Overblog Tous les blogs Top blogs Littérature, BD & Poésie
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU

C'est Peu Dire

  • : Les Restes du Banquet
  • : LA PHRASE DU JOUR. Une "minime" quotidienne, modestement absurde, délibérément aléatoire, conceptuellement festive. Depuis octobre 2007
  • Contact

Et Moi

  • AR.NO.SI
  • Philosophe inquiet, poète infidèle, chercheur en écritures. 55° 27' E 20° 53' S

Un Reste À Retrouver

7 novembre 2025 5 07 /11 /novembre /2025 03:28

[Cinquième partie du Voyage de Nubecito. Perdu sur la côte mexicaine, le jeune cumulus hawaïen a été pris en charge par Brad qui doit le ramener chez lui. Après avoir traversé le Mexique avec Ludmilla, puis l’Atlantique sur le Françoise-Sagan, Brad, devenu Nov, a remonté la Seine à vélo jusqu’à Paris. Après une étape à Milan chez Alomè, il va passer par Trieste et Ljubljana avec son père pour rejoindre ensuite Olga en Serbie.]

Le train démarrait. Nov lut.

Il avait posé sur la tablette son carnet, son téléphone et une bouteille d’eau et il reprit la lecture de son Moby-Dick interrompue à Milan. Quelques pages par jour, il en viendrait bien à bout en moins d’un an. Donc, Moby-Dick, chapitre 14, Nantucket. « Seul le Nantuckais réside sur la mer. C’est là son foyer.  […] Pendant des années il ne sait plus rien de la terre, et lorsqu’il y revient enfin, elle a pour lui un parfum d’autre monde, plus étrange que celui de la lune n’en aurait pour un terrien. »

Nov pensait. Le train continua.

Je risque moi aussi, d’être sacrément surpris à mon retour au Mexique. Il tapa “Nantucket” sur son téléphone. « Île américaine au sud-est de Boston. Port d’attache du Pequod, le baleinier sur lequel Ismaël embarque dans Moby-Dick de Melville ». Est-ce que j’ai un port d’attache, moi ? Je vais faire le tour du monde et revenir à Puerto Valla, j’aurai bien fait un tour, une boucle, mais est-ce que ce sera un retour à mon port d’attache ? Est-ce qu’on peut retourner ? On peut avancer lentement, on peut faire une pause, on peut faire marche arrière, on peut se retourner, bien sûr, mais j’ai l’impression qu’on ne retourne jamais. C’est peut-être parce que la Terre est ronde qu’on a l’impression de revenir, mais c’est une illusion. Il prit son carnet et écrivit : « Quelqu’un a dit, on ne part jamais, moi je pense qu’on ne revient jamais. »

Des passagers montèrent. Nov textait.

« Salut Dad, je suis dans le train, j’arrive à 19h27 à Trieste. Je te rejoins comme convenu à l’hôtel. C’est bon ? ». Il remarqua que son père n’était pas connecté, il devait être occupé.

Il continua. « Coucou Mam, super séjour à Milan, découvert Caravaggio et Italo Svevo, mais rien vu de la ville à cause de la tempête, à part la statue du Saint écorché, oublié le nom du saint et du sculpteur. On se fait une visio demain. Ce soir suis avec Dad, on appellera. Kissou. » Pas de réponse non plus. Il était onze heures à Mexico, elle devait être en cours.

Il texta à Alomè : « Suis dans le train. Ouf ! Milan est assis sur un volcan qui se réveille parfois. Personne ne le sait mais moi j’ai bien senti les secousses et la chaleur. Ou alors, je t’ai rêvée. Appelle si tu existes pour de vrai ! ». Il repensa à son départ précipité. Une bonne partie de la nuit à écouter Alomè lire, un sommeil léger et intermittent, puis l’effondrement au petit matin jusqu’au réveil brutal à 13 heures. Un café trop noir, une douche trop rapide et ses affaires jetées en vrac dans son sac, le taxi qui traînait, les embouteillages pour rejoindre la gare et le tout sous un soleil de plomb. Après le déluge, on annonce un retour de la canicule. Il prit son carnet et nota : « Dedans comme dehors, le désordre et l’intensité gagnent ». Pas de réponse. Il texta encore : « J’ai oublié de te remercier. C’est aussi que je trouvais le mot un peu court (cinq lettres) à côté de ce que tu m’as offert (deux livres). Appelle, si tu veux. J’ai aimé ce petit tour dans ton monde. Ou écris. »

Combien de temps était-il resté à Milan ? Le Mexique lui semblait tellement loin. Était-il déjà en train d’oublier ? Il eut soudain envie d’aller s’allonger à l’ombre sous la barque de Diego, très envie aussi de parler à Ludmilla. Il lui texta : « Buona sera Vera, hola Ludmilla, je ne t’ai pas oubliée. Je pense à vous. Fort. Appelle ».

Les paysages défilèrent. Le téléphone se taisait.

« Hello, le monde, je suis là ! Y’a encore quelqu’un ou je suis le dernier survivant. » Il regarda son livre sans enthousiasme. Il relut du bout des lèvres les quelques lignes griffonnées sur son carnet. Bof ! De toute façon, il y a déjà eu un Proust, deux, ça ferait trop. Oui, le soleil mexicain, la barque de Diego, l’énergie de Vera, il y pensait.

*****

– Allo, chéri, tu voulais quelque chose ?

– Salut Dad, je voulais te prévenir que j’arrive tout à l’heure.

– … mais… il y a eu un changement par rapport à hier ?

– Hier ?

– Oui, hier, on s’est téléphoné et on s’est mis d’accord pour le rendez-vous.

– Hier ?

– Oui. Je t’ai envoyé l’adresse du Savoia comme convenu. Il y a un problème ?

