. (fraîche et fruitée) : Bonjour monsieur Concept.
Monsieur C. (malicieux et gourmand) : Bonjour madame Métaphore.
Mme (en vers libre) : Madame va bien ?
M. (sceptique mais sans mysticisme) : Je ne sais pas, je suis célibataire et post-systématique. Et monsieur ?
Mme (admirablement néo-lyrique) : Il n’y a pas de monsieur, je suis néo-lyrique et libre-échangiste.
Le Voisin (paternaliste mais sans excès) : Pacsez-vous, vous mutualiserez vos ressources et paierez moins d’impôts.
- LOUIS-GONZAGUE : (faussement inquiet, à la désinvolture sournoise et la sollicitude suspecte) Il y a des jours où je m’interroge, Nan, sur ta santé mentale…
- NAN : (malheureuse victime innocente du vicieux prédateur hypocrite, avec tendresse et ingénuité) Ça c’est plutôt une bonne nouvelle, tu t’interrogerais donc parf…
- LG : (vif comme un félin, habile comme un snipper, efficace comme un court-circuit, précis comme un revanchard) … mais rapidement j’ai la réponse : les psys sont formels on
ne peut être fou et arrogant à la fois, débile et cynique. Tu es sain de corps et d’esprit, c’est ton âme qui pourrit.
- NAN : (pathétique et cohérent, excessif et complaisant) Tu as raison Elgé, mais est-ce ma faute à moi si seuls le malheur passionne et la bêtise fait rire ? Le bonheur des
autres rend triste ou jaloux, leur intelligence fatigue, leur succès agacent, leur santé énerve.
– NAN (se demandant encore, tout en buvant son café, pourquoi quelque chose il y a et non pas plutôt rien ?) : Tiens, Elgé, ! bonjour, où étais-tu ?
– LOUIS-GONZAGUE (à l’excitation périurbaine,remonté comme un tribun, habité comme un militant) : J’étais dans le monde, moi, la vraie vie, les vrais gens, les vrais
mots. Ton blog c’est l’artifice pur, le virtuel frileux, la démission des bavards oiseux au ventre plein ; tu as beau t’inventer des interlocuteurs, c’est le désert, tu n’y es pas même seul, tu
n’y es rien, un non-être dans un non-monde, juste une illusion électronique, pas de visage, pas de regard, pas de voix, pas de mains. Tu n’existes pas, je n’existe pas.
– NAN (se demandant s’il n’était pas déjà un peu tard pour boire du café) : Oui, tu as raison, en un sens, tiens, bois ton non-café, il va être froid.
- LOUIS-GONZAGUE (parménidien par son père, héraclitéen d'adoption, témoignant d’une amicale inquiétude ontologique) : finalement Nan, qui ES-tu in fine ?
- NAN (conscient du caractère eschatologique de l’enjeu, persuadé qu’on ne saurait, sans dommage, différer encore l’interrogationprincipielle) : la question mérite
d’être posée, et je te sais gré, Elgé, de le faire, d’autant que depuis Platon à peu près, elle a été occultée.
–LOUIS-GONZAGUE (un projet de sourire quasi imperceptible au coin des yeux pouvant laisser croire qu’il médite) : Dis donc Monsieur le poëte, tu as pensé à
remplir ta déclaration de revenus ?
– NAN (pris en traître, un peu avant l’heure d’être zen et bien après celle d’être cool) : Humour minable, inculture barbare, indigence pitoyable ?, j'hésite, tu
es chétif et optionnel.
– L.-G. (étanche, persévérant dans son généreux amour désintéressé de l’homme) : Ni l’un ni l’autre, je te provoque, c’est une technique qui vient d’Orient, c’est pour te
faire gagner en sérénité, en abnégation, en magnanimité, en force tranquille et en quiétude forte.
– NAN (décidément peu amène en ce beau lundi matin) : ne touche pas à ma bassesse molle, oublie mon étroitesse fébrile, et puisque tu te piques de prendre soin de nos
âmes, va plutôt acheter le disque du chant des cachalots joyeux après le coït, écoute le, ça détend et rend meilleur, c’est écrit sur la pochette.
- Eux (animés d’une toute chrétienne volonté d’encourager doublée d’unesollicitudebien charitable) : ça n’a pas toujours beaucoup de sens, ce que vous écrivez,
pour autant, c’est parfois assez joli, il arrive même que cela soit un peu amusant. Il faut poursuivre. Si, si, sincèrement.
- Nan (encore plein de l’écho troublant de la Critique de la raison pure qu’il venait de lire in extenso pour la troisième fois) : la pluie toujours descend et
jamais ne monte ; la poule toujours pond l’œuf et l’œuf jamais ne tond la p’louse.
- Eux (hésitant entre la pitié désabusée et la colère aigrie) : c’est vraiment n’importe quoi ! Vous y pensez , vous, à tous ces enfants qui meurent de faim, pendant ce
temps.
- Nan (minimalement) : la faim n’est pas le début.
- Eux (péremptoires, sans appel, mais manquant d’inspiration) : …
– X. (à la dépression sudorale et la sudation cafardeuse) : le beurre pue la transpiration, le monde est moite et rance et ma vie dégorge sa nauséabonde lassitude.
J’espère que ma sœur va appeler.
– Y. (s’étonnant de cet inédit désir de chaleur familiale) : je croyais que vous étiez en froid.
– X. (à l'opportunisme glacial) : justement.
- Eux (insensibles à la force secrète du tout-petit et aveugles à l'ampleur inassignable du presque-rien) : un peu court vot' truc...
- Moi (illuminé par une sérénité mature discrètement patinée d'un élégant agacement) : certes, et néanmoins surdimmentionné au regard de votre néant de commentaire.
NAN, (lyrique et habité) : c'est agaçant de devoir renoncer à passer incognito. J'aurais aimé pouvoir signer mes articles - c'eût été élégant et coquin - en verlan.
LOUIS-GONZAGUE, (jaloux, encore moins célèbre et intellectuellement déserté) : toute façon ç'aurait servi à rien, t'es pas cognito.
NAN, (perplexe, in petto et avec profondeur) : ainsi donc un inconnu ne saurait passer incognito !