La vérité ressort de la bouche des enfants trop gourmands.
La vérité ressort de la bouche des enfants trop gourmands.
Dans les temps de grands changements, l’expérience est inutile, souvent même gênante. Ce qui ne signifie pas que l’inexpérience soit un atout. On hésite à suivre les visionnaires pourtant séduisants ; on refuse de répéter avec les réactionnaires pourtant rassurants.
Dans les temps de grands changements, on est bien démunis, nos cartes sont muettes et les GPS n’ont plus de réseau.
Dans les temps de grands changements, il nous faut comprendre que l’avenir n’est pas une suite à déduire.
Et ça change tout, justement.
Chose : cela n’est pas une chose.
D’ailleurs, malgré une relation trouble et clandestine, il n’y a vraiment aucune ressemblance.
La vieillesse fait partie de la vie ; la mort aussi, comme la porte fait partie de la maison et lui donne sens, intimité et limites.
Oui mais la perte d’autonomie, l’incontinence fécale, la nécrose cutanée, la sonde urinaire, la confusion aiguë, les escarres, la dénutrition, le syndrome de glissement, les antihypertenseurs, anticoagulants, hypoglycémiants… Comme une porte en plein milieu de la rue !
On les aime nos champions, ils nous font rêver et, de surcroît, ils prennent pour eux notre part d’effort.
Je suis trop lourd pour être poète, trop léger pour être philosophe, trop honnête pour être tragédien, trop paresseux pour être romancier, trop vieux pour être champion, trop jeune pour être sénateur. J’ai juste le bon âge pour écrire une ou deux bêtises par jour et aller vite me reposer à écouter les alizés indiens en compagnie d’une jeune chatte à l’ombre des bougainvillées.
À toutes les époques, il y a ceux qui s’interrogent sur leur époque et la trouvent ridicule, voire décadente, et il y a ceux qui ne s’interrogent pas sur leur époque ni sur les autres époques.
(Évidemment, comme d’habitude, je suis radical et réducteur, puisqu’il y a aussi, bien évidemment, ceux qui s’interrogent sur leur époque et la trouvent belle et généreuse. Oui mais ils ne sont plus que deux depuis la mort de Jean d’Ormesson, Félix le chat et Vince, mon copain coach en harmonie astrale.)
J’apprends qu’une turlurette était une guitare au Moyen-âge. Cela me met en joie et me donne envie de danser une gigue.
– Dis donc, ça fait longtemps que je n’ai pas mangé une bonne soupe de légumes avec des croûtons à l’ail.
– D’accord mais là tu es en ligne.
– Zut ! Annule le post.
– Trop tard.
– Pas grave, la bourde est partie, feignons de l’avoir pensée. Tu n’as qu’à titrer : “apophtegme abscons et sibyllin mais aillé”. Oui, c’est bien ça.
– Ce ne serait pas un peu chargé, voire pléonastique.
– Tu dois avoir raison. Bon, je te laisse choisir le titre. Moi je dois y aller, j’ai piscine à 22h30.
C’est bien bloggeur de Restes absurdes, mais si j’avais fait moins de latin avec monsieur Petit, j’aurais peut-être fait champion olympique. C’est mieux.
Les vacances commencent à peine et déjà les rayons de fournitures scolaires se remplissent dans les librairies. Oui mais voilà, je n’ai pas survécu à l’attaque d’une meute de loups aux pieds des monts de Verkhoïansk, je ne me suis pas relevé après avoir dévissé sur mille deux cents mètres du haut du Nanga Parbat dans la partie pakistanaise de l’Himalaya, je n’ai pas réchappé au kidnapping d’une équipe de la Croix-Rouge par les membres du cartel de Guadalajara, je ne suis pas sorti victorieux d’un long combat contre une fibromyalgie sévère… Alors j’ai l’air malin dans mes espadrilles roses et sous mon bob Décathlon.
J’ai très envie pourtant de m’acheter un nouveau cahier Clairefontaine (sans spirale, c’est un calvaire pour les gauchers). D’accord, mais pour écrire quoi ? Que j’ai bouché mon évier avec des épluchures de carottes, que j’ai une ampoule mal placée, enfin vous voyez…, et qui me fait mal quand je m’assois sur mon vélo, que mon magasin de café préféré est en redressement judiciaire, que Rocky le chien du voisin que je n’aime pas (le voisin) a des selles trop molles, que sa maîtresse (celle de Rocky) a oublié de fermer les vitres de sa voiture (mais on ne lui a rien volé et il n’a pas plu). Vous voyez bien, personne n'oserait jamais écrire des banalités pareilles sur un joli Clairefontaine 96 pages (sans spirale).
Alors qu’est-ce que je fais ? En plus je suis nul au karaoké, je ne sais pas faire de skate-board et mon houmous à la betterave est moins bon que celui de Leader Price (mais ça n’a rien à voir).
Je suis plutôt marathonien que sprinter. Enfin, sauf en amabilité. Disons que je suis alors demi-fondeur, mais je m’essouffle vite et mets longtemps à récupérer.
De la gesticulation hyperactive on passe sans transition à la gestion collective de l’ennui. On n’est pas préparé aux vacances.