– Tu veux dire que tu m’as téléphoné hier ?

– Chéri, tu m’inquiètes. Quelque chose ne va pas ?

– Non, non, rassure-toi. J’ai seulement l’impression d’avoir passé des jours et des jours à Milan. En fait, c’est comme si le temps s’étirait, comme si chaque seconde devenait un moment, enfin…, quelque chose comme ça.

– Écoute, tu m’expliqueras, je ne suis pas sûr de bien comprendre. Tu es sûr que tout va bien, n’est-ce pas ?

– Oui, sûr et certain. Ça s’étire et en même temps, ça accélère, c’est vraiment bizarre… Je serai à l’hôtel avant huit heures.

– Parfait, tu auras le temps de prendre une douche, j’ai réservé une table dans un bon restaurant, mais tu préféreras peut-être te reposer, tu me diras. Excuse-moi, j’ai une visio avec le ministère, tu sais que je suis « en mission », en quelque sorte. Je voudrais tout liquider pour être tranquille demain. Allez, à tout de suite.

*****

Nov essaya à nouveau d’appeler Alomè, mais avant même d’avoir fini de composer le numéro, son téléphone sonna.

– Allo Nov, désolée, j’ai pensé cent fois t’appeler et chaque fois j’avais quelque chose d’important à faire. Je suis tellement désolée. Bien sûr que nous aussi, on pense à toi. Il s’est passé pas mal de choses depuis deux jours, il y a des bonnes nouvelles et d’autres moins bonnes.

– La bonne nouvelle, c’est que tu appelles. On essaie de mettre la vidéo, j’aimerais bien te voir.

– OK. Si c’est trop lent, je la déconnecterai. Où en es-tu ? Je n’ai même pas eu le temps de te suivre, en plus l’appli de ton ami plante souvent. Tu es toujours à Paris ?

– Non, non, je viens de quitter Milan et je rejoins Dad à Trieste. Tout va bien, je te raconterai, mais parle d’abord. Commence par la mauvaise nouvelle.

– D’accord, c’est au sujet de Pap’. Ses copains m’avaient déjà alertée sur ses maladresses et ses chutes. À la maison et en mer, je n’avais rien remarqué, il semblait normal, mais c’est parce qu’il connaît chaque centimètre carré. Sa maison, la mer, c’est son monde. Son copain policier, tu sais Juan Luis, il m’a conseillé de l’emmener voir l’oculista, alors on y est allés avant-hier. Pap’ a une iritis, je ne sais pas si tu connais, c’est une inflammation de l’iris. Il va progressivement perdre la vue, il y a des traitements, mais c’est assez lourd et Pap’ a dit non. Mais le pire, c’est la cause. On va devoir faire des analyses, l’oculista pense à une infection bactérienne, il pense à la syphilis.

– Pardon ?

– Oui. Une forme latente que Pap’ aurait depuis longtemps. Il m’a interrogée sur sa vie sexuelle, tu sais que je parle librement de tout ça, mais là, c’était quand même gênant. J’ai répondu que je ne savais pas, mais je lui ai dit pour ma mère. Son conseil, c’est de le laisser tranquille avec son iritis puisque ça ne le fait pas souffrir. Ça peut évoluer très lentement et compte tenu de son mode de vie, il s’adaptera. Il lui a seulement prescrit des gouttes. Pour la syphilis, si les analyses confirment son hypothèse, il faudra agir et il y aura un traitement à suivre absolument. Il faudra aller voir un médecin avec les analyses.

Qué mierda! Et Pap’, comment il prend ça ?

– Devine ! Ce n’est pas parce que c’est mon père, mais vraiment il est unique. Il a dit, « viens, je t’invite à manger une glace, ça fait bien vingt ans que je n’en ai pas mangé. Je ne sais pas s’ils font toujours le parfum chocolat ? »

– Ah ah, génial ! Oui c’est lui, Diego, je le reconnais. Qu’est-ce que vous me manquez ? Cette glace, elle était unique, j’aurais aimé la manger avec vous.

– Oui et il était comme un enfant en la mangeant, il en a mis partout parce qu’il riait à chaque léchage. Il a une réserve inépuisable de joie en lui. Mais derrière tout ça, je sais bien aussi qu’il y a sa façon d’envisager la mort et ça, ça me fait mal. Je n’ai pas sa sagesse. La mort, c’est une belle invitation à ne pas refuser. Ça, je ne peux pas… On en parlera quand tu rentreras.

– D’accord.

– Autrement, ce soir, je pars à Mexico. Jack m’a demandé de m’occuper de l’agence pendant une semaine.

– Et Karolyn ?

– Écoute, il n’est pas rentré dans les détails, mais ils se sont rapprochés tous les deux, on va dire, ils partent ensemble une semaine. Ils vont faire un trek du côté de Chihuahua, « sur les traces de Pancho Villa ». Jack n’en peut plus des tours, je cite, “insolites et cools” pour “bourgeois incultes”. Il rêve d’aller épuiser des Yankees capitalistes sur les traces des révolutionnaires mexicains, sans oublier de leur faire payer cher, au premier sens du terme.

– Je suis sûr que ça marchera. Tu loges à la maison ?

– Oui, en plus on a programmé une sortie avec Nadja. Ils viennent d’ouvrir un nouveau musée Frida Kahlo, la Casa Kahlo, c’est à côté de la Casa Azul. En fait, c’est dans sa maison familiale, la Casa Roja. C’est là qu’elle a passé son enfance, mais c’était aussi une sorte de refuge où elle venait se reposer et se réparer dans les moments de crise avec Diego. On va aller voir, ça peut être intéressant et montrer un peu de la personne derrière le personnage. Voilà, tu sais tout de ma vie qui ne change pas beaucoup. Je sais aussi que vous avez prévu une visite virtuelle de Trieste, « sur les traces de Joyce ». Ta mère est ravie de cette idée ; le dernier cours, elle a fait une digression d’au moins une heure sur Ulysses, dans le texte bien sûr, et sans une note. C’est à croire qu’elle connaît le livre par cœur. J’essaierai d’être là, au moins l’après-midi. Excuse-moi, je te laisse, le cours reprend.

