La partition était vierge
Alors il rangea son tuba
Et nagea en silence
La partition était vierge
Alors il rangea son tuba
Et nagea en silence
On a l’âge de ses poèmes préférés.
Le vrai n’est pas le vraiment vrai – en dynamique.
(Si vous m’autorisez cette ambiguïté stratégique.)
Il suffirait d’un simple transfert d’énergie pour tout changer.
Récupérer le temps, l’imagination, l’intelligence, la force et l’obstination gaspillés à élaborer des problèmes pour les faire porter sur des objets sains et beaux. (Construire des cabanes, traduire Lao Tseu, monter un club de crapette mixte et transgénérationnel, adopter un chien errant, danser sur le chant des galets, écrire la biographie de M. Trésor, illustre inconnu mort d'indifférence en 2022, etc.) Facile et pourtant…
Quand on subit un accident on se dit toujours, à quelques secondes près, à quelques mètres près, rien de cela ne serait arrivé et tout serait encore comme avant. Quelle terrible malchance !
C’est vrai, mais on pourrait aussi se dire, chaque jour, chaque heure, alors que tout se passe bien, pas de noyade, pas d’incendie, pas de meurtre ; à quelques secondes près, à quelques mètres près, je perdais tout, je finissais handicapé ou traumatisé à vie. Quelle chance inespérée !
Bon sang, où ai-je pu mettre cette idée sur la paix qui m’est venue il y a un jour ou deux ? Je l’avais trouvée belle, audacieuse et originale ?
J’ai entendu parler d’une coach en rangement de placards, je me demande si elle fait aussi le rangement de cerveau, je la contacterais bien.
– J’adore cette époque !
– C’est vrai, c’est quand même mieux qu’avant.
– Quand je pense qu’il y a deux générations à peine, nos ancêtres survivaient à la campagne en se nourrissant de maïs pourri.
Et les deux rongeurs replongèrent joyeusement dans le sac poubelle éventré.
Courir, ce n’est pas marcher vite et rire, ce n’est pas sourire beaucoup. Dans la course et le rire, le moi est toujours au bord de la fracture. Et puis on se remet à marcher, on sourit et un moi présentable reprend ses esprits. (Soulagements !)
Le présent s’épaissit, notre présence enfle et nous nous agitons, sourds à l’histoire et sans projet.
J’aime la répétition.
En art, j’aime la répétition et, en même temps, j’aime être dérouté. Assez logiquement, je tiens pour géniales les œuvres répétitives déroutantes. Mondrian, Philip Glass, Simon Hantaï…
(Un autre jour on parlera des novateurs prévisibles.)
L’idéologie, c’est la pensée onaniste. Censée féconder le réel, elle monologue stérilement.
La variété alimentaire est saine et recommandée. À l’inverse, on se méfie d’une personne qui varie, une girouette imprévisible, opportuniste ou déloyale.
Pourtant, expérimenter le divers est toujours enrichissant. Certes, on peut éviter les extrêmes : inutile de goûter aux pierres et aux livres, mais n’est-ce pas enrichissant de se glisser dans les sentiments et les idées des autres ; femme adultère quinquagénaire, infirmier militaire sur le front, sénateur anti-IVG, enfant harcelé, enfant harceleur, Mexicain pro-Trump, Moldave pro-Poutine, vendeur de voitures d’occasion végétarien, héros modeste et joyeux, joueuse d’échecs autiste, sniper résilient visé par un chasseur presbyte, charcutière complotiste, évêque dogmatique, sainte postromantique…
Notons que ce régime est très difficile à tenir. Certains écrivains y parviennent un moment, mais comme dans tous les régimes, ça ne tient pas et ils finissent par retrouver leurs formes initiales.
L’idéologie, c’est la pensée pleins phares. Censée éclairer, elle aveugle.
Les grands artistes inventent une autre langue. Certains aiment l’entendre, mais peu la comprennent ; aucun ne la parle.
– Je m’ennuie.
– Eh bien consulte une grammaire au chapitre verbes pronominaux pour te distraire. Tu apprendras que tu es la cause de ce que tu subis. Tu es le poison et la maladie, mais tu es aussi l’antidote.
– Alors ?
– Alors, enfile tes chaussures de marche, ouvre ton cahier de dessins, sors ta boite à outils, va danser nu sous la lune ou écris l’histoire du boudin de mer qui voulait se faire aussi gros que la baleine à bosse, mais fais.
C’est agaçant et touchant à la fois. J’en dis souvent du mal, il m’arrive de le maltraiter, j’ai même essayé plusieurs fois de m’en débarrasser et pourtant, il me reste fidèle, mon petit bidou, ce bout de gras qui me ceint la taille comme un obi lipidique.
– Et mes hampes, tu les aimes mes hampes, demanda elle ?
– Oui, beaucoup, répondit le graphiste.
Mais qu’est-ce qu’ils font tous derrière leur ordinateur, hypnotisés par leur écran ou tapant frénétiquement sur leur clavier alors qu’on a seulement acheté un carnet de timbres ou un taille-crayon, que l’on a fait le plein ou s’est fait soigner une carie ?
L’essentiel, toujours suspect.
Souvent, j’ai du mal à comprendre Lucienne, la chatte de ma voisine (j’ai modifié le nom pour éviter une identification embarrassante). J’ai du mal à comprendre ma voisine aussi ; parfois.
Cela étant, c’est assez logique puisqu’elle ne cherche visiblement pas à se faire comprendre, Lucienne. Je me demande même si elle ne parvient pas à m’effacer de son monde, tant elle est indifférente, comme font les logiciels de retouche photo avec les parties indésirées, Lucienne.
Quant au monde de ma voisine et ses parties désirées ou non, il me manque aussi le logiciel qui m’y donnerait accès.
Certains ont le cul bas et lourd et leur crâne abrite des courants d’air. Tels des culbutos patauds, s’il leur arrive de trébucher ou de se contredire, toujours ils retrouvent leur équilibre. D’autres ont les chevilles fragiles et le cerveau dense. Tels des funambules instables, il leur faut sans cesse veiller à garder leur centre de gravité grave dans leur petit polygone de sustentation, quand ils n’y parviennent plus, ils tombent bruyamment et ne se relèvent plus.
Moi, j’ai les oreilles courtes mais le poil doux, conclut Chat.
La pyramide des âges dit bien les choses, qu’au début la pente est raide, que la vue sur le derrière des premiers est affligeante et décourage, qu’à peine le sommet atteint, il faut redescendre sans avoir eu le temps de profiter de la position, que sur la fin il n’y a plus aucune vue sur rien, que ça glisse et en plus que ça pousse derrière.
Il arrive, comme dans un jeu télévisé, que certains retombent au départ avant d’avoir atteint le sommet, c’est drôle ! Il arrive aussi que certains essaient éperdument de remonter la pente juste avant la sortie, là, c’est pathétique – d’ailleurs personne n’a encore réussi.
Sans abri, on ne rentre pas, on ne sort pas. On est enfermé dehors.
Parfois, certains mots viennent à moi (je ne suis pas certain que l’expression soit la bonne, mais je n’en trouve pas d’autres) et, en toute confiance, renonçant à se cacher derrière leur sens (ce n’est vraiment pas clair, je sais), ils se donnent dans une sorte de matérialité (ou nudité peut-être, non, pas musicalité et encore moins lexicalité). Je me dis que c’est peut-être parce qu’ils savent que je ne vais pas les utiliser, que je ne vais pas me servir d'eux (enfin c'est une image bien sûr, parce que les mots ne sont pas des êtres doués de sensibilité).