Ils ont tous des drapeaux différents, des langues, des coiffures, des costumes différents, tous des couleurs de peau différentes, des danses, des chants différents, des noms de pays différents, et c’est beau. C’est inclusif, dit-on. Le mot m’amuse et me rappelle monsieur Lambert qui nous expliquait, au collège, la différence entre ‘ou’ inclusif et ‘ou’ exclusif ; c’est important à connaître et c’est beau.
D’accord, c’est beau, mais l’inclusion tourne à l’enfermement quand ils sortent tous le même téléphone avec lequel ils filment et se filment. Tous, indifféremment, et c’est laid.
– Et du coup, Marcel, il l’a retrouvé ?
Il y a les monstres et les anges et puis il y a les menteurs travailleurs, les gentils ennuyeux, les hypocrites fidèles, les avares courageux, les optimistes autoritaires, les voleurs attentionnés, les savants capricieux, les bavards solidaires, les créatifs rigides, les doux lâches, les égoïstes patients, les paresseux généreux et quelques autres.
Même si l’on écarte les extrêmes, très minoritaires au demeurant, on ne voit pas se dégager de majorité absolue (les bavards et les voleurs sont nombreux, mais les menteurs et les lâches ne sont pas en reste) et si l’on veut faire société, comme ne disait pas encore Rousseau, il n’est d’autre issue que de dégager des coalitions de circonstance qui varieront donc selon que l’on souhaite former une équipe de danse synchronisée, une maison de haute couture, un service de renseignement ou un orchestre symphonique. Former un gouvernement n’échappe pas à la règle, j’imagine.
Ris de ton pi vil
Crie ton ki sans ride
Nie la lie du lassi
(Le prix de la vie)
“Fais ce que voudras”, disait-on à Thélème.
Soit. Faire, on sait faire, mais vouloir, qui voudra bien nous expliquer comment on fait. Est-ce l’affaire du tyran ou du rêveur, du prédateur ou du résistant ? Parle-t-on de désir, de diktat, d’exigence, d’obsession, de motivation, d’ambition, de pouvoir, d’espoir ? Nait-on volontaire ou acquiert-on la volonté ? et avec quels maîtres ? Faut-il vouloir ce qui est ? Est-on ce que l’on veut ? Vouloir, est-ce renoncer à faire, n’est-ce pas plutôt déjà faire ? Qui nous dira ce que vouloir veut dire ?
À moins qu’avec le sens des mots aussi, on puisse faire ce que l’on veut.
L’avis de ta Mie, Lévi, n’est pas le la de ta vie (ni son mi), dit Nelly à son ami.
C’est en allant se perdre dans les bras des femmes de Carthage que saint Augustin se serait trouvé. J’en connais un qui, parti se retrouver dans le Bras de la rivière Sainte-Suzanne, s’est perdu.
– Cinq doigts par main et vingt-quatre côtes, c’est beaucoup ; deux jambes et une seule bouche, c’est un peu juste ; trente-trois vertèbres et trente-deux dents, c’est vraiment inutile ; deux oreilles et un anus, c’est assez ; mais franchement, deux yeux seulement, seulement deux yeux pour te voir danser nue, c’est tellement trop peu.
– Oh ! Mon poète, mon savant, mon amour. Et deux bras pour descendre les poubelles, c’est bien non ?
Est-il préférable de marcher entre deux repos ou de se reposer entre deux marches ?
La rotondité de la Terre, la proximité des mots repose et pause et les jolis mollets de mon voisin marcheur plaident pour la deuxième hypothèse.
Je déteste les citations, ces reliques laïques, et plus encore les citateurs qui s’imaginent recueillir un peu du génie de l’œuvre et de l’éclat de l’artiste en citant. Ces démembrements, ces mutilations sont des exploitations opportunistes et crétines. Pourtant, ce matin, voyant Madame Hidalgo se baigner dans la Seine, je repense à Apollinaire et le cite :
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Alors bien sûr, c’est mépriser le reste du poème et le reste du recueil et le reste de l’œuvre et le reste de toute la poésie que de s’arrêter à cette bribe, tout en contemplant Anne au bain. Oui mais voilà, comment ne pas être ébloui, il y a là l’histoire et la géographie du désir, la source et l’embouchure du temps et le lent débit du tout qui passe.
Ne serait-ce pas plutôt la pensée qui est résiduelle ?
– C’est la routine qui nous tue, on tourne en rond, on ne mourra pas de vieillesse mais d’ennui. Regarde-les elles, comme elles sont belles et vives et jeunes avec leurs cheveux de feu.
– C’est vrai qu’elles font rêver. Tu te rends compte, tous les matins elles se réveillent ailleurs et avec un autre. Chaque jour plus radieuses.
– Ne m’en parle pas, je me sens terne et lourde. Je m’éteins. L’enfer, c’est les mêmes. Comme je les envie ces comètes, astres vagabonds et rebelles. Même leurs noms font frissonner, Hale-Bopp, Hyakutake, Halley, Oumuamua…
Et Mars et Vénus de retourner à leur orbite, lasses et piteuses.