– À demain alors, je t’embrasse.

*****

– Allo ? Ah mon fils d’amour, quel soulagement de t’entendre ! Tu vas bien ?

– Mam ? Bien sûr que je vais bien. Qu’est-ce que c’est que cette voix inquiète. Ne me dis pas que Dad t’a parlé de moi ?

– Mais bien sûr que non !

– Mam…

– Bon, c’est vrai, il m’a dit que tu semblais être pris par une espèce d’absence. Je lui ai dit que je ne comprenais pas ce qu’il disait, il m’a répondu, moi non plus. Alors je voulais en savoir plus.

– D’accord. Alors note et écris en capitale, Nov va très bien.

– Parfait. On n’en parle plus. Raconte-moi plutôt ton séjour à Milan, tu as apprécié, n’est-ce pas ? Qu’as-tu vu d’intéressant ?

– Comme je t’ai dit, il a fait un temps pourri, je ne suis sorti qu’une fois, pour aller manger un cannoncini et voir la statue d’un écorché dans la cathédrale.

– Ah oui, le fameux cannoncino de Serge Milano. Je ne le connais que de nom, ça doit être délicieux. Et la statue, j’imagine que c’était le Saint Barthélémy de Marco d’Agrate.

– C’est ça ! Tu connais ?

– Oui, j’ai visité plusieurs fois le Duomo, une fois j’étais avec Livia et sa fille qui a fait des études de kinésithérapie. Elle nous a fait beaucoup rire en nous montrant les incohérences anatomiques de la sculpture, elle nous a expliqué très sérieusement que cette statue ne pourrait pas courir parce que le quadriceps fémoral n’était pas solidaire du bon tendon et que je ne sais plus quel muscle fléchisseur était mal positionné. Dis-moi, ça fait longtemps que je n’ai rien lu de toi.

– Ah oui, mais je ne peux pas tout faire, là, j’ai suivi un cours d’histoire de l’art et de littérature en accéléré, alors je n’ai pas eu le temps d’écrire. Je viens juste de reprendre la lecture de Moby-Dick, j’y vais lentement, je t’enverrai mes impressions au fur et à mesure. On se voit demain alors.

– Oui, je suis ravie de vous accompagner à Trieste, je vous lirai quelques passages d’Ulysses.

– Comment, tu ne le connais pas par cœur ?

*****

Nov raccrochait. Le téléphone sonna.

– Tiens, un numéro inconnu ?

Partager cet article

Repost0
6 novembre 2025 4 06 /11 /novembre /2025 03:03

Un mot.

(En fait, deux.)

[Merde, ça fait trois]

{Putain, y’en a quatre !}

|Non cinq et bientôt beaucoup plus|

\Six, trente-sept, cent-quarante-trou, croix-mille-sept-cent-vite, deux-vent-bleu-mâle-rein-cent-pâtre\

Partager cet article

Repost0
5 novembre 2025 3 05 /11 /novembre /2025 03:30

Tranquillement, il sortit. Après quelques pas, sans précipitation, il commença à se déshabiller tout en marchant, il enleva sa chemise, son pantalon, ses sous-vêtements, les laissant par terre, puis, après s’être habilement entaillé, il ôta sa peau, sur le visage, sur le torse, sur les bras, il dut s’asseoir un instant pour ôter la peau de ses pieds, il reprit ensuite sa marche, extirpa ses organes un à un, les jetant sur le bord de la route, le cœur, la rate, les reins – tiens, c’est petit un rein, pensa-t-il, je voyais ça plus grand –,  puis il commença à se désosser, le fémur, le cubitus, le coccyx, il se souvenait de ses cours d’anatomie, il allait s’attaquer à la cage thoracique, mais au moment de saisir son sternum, il tomba sur la clé du portail qu’il portait au bout d’une cordelette autour du cou.

– Bon sang, dit-il, est-ce que j’ai pensé à fermer ?

Partager cet article

Repost0
4 novembre 2025 2 04 /11 /novembre /2025 03:01

Son arrivée à la maison a marqué pour nous le summum de l’inventivité moderne. Je me demande ce qu’elle est devenue, la table roulante qui économisait notre temps et nos déplacements avant et après les repas. Je n’en vois plus. On ne les aurait pas toutes reconfigurées en déambulateurs quand même !

Partager cet article

Repost0
3 novembre 2025 1 03 /11 /novembre /2025 03:28

J’aime bien les répétitions, je l’ai déjà dit, je sais. J’aime bien au point de les travailler. Parfois je force un peu et c’est trop, mais justement, le côté répétitif de la répétition, c’est ce que j’aime. Pour être honnête, je devrais dire que j’aime bien quand je me répète, oui parce que je n’aime pas quand vous vous répétez. (Je suis décidément odieux. Odieux et suffisant.)

Mais le pire, c’est quand, par accident, je vous répète. J’ai l’impression de m’oublier, comme un vieux trahi par son sphincter. (Odieux et abject.) Enfin, je dis vous, mais ce n’est pas vous, personnellement, à qui je pense. (Odieux, suffisant et abject mais dégonflé.)

Partager cet article

Repost0
2 novembre 2025 7 02 /11 /novembre /2025 03:08

Et l’éléphant, est-ce qu’il retombe aussi sur ses pattes quand il chute du cinquième ?

Partager cet article

Repost0
1 novembre 2025 6 01 /11 /novembre /2025 03:17

– Assenzia est la plus jeune de mes tantes. Oui parce que mes grands-parents ont eu sept filles et le tout sur plus de vingt ans ; ma mère est l’avant-dernière, et, donc, moi je suis la plus jeune de tous les cousins, non.

– C’est drôle, en espagnol, ausencia, ça veut dire absence !

– Ah oui, et en italien, c’est encore mieux, absence se dit… assenza ! D’ailleurs, son vrai prénom, justement, c’est Assenza, mais nous les cousins, on l’appelle Assenzia. Le plus incroyable, c’est que son prénom n’a rien à voir avec l’absence, il vient du village d’Assenza sur le lac de Garde d’où mon grand-père était originaire. Autre coïncidence, en plus de l’appartement de Milan, elle a une grande maison qui lui vient de feu son mari, sur l’autre rive du lac, juste en face d’Assenza, à Gardola, où elle vit le plus souvent.

– Que d’absence autour de toi, Alomè. En tout cas, on n’est pas dans l’absence de moyens !

– En fait si. Bon, je te raconte, mais je résume. Mes grands-parents étaient pauvres. Très pauvres. Sans doute pour compenser l’absence de cadeaux, ils ont donné à leurs filles, et sans compter, des principes d’éducation durs, très durs, absurdes souvent et parfois même violents, si tu vois ce que je veux dire. Sauf pour Assenza, la petite dernière, qui avait littéralement tous les droits. Ce qui la conduisit le jour de ses vingt ans à un bal. On est à la fin des années soixante-dix, non. Elle danse, elle rit, elle boit et se retrouve enceinte du beau Gabriele. Petit scandale, mais finalement rien de dramatique ni même d’original, elle aurait pu rentrer à la maison et élever son enfant, assistée de ses six sœurs. Sauf que le beau Gabriele était aussi le fils unique d’une famille de banquiers génoise, très riche et très catholique, les Boccabianca, chez qui on n’avorte pas et on assume. Donc, tout est allé très vite. Il a été proposé aux grands-parents, un mariage immédiat accompagné d’une petite somme d’argent (qui devait quand même faire beaucoup pour nous puisque Grand-père n’a pas hésité une seconde). En contrepartie, il y avait une condition sine qua non : qu’il n’y ait plus aucun contact entre les deux familles après le mariage, à part une visite de ma tante à sa famille, de temps en temps, mais sans son mari et sans son enfant. Ma tante n’ayant évidemment pas son mot à dire. Tu imagines un peu la violence de la chose, mais, bon, il restait six filles, j’imagine que ça suffisait à Grand-père. Alors, les spaghettis ?

– Délicieuses.

– Délicieux. Oui, aglio e olio, c’est simple et efficace.

– Et ta tante a survécu ?

– Tu vas voir. Donc, au mariage, mes grands-parents ont rencontré pour la première et dernière fois les Boccabianca. Au début, Assenzia venait une fois par mois, en voiture avec chauffeur, les bras chargés de chocolats et de cadeaux. Tu imagines le contraste. Mais rapidement – je ne sais pas si les beaux-parents avaient une bonne connaissance de l’âme humaine et qu’ils avaient prévu la chose – rapidement, Assenzia a espacé les visites parce qu’elle était littéralement harcelée ; elle a fini par ne plus venir du tout. Elle aurait pu disparaître définitivement, mais dix ans plus tard à peu près, le grand-père Boccabianca meurt, suivi de sa femme, deux mois plus tard, laissant Gabriele comme seul héritier. Ce n’est pas fini, triste série noire, Gabriele meurt à son tour dans un accident de voiture, quelques années plus tard. On est au début des années quatre-vingt-dix, je vais bientôt naître. Assenzia se retrouve alors à la tête d’une fortune colossale et elle n’a même pas trente-cinq ans.

– Et son enfant ?

– Ah, j’ai oublié de te dire. Ironie de l’histoire ou plutôt sarcasme morbide de l’histoire, une fois mariée et installée avec son mari, elle a accouché d’un enfant mort-né et il semble bien qu’elle soit devenue stérile. Évidemment, après le décès de son mari, elle a retrouvé les siens. En quinze ans, il y avait eu quelques mariages et quelques naissances. Retrouvailles émues, embrassades chaleureuses, cris et larmes, à l’italienne, non. C’est mon cousin Roberto qui m’a raconté, il se souvient très bien, il a pratiquement le même âge qu’Assenzia à cause du décalage de générations – c’est peut-être aussi la communauté des exclus. Pour Roberto, son histoire vaudrait le détour – homosexuel banni par sa famille, docteur en physique théorique et aujourd’hui, apiculteur décroissant ! –, mais il faut que je me tienne à celle d’Assenzia, sinon on va se perdre dans la saga familiale.

– J’espère qu’il y a un écrivain chez les cousins pour raconter tout ça.

– Ah ah, oui, j’ai une cousine Brigitta qui a écrit là-dessus, mais ça n’intéresse personne. Pourtant, c’est un vrai feuilleton. Je continue. Évidemment, c’était prévisible, la joie des retrouvailles a rapidement cédé la place à la jalousie, aux remontrances et aux menaces, surtout de la part des six beaux-frères. Individuellement, ils n’étaient pas méchants, mais ensemble, ils mutaient et devenaient une meute de mâles voraces et grossiers et je ne te parle pas de leur orientation politique. Alors, Assenzia s’est mise à entretenir six familles, disons à aider. Je ne sais pas de combien, mais ça devait être correct. En revanche, pour la génération suivante, la mienne, ça a été, no limit. Sauf pour Roberto, l’inetto de service, qui n’a jamais accepté une lire.

– Et au niveau des cousins, les relations sont bonnes ?

– Oui, excellente. Nous sommes dix-neuf cousins, plus Roberto. On est les deux seuls à ne pas être casés, je ne sais même plus combien j’ai de neveux et nièces. On a tous fait des études supérieures.

– Donc c’est très différent de la génération d’avant, la meute.

– Oui. Une autre planète. Les oncles se sont calmés entretemps, gavés par Canale 5, tu sais, la télévision privée de notre milliardaire pays, Berlusconi. Gavés et isolés, donc inoffensifs. Aujourd’hui, je n’ai même plus besoin d’imaginer des mensonges pour ne pas assister aux réunions familiales puisqu’il n’y en a plus. Les grands-parents sont morts, les oncles sont gros et les tantes se téléphonent. Peut-être que j’exagère, peut-être que je devrais faire des efforts, peut-être qu’il y a du bon en chacun d’entre eux, sûrement même, mais je me suis tellement éloignée, non.

– Peut-être aussi qu'ils se sont éloignés de toi.

– En effet. Je ne sais pas si c’est l’héritage fasciste ou l’éducation religieuse, mais ils n’ont jamais, je ne dis pas accepté, mais seulement compris mon homosexualité. Même certaines de mes tantes. C’est soit une maladie, soit une perversion, soit une punition divine. Tu sais que le mariage homosexuel n’est toujours pas légal chez nous. Et Meloni n’a pas l’intention de changer les choses, elle dit que l’union civile existe déjà et que ça suffit. En passant, je ne comprends pas ce qui vous séduit chez elle, vous les Français. On a un des régimes les plus réactionnaires de l’Union européenne, simplement, elle est plus jolie qu’Orban et sans doute plus rusée.

– C’est vrai. Je ne suis pas ça de très près, mais elle inquiète moins qu’au moment de son élection.

– Moi je vous dis, soyez vigilants, amis français. Je ne suis pas historienne, mais je suis Italienne. En France, je vous entendais souvent parler, dans une même phrase, du fascisme et du nazisme. Je ne veux pas nier les horreurs du nazisme, mais il y a une chose que vous oubliez souvent, c’est que chez nous la dictature a duré plus de vingt ans. Et en vingt ans, je peux te dire qu’une idéologie empoisonne tout et diffuse son venin en profondeur et qu’il en faut du temps après pour nettoyer ça. C’est Roberto qui dit toujours, “Potare è un arte, abbattere è un mestiere, ma sradicare è una guerra.” Tu comprends ? Élaguer est un art, abattre est un métier, mais sradicare, tu sais, enlever la souche et les racines, ça c’est une guerre. Et ça veut dire que dans toutes les familles, en Italie, il y a, aujourd’hui encore, des fascistes et dans toutes les familles, il y a des antifascistes, parce qu’on a aussi développé un vaccin. Peut-être que je me trompe, peut-être que je généralise comme d’habitude, mais je crois que chez vous et chez les Allemands, l’expérience du nazisme a été trop courte pour laisser des traces durables. Disons que c’est un chapitre dans vos livres d’histoire, pas une cicatrice honteuse. Évidemment, je ne parle pas de ceux qui ont vécu ces horreurs.

– C’est possible, mais peut-être aussi que tu es particulièrement sensible.

– Ce n’est pas simplement moi. Disons que nous sommes particulièrement vigilants. Mais je reviens à mes cousins. Il y a autre chose qui nous a éloignés de la génération précédente. Nous sommes tous des transfuges de classe, comme vous dites, mais sans la névrose et la culpabilité qui vont parfois avec, bien au contraire.

– Explique un peu, s’il te plait.

– C’est simple, grâce à Assenzia, on a tous fait des études supérieures, connu un autre monde et rencontré d’autres gens. Je ne te cache pas que j’ai pu faire des études et passer cinq ans en France grâce à elle. Ce n’est pas la pauvreté qui me gênait, c’était l’étroitesse, la rigidité et le fatalisme de mes oncles. Dans ma vie, ça se traduisait par la prévisibilité : mon histoire était déjà écrite, ce serait celle de ma mère, pauvre, docile, inculte. Tu te rends compte, sans Assenzia, on ne se serait pas rencontrés nous deux, peut-être que j’aurais été femme de ménage sur le Paris-Milan et que tu ne m’aurais même pas vue.

– Ouf, on a évité une autre absence !

– Et donc, je réponds à ta question, comme elle a aussi sa maison à Gardola, plus un appartement à Gênes, elle n’est pas souvent à Milan. Chaque cousin a une clé et y passe de temps en temps. À une époque, ça a été une vraie coloc d’étudiants. C’était génial et tu trouvais toujours des inconnus, des tomates fraîches et du persil. Aujourd’hui, il reste des chambres vides pour les étrangers, des placards pleins de pâtes et la grande bibliothèque.

– Et tu vas y rester longtemps ?

– Tu sais, là, je navigue à vue. Même si j’ai peu d’espoir, je voudrais quand même savoir ce que je peux sauver de ma relation avec Laura. Ensuite, je vais voir comment vont s’organiser mes cours et donc, le salaire qui ira avec. Il est possible que je reste ici quelques mois. Et après… on verra. Allez, on retourne dans la chambre. En passant, je vais te montrer la bibliothèque.

– Ce sont les livres de ta tante ?

– Pas vraiment, elle ne lit que des revues. En fait, très vite, il y a eu un rituel ici. Chaque visiteur venait avec un livre et le laissait. Il arrivait aussi qu’on en prenne un. Ça a été pendant longtemps une bibliothèque vivante et à chaque passage, on trouvait des livres nouveaux. Il y a plusieurs gros liseurs chez nous. Au début, on les empilait dans le couloir et puis Assenzia a fait monter cette immense bibliothèque qui doit bien faire dix mètres de long.

– En effet ! J’espère qu’ils sont bien rangés.

– Oui, il y a une dizaine d’années, on s’y est mis à cinq et on a tout rangé par ordre alphabétique. Tiens, voyons voir s’il y a du Svevo. Stendhal, Stern, Swift, Svevo... C’est là-haut, essaie de les attraper.

– Alors, La Cosienza di Zeno, en deux exemplaires, Una Vita.

– Ah oui, c’est son premier livre. Tiens, sors-le-moi, je ne l’ai jamais lu. Ensuite ?

Senilità, évidemment, et Corto viaggio sentimentale.

– Hein ? Montre-moi. Je ne savais pas que Svevo avait écrit ça. Regarde, c’est dédicacé. “Pour Brigitta, ma Bolognaise préféré. Giulio l’affamé. Avril 2011”. Énorme ! Brigitta, c’est ma cousine, Giulio, c’est son ex, ils ont étudié le français ensemble à Bologne. Je ne serais pas étonné qu’elle l’ait quitté pour son orthographe approximative et son humour douteux. Elle est enseignante maintenant. Tiens, cadeau, c’est pour toi. En plus, il vaut mieux que son mari ne tombe pas sur la dédicace, il est très jaloux. Allez viens, on retourne sous la couette, je t’invite dans mon lit cette nuit, exceptionnellement.

– On va lire encore ?

– Peut-être. Tu pensais à autre chose ?

Partager cet article

Repost0
31 octobre 2025 5 31 /10 /octobre /2025 03:08

La périphérie est plus logeable, c’est géométrique, et les forces centrifuges y sont moins sensibles, c’est mécanique. Et tous pourtant veulent occuper le centre qui les compresse et les rejette, c’est comique.

Partager cet article

Repost0
30 octobre 2025 4 30 /10 /octobre /2025 03:22

C’est tellement tentant de parler comme les autres, être reconnu comme membre de la bande, et il y a de la vanité à vouloir se distinguer. Mais c’est comme en algèbre, les membres égaux de chaque côté d’une égalité s’annulent et le monde n’a pas à être réduit comme une équation.

Pour une fois, je suis sérieux.

(sdeuon xua liop)

Partager cet article

Repost0
29 octobre 2025 3 29 /10 /octobre /2025 08:02

On ne part jamais, admettons, mais le pire c’est qu’on arrive quand même à rentrer.

Partager cet article

Repost0
28 octobre 2025 2 28 /10 /octobre /2025 03:07

Prends soin de ta langue et honore tes pieds.

Partager cet article

Repost0
27 octobre 2025 1 27 /10 /octobre /2025 03:39

Le syndicat des murs aurait lancé un préavis de grève. Ils en auraient marre qu’on leur fonce droit dessus.

J’utilise le conditionnel car on doit toujours se méfier d’un mur, on ne sait jamais ce qu’il cache.

Partager cet article

Repost0
26 octobre 2025 7 26 /10 /octobre /2025 02:33

– Allez, installe-toi Nov. Je te résume l’histoire de Senilità, mais ce n’est pas le plus important, ce qui est vraiment intéressant, tu vas voir, c’est l’analyse psychologique des personnages, non. C’était vraiment nouveau à l’époque. Au lycée, on le compare toujours à Joyce, le copain de ta mère, et à votre Proust. Je ne sais pas, c’est peut-être exagéré, de toute façon, ce n’est pas ça qui compte non plus. Svevo invente une espèce d’antihéros, l’inetto, c’est-à-dire, l’inapte, l’inepte, l’incapable, l’inadapté, l’impuissant, le velléitaire... vous n’avez pas vraiment d’équivalent en français. C’est une sorte de charlot avec peu d’humour et beaucoup de lucidité. Tu imagines, à l’époque où le Latin lover va s’imposer, genre Rudolph Valentino, sans parler du surhomme fasciste qui arrive... Le livre n’a eu aucun succès, évidemment, ni en Italie ni ailleurs. Senilità, c’est encore le récit d'une disparition, et moi, ça me plaît beaucoup.

– Je vois ça. Tu as l’air de vraiment t’amuser. Remarque, ça change du balcon !

– Non, c’est lié. Tu te souviens du triangle rectangle et de ton hypoténuse, eh bien disons que l’inetto est en dehors, ou à la marge, c’est un marginal si l’on prend comme référence, l’action, l’événement, ce qui a lieu et se fait, ce qui doit se faire et se dire. Tu me suis ?

– Je préfère quand tu es moins abstraite. Donne-moi un exemple.

– Justement, Emilio, le héros de Senilità

– Tu veux dire le sénile de l’histoire ?

– Oui, mais il ne s’agit ni d’artères ni de neurones. Il a trente-cinq ans, c’est sa vie qui sent le moisi, une vie fade et routinière. Un premier roman oublié, un métier sans intérêt, des relations superficielles, la vie d’un vieux garçon qu’il partage avec sa sœur, vieille fille comme lui. Puis il rencontre la belle Angiolina, jeune, vivante, joyeuse… mais la beauté angélique est aussi menteuse, manipulatrice et vénale. Alors sa vie bascule. Sa névrosée de sœur se suicide, son infidèle d’amoureuse le quitte et son seul ami qui réussit en tout, séduit son amoureuse, émeut sa sœur et s’en va le cœur léger et l’esprit libre. C’est ça Senilità, l’histoire d’un trentenaire obsessionnel, déjà vieux, qui finit seul, seul avec les souvenirs de tout ce qu’il n’a pas fait, déjà fatigué d’une vie qu’il n’a même pas vécue.

– Waouh ! Vu du balcon, ça a l’air d’une sacrée fête ! Et toi, ça te rend joyeuse ?

