La littérature est l’aveu que la vie ne suffit pas, dit Pessoa, et Netflix, l’aveu que la littérature ne suffit pas non plus.
La littérature est l’aveu que la vie ne suffit pas, dit Pessoa, et Netflix, l’aveu que la littérature ne suffit pas non plus.
[Brief an eine junge Möwe]
Chère Mademoiselle Mouette,
Oui je sais, vous ne m’avez pas écrit, vous ne m’avez pas envoyé vos poèmes et vous vous moquez bien de mon avis. “Les leçons, c’est pour les cons, criez-vous, la poésie, c’est tout pourri”. Ça tombe bien, je ne viens parler ni vers ni rime et c’est moins une leçon qu’une hypothèse que je risquerai.
Plutôt que de rentrer en vous-même et chercher à décrire l’intime intouché, ouvrez-vous aux vents errants et dansez vos histoires, car la douce rugosité du dehors, me semble-t-il, n’attend que vos mots. “Mais c’est quoi ton délire, piaulez-vous, tu me prends pour Shakespeare, moi je sais pas écrire et lire c’est encore pire.”
Vous préférez les nouveaux océans de déchets puants aux espaces iodés que des horizons glissants cultivent. Je ne vous juge pas Mademoiselle Mouette. Plutôt, je me demande pourquoi, interminablement, les périples incertains apportent fatigue et joie quand les séjours nourrissent et ennuient. “Que du bla-bla pour intellos, riez-vous, du charabia pour alcoolos.”
À l’évidence, vous goûtez l’assonance, et l’allitération a votre admiration – si je peux m’amuser aussi. Faites si c’est un jeu libre, mais vous savez sans doute que le filet piège souvent le thon et le carrelet quand il manque toujours l’élan et le souffle. “Grand merci pour l’image monsieur pêcheur de mots, vous mettrez au chômage les meilleurs prêcheurs pros.”
Vous êtes légère et insouciante, et me faites rire aussi, mais vous avez raison, Mademoiselle Mouette, et c’est sans doute pour moi que je vous écris. J’ai besoin de vous parler pour mieux m’entendre et me déchiffrer, peut-être. “Vraiment pas tout compris, cher Monsieur de l’Écrit, mais si je vous fais rire, pas besoin de saisir.”
(Décidément, ça ne s’arrange pas ici, pensa Gros Lulu qui passait par là ; il avait trouvé un CDD dans un blog voisin.)
Il est des mots qui s’exposent, prolixes et ventrus comme des concierges documentés ; d’autres, amers et froids comme des guides de musée, s’imposent.
Rares sont ceux qui se proposent, précaires et incertains comme des visiteurs étrangers, sonores et singuliers comme des danseurs enivrés.
Je suis un grand rêveur à la peau claire et la main faible
amateur pourtant de caramel salé
j’habite un horizon inquiet aux blessures multiples
que de grotesques bananiers font un peu oublier
je me souviens des danses du ventre du feu de la terre
des nuits sans fatigue que la lune approuvait.
Le sang a déserté et les salles d’attente sont blêmes et surpeuplées
parfois j’entends au loin des voix des cris des chants aux accents bigarrés
que le désordre est beau quand il n’est pas honteux
que la folie est douce quand elle est sans douleur.
Mais que valent ces mots furieux qui tempêtaient comme des héros d’époque sur les crêtes éblouies de la nuit et que le froid blafard du matin tait et fatigue misérablement ?
Le tourment courtois et déroutant du poème.
Je cherchais un mot lavande ou safre, je pensais que cela irait bien avec tes bottines rouge garance.
J’ai trouvé « Jacaranda ».
Au pays des longs chemins
L’eau de lune n’est pas armée
Et la nuit chante si le matin mord
Cantonniers de la langue, les poètes aiment à prendre soin des bas-côtés ; c’est moins lisse mais plus fleuri.
Tous ces matins blancs oubliés dans le tiroir du bas
Mais le sel du temps et le drap des corps
Parce que le creux de la main réveillée
Porte loin le geste, loin devant l’attente
Facile la poésie, suffit d’élider. Bien sûr, il y a la rime et les pieds, ça c’est très difficile, mais pour le reste, faut élider. Enlever la tête pour être plus près du cœur. Trop facile.
J’aimerais vous écrire un long poème silencieux, doucement ponctué d’exclamations souriantes, à peine quelques tendres inquiétudes, modestement.
Chaque matin, patiente et indulgente, l’aube s’applique à blanchir nos vies, mais bien vite, avec zèle et fierté, nous réécrivons tout, presque à l’identique, jusqu’à notre dernier défaut.
Le frisson dure peu
Mais sa traîne d’émois
Murmure longtemps encore
Au clair de la peau.
À ravir, te dis-je,
Ces émotions faibles
À la puissance diffuse.
Le poète voit plus les différences que les ressemblances, voilà pourquoi, souvent, il écrit − et cela ne va pas sans agacer, à la longue − d’interminables listes.
Le langage donne au monde sa lumière. La poésie ajoute les feux et les ombres.
Et le retour de la vague. Pour toujours inachevé. Interminablement.
Le poète a quelque chose du pêcheur. Souvent, il s’installe à l’aube au bord de la page, rapproche l’horizon et efface le reste. Alors il rêve à peine, à quelques épopées muettes. Puis il attend, à voix basse. Parfois il rentre bredouille, pas le moindre fretin à gribouiller. Qu’importe, il a pêché quand même, ça oui, et pendant trois bonnes heures. Il reviendra.
Le vent sait être léger avec les promesses du soir ; la mer seulement, peut la fidélité.
Que serai-je demain ? ces rêves sont engageants et ne sais quel choisir.
Aujourd’hui tu es là, les mûres sont colorées mais un peu courtes en bouche.
Il était beau hier, les filles aux nattes brunes croisées à la récré.
La vie est une leçon de conjugaison simple et complète si l’on sait éviter les temps circonflexes.
De quel bois est-il fait, poète, ton crayon, pour qu’il porte si loin de si lointains souvenirs.
Désirs emmaillés
Histoires embrouillées
Dessine-moi une carte
Trouée d’îles perdues.
Elle a le cœur en foutoir
Elle se cogne aux désirs et confond tous les temps
Parfois elle range un peu
Elle joue la femme en paix
Elle récite l’alphabet et les horaires des marées
Et puis ça recommence
Elle oublie la grammaire et se trompe de couleur
Elle perd ses clés le chat lui parle
Elle change de nom la lune l’appelle
Elle a le cœur en foutoir
Le dedans qui chamboule
Parfois range un peu
Finit ses phrases avec un point
Et puis ça recommence ça recommence
Les saisons bousculées et les visages
Embrouillée chahutée
Point-virgule ton sourire
Elle dit
À la ligne.
J’ai désappris l’hiver et ses silences de neige
J’habite un alizé aux parfums de jasmin
Ses levers introuvables ses livres humides et longs
Les nuits y sont rapides et les matins pressés.
Café noir
et tiède.
Comme
l’ennui.
– Hé l’ami, viens fêter !
Alcool blanc
et sec.
Comme
l’oubli.