Cette lettre étrange me gêne. Je la trouve gauche, voire grotesque. Peut-être même dangereuse.
Ça partait pourtant d’un bon geste, un C clair, généreux et grand ouvert ; mais alors pourquoi cet ergot qui gâche tout ? Un joli galbe à gauche, et l’on aurait bien imaginé une fin en escargot pour une lettre élégante et distinguée ; mais non, le G s’achève en guerrier cagoulé, ganté, gainé, ou pire encore en géronte dérangé et goitreux. Certains verront un général galonné, d’autres un gendarme aguerri (certains même, avec un peu d’imagination, pourraient voir un gendre agile et galant), je vois, moi, un grossier personnage au visage ambigu.
Je n’aime pas le G. J’ai une image dégradée du G. Je pense à une grotte de troglodytes, une guérite trop bien gardée qui ‟protège” des voyages, un gouffre aveugle et sans paysage, un ghetto.
Et puis cette lettre est d’un autre âge, je la regarde et surgit un Gaulois grivois, un gavroche, galoches aux pieds, un danseur de gavotte dans une vague gargote, un grammairien dégénéré, un ivrogne graveleux, un bigot gâteux, un démagogue enragé, un sale gosse, un geôlier angoissant, un grabataire, un gueulard, un gros lard. Cette lettre est disgracieuse et vraiment pas rigolote. Je n’aime pas le G, l’aurais-je déjà dit ?
Quand même, pensé-je ? Ces jugements ne sont-ils pas exagérés ? Le G n’est-il pas victime d’un délit de sale gueule. Ce serait très grave ? Comment exiger d’une gutturale qu’elle inspire gaité et magie ! Il n’est pas besoin d’être docteur en laryngologie pour comprendre que G obéit à une géographie glandulaire et invaginée, le son vient des tréfonds de la gorge, derrière la glotte : ça gronde, ça gratte, ça grinche, ça grince, ça grommèle, ça grrr. Rien qui ne saurait engendrer un gazouillis angélique, non, seulement des borborygmes rugueux et inélégants.
Ou peut-être le G est-il un jeu ? Il serait une gangue cachant quelque gemme à découvrir, une graine à faire germer, une génération future à héberger. Le G aurait son génie, caché, fragile, à venir. Lettre gravide, grosse de ce que l’on ignore encore, le G ouvrirait une nouvelle genèse, non pas une théogonie fantasmagorique, non pas un big bang, mais l’histoire d’un engendrement, celui d’un être engourdi.
Voici donc un abrégé rudimentaire et hypothétique quoique logique. Je laisse les usagers du G réagir et engager le dialogue.
(Un mot encore – pardonnez la longueur du monologue quelque peu dogmatique, mais je me régale – sur ce que donne à entendre le G ; parlons phonologie, pour le dire simplement. Je le dis sans agressivité mais avec énergie, le G est un piège, le piège de l’ego mal déguisé puisque l’ego est un ‟je” en langue étrangère. Le G est un ‟j’ai” fatigant qui geint beaucoup et agit peu ; le G appelle au bavardage égocentré ; le G fait ombrage à la parole sage et à l’agir partagé. Décidément, non, je n’aime pas ce G peu intègre et envisage de le gommer.)