– Disons que ça me réveille et puis tu sais que les surhommes, moi, ça ne me fait pas rêver, ça me fait vomir. Attends, je lis des passages au hasard, en italien d’abord et ensuite, je traduis. « Egli traversava la vita cauto, lasciando da parte tutti i pericoli ma anche il godimento, la felicità… il traversait la vie, prudent, laissant à part tous les dangers mais aussi le plaisir, le bonheur… A trentacinque anni si ritrovava nell’anima la brama insoddisfatta di piaceri e di amore… à trente-cinq ans, il trouvait dans son âme le désir insatisfait de jouissances et d’amour…  e già l’amarezza di non averne goduto… et déjà l’amertume de n’en avoir pas profité… e nel cervello una grande paura di se stesso e della debolezza del proprio carattere… et dans son cerveau, une grande peur de lui-même et de la faiblesse de son propre caractère… invero piuttosto sospettata che saputa per esperienza… en fait plutôt soupçonnée que connue par expérience »

– J’ai l’impression qu’il pense trop, ton gars !

– Exactement, il analyse mais n’agit pas. Il se prépare et attend toujours le bon moment. Et puis, miracle !, il rencontre Angiolina. « Raggiante di gioventù e bellezza ella doveva illuminarla tutta…  rayonnante de jeunesse et de beauté, elle devait l’illuminer totalement… facendogli dimenticare il triste passato di desiderio e di solitudine… lui faisant oublier son triste passé de désir et de solitude… e promettendogli la gioia per l’avvenire ch’ella, certo, non avrebbe compromesso… et lui promettant la joie pour l’avenir qu’elle ne saurait, c’est sûr, compromettre. »

– Ah ! enfin un peu d’action.

– attends. Tu vas dire que j’interprète, mais voilà, la disparue de Manet, c’était zia Maria, ma tante préférée et l’inetto de Svevo, c’est un peu mon vieux cousin Roberto.

– Ton cousin préféré, je parie.

Ecco. Maintenant, Roberto est apiculteur près de Turino. Mon hypothèse, c’est que les inettti souffrent d’un mal-être parce qu’ils sont inadaptés à leur environnement, mais cette inadaptation est en fait le signe d’une grande santé, parce que c’est leur environnement qui est malsain, non. Pour Emilio, je ne sais pas, parce que ça manque un peu de couleurs et de folie, mais pour Roberto, c’est exactement ça : il ne s’est jamais adapté à son environnement toxique et il est resté en bonne santé. À part ses yeux, il a toujours été très myope. Peut-être que ça l’a protégé aussi. Il faudrait creuser ça, l’inetto est souvent myope.

– Je ne voudrais pas juger trop vite, je ne dis rien de ton cousin que je ne connais pas, mais ton Emilio, pour moi, il appartient plutôt à la famille des losers ?

– Pas exactement, parce qu’il ne commet pas vraiment d’erreur, puisqu’il s’arrête toujours avant d’agir. Il est nul, ça c’est vrai, non pas parce qu’il fait mal, mais parce qu’il ne fait pas.

– Je me demande si ce n’est pas pire encore. En tout cas, il n’a pas l’air très épanoui et lui-même se prend pour un nul.

– Peut-être, ce qui est bizarre, c’est que je suis toujours séduite par eux. Derrière leur nullité, je vois autre chose, je ne sais pas, quelque chose comme une faille qui ouvre sur une réalité insoupçonnée. Ils m’attirent. J’ai toujours envie de les comprendre et de les défendre. J’ai envie de m’occuper d’eux.

– J’espère que tu ne parles pas de moi ?

– Toi ! Jamais ! Tu n’es ni nul ni lucide. Toi, tu es un French lover qui s’ignore. Un gros calibre, une arme de séduction massive. Tu fais sans faire et tu vas même jusqu’à toucher les lesbiennes !

– Ah ah ! Quel portrait ! Je suis flatté.

– Attends, calme-toi, j’ai dit toucher, pas couler. Allez, je continue. Tiens, écoute ça, c’est la fin. « Erano passati per la sua vita l’amore e il dolore… l’amour et la douleur avaient traversé sa vie… e, privato di questi elementi, si trovava ora col sentimento di colui cui è stata amputata una parte importante del corpo… et, privé de ces éléments, il se trouvait maintenant avec le sentiment de celui qui a été amputé d’une partie importante de son corps… Il vuoto però finì coll’essere colmato… le vide, pourtant, finit par être comblé… Rinacque in lui l’affetto alla tranquillità, alla sicurezza, e la cura di se stesso gli tolse ogni altro desiderioRenaquit en lui l’affection pour…

– Bravo ! Il rebondit vite ! Pas si inetto que ça, finalement.

– Attends la suite. « Renaquit l’affection pour la tranquillité et la sécurité, et le soin qu’il prit de lui-même lui ôta tout autre désir. »

– Non ! C’est vraiment sinistre. Pour moi, je persiste, c’est un loser, mais un loser lucide.

– Lucide, oui, très lucide et assez doué pour les analyses et les constructions mentales, mais nul en vie, si je puis dire. Son ami dit de sa sœur Amalia qu’elle est nata grigia, née grise. La formule est monstrueuse mais elle convient aussi à Emilio, tous les deux sont nés gris et vieux. En fait le mot senilità n’apparait pas dans le texte si je me souviens bien, s’il est déjà vieux, ce n’est pas parce qu’il a beaucoup vécu, c’est exactement le contraire, et c’est l’inaction qui l’a épuisé. Angiolina, elle est jeune et belle, bien sûr, mais il dit d’elle plusieurs fois qu’elle est da una bela salute, elle a une belle santé. J’aime beaucoup la formule. Bon, il va vite lui découvrir beaucoup de défauts, il finira même par l’insulter et lui lancer des cailloux – c’est à peu près le seul moment où il fait preuve d’énergie. En tout cas, il ne s’agit pas vraiment d’une différence d’âge, puisque Amalia et Emilio sont des trentenaires, comme moi, Angiolina est une vingtenaire, comme toi, mais déjà sacrément expérimentée.

