Lucette Jeanjean a toujours détesté son patronyme qu’elle juge ridicule. Quant à son prénom, un peu désuet certes, elle a fini par s’y faire, mais tout de même, elle aurait préféré s’appeler Caroline ou Marie-Claire. Mademoiselle Jeanjean habite à Paris, dans le 18ème, au 21 bis rue Neuve de la Chardonnière. Vous l’aurez compris, Lucette, à bientôt 87 ans, est toujours célibataire. Quoiqu’elle n’attende ni n’espère rien, tout peut arriver, répète-t-elle, aussi se tient-elle toujours prête. Prête à quoi ? Mais à l’inattendu, précisément, à l’imprévisible. Le prince charmant – peut-être, on ne peut pas savoir puisque l’imprévisible n’est pas prévisible – ; la mort, bien sûr, elle arrivera certainement et très probablement bientôt ; sa jeune sœur, perdue de vue il y a 75 ans ; le facteur qui lui apporterait une carte postale avec un joli timbre (mais elle ne recevait jamais de courrier, à part de la publicité et son abonnement à Point de vue. Images du monde).
Comme souvent à cet âge, sa vie est précisément ritualisée. Elle se lève toujours un peu avant 7 heures (parfois moins dix, parfois moins le quart). Sans avoir l’usage d’un réveil, ses yeux s’ouvrent d’eux-mêmes, toujours à la même heure, qu’il pleuve ou qu’il vente. Il lui arrive de décaler de trente minutes le lever, les dimanches d’hiver, quand la rue est froide et silencieuse. Elle continue par son petit-déjeuner, toujours le même depuis des décennies : une biscotte sans sel et un bol de thé. Vient alors le moment de la toilette ; il est à peu près 7h30.
Alors commence véritablement une nouvelle journée.