– Ça c’est de l’histoire d’amour ; ça fait envie !

– Ah ah, la fin est monumentale. Dans ses souvenirs, Emilio finit par donner à Angiolina le caractère de sa sœur, il lui confisque sa belle santé et la contamine, en quelque sorte, en lui donnant le virus de la tristesse et de la lucidité.

– … et ils disparurent dans l’absence, allant rejoindre la femme au balcon et la vieille à Emmaüs ! Moi je trouve ça macabre et barbant. Je ne sais pas à quel âge vous étudiez ça, mais tu ne crois pas que ça peut déprimer les élèves !

– Oui, c’est magnifique et terrifiant. Je ne sais pas ; ça peut traumatiser, ça peut aussi inspirer. Et ça pourrait même parler à certains ou à certaines.

– À quinze ans, si je me souviens bien, on a envie d’histoires et d’action, parce qu’on est encore un peu enfant et on a besoin de modèles ou de chemins, parce qu’on est bientôt adulte et qu’on n’a aucune idée de ce qu’on doit faire. Je dis une connerie ?

– Tu poses une question tellement difficile. Qu’est-ce que peut l’art ? Qu’est-ce que doit la littérature ? Est-ce que les artistes et les auteurs ont un rôle ou une mission ? J’aimerais bien avoir une petite réponse compacte qui tiendrait gentiment dans une phrase, mais c’est une question vertigineuse.

– Essaye quand même. J’imagine que tes étudiants vont te poser la question chaque année.

– Disons que l’art m’intéresse quand il bouscule, quand il provoque. Prends un Caravaggio, qu’il le fasse sciemment ou pas, il brouille les frontières, frontières entre le divin et l’ici-bas, entre le bien et le mal, le sacré et le profane, le mystique et l’érotique, comme s’il soupçonnait le caractère simpliste de ces oppositions et même entre le masculin et le féminin, entre la lumière et les ténèbres, il montre que tout s’emmêle.

– Oui, c’est le saint aux pieds sales, le petit joueur de luth aux traits féminins et le chiaro-obscuro.

Il chiaroscuro, oui ! Tu apprends vite. Et Svevo, plutôt que de décrire la joie, la réussite, le partage, il décrit la fatigue, l’ennui, l’incompréhension, peut-être pour dénoncer l’hypocrisie et la violence qui sont souvent derrière le succès. C’est comme si tout s’entremêlait. En fait, je ne pense pas que l’art entremêle les choses, disons qu’il donne à voir l’entremêlement. Voilà, l’art n’obscurcit pas, il éclaire l’obscurité, mais sans la remplacer par la lumière.

– J’aime bien la formule. Je crois que je commence à mieux comprendre. Caravaggio présente l’absence, comme tu dis. Par exemple, il montre la vieille femme, c’est discret, elle ne fait rien, rien sur elle n’accroche le regard, et normalement, sauf si on s’appelle Alomè, on ne la voit pas parce qu’elle est transparente. Sauf que si, justement, elle finit par crever la toile. Imagine un truc, le peintre fait l’appel de ses modèles : – Jésus ? – Présent ! – Aubergiste ? – Présent ! – Disciples ? – Présent ! – Présent ! Et puis il demande encore : – Vieille femme ? Et là, elle répond – Absente ! Mais personne n’entend, sauf certains...

– Ah ah. J’aime bien la scène aussi.

– Quand même, je ne peux pas m’empêcher de me poser la question du “à quoi ça sert ?”. Je ne suis pas sûr de voir l’intérêt de peindre l’absence ou d’écrire la vie d’un raté ? Voilà, ce que je veux dire, c’est, pourquoi pas démêler plutôt. Ou bien est-ce que ceux qui cherchent un guide ou veulent comprendre un peu, genre moi, doivent aller voir ailleurs que dans l’art ?

– D’abord tu dois savoir que je n’ai pas les réponses, je suis moi aussi encore en train de chercher. Ensuite il faudrait commencer par réfléchir aux raisons qui nous poussent à vouloir des réponses. Tiens, prends l’exemple de la Cena in Emmaus

– Euh… dis-moi, Alomè, à propos de Cena, on n’irait pas grignoter un truc ? J’ai le cerveau plein mais l’estomac vide.

– D’accord, j’aime bien la formule aussi. En haut, c’est comme en bas, il faut prendre le temps de digérer. Viens. On ne va rien trouver de frais, mais on va pouvoir se faire des spaghetti aglio e olio.

– Mais ta tante, elle est souvent absente ?

– Ah Assenzia ? C’est encore toute une histoire.

Partager cet article

Repost0
25 octobre 2025 6 25 /10 /octobre /2025 03:33

Une étude très sérieuse publiée en 2023 dans le World Journal of Men’s Health montre qu’en quelques années, la taille moyenne du pénis a augmenté de 24%. Un rapport de l’INSERM datant de 2024, tout aussi sérieux, constate une diminution de la fréquence des rapports sexuels de 15 points en 20 ans.

C’est ballot !

Quant à l’augmentation de 0,5 point du taux des droits de mutation à titre onéreux applicables aux ventes de biens immobiliers, elle semble ne pas avoir de rapport, disons, être sans lien.

Partager cet article

Repost0
24 octobre 2025 5 24 /10 /octobre /2025 03:09

L’infini, infiniment impensable, qui déborde de partout, qui défie l’imagination et affole les compteurs, tient pourtant dans un tout petit symbole. Puissance admirable des mathématiques ? Ou arrogance grotesque ?

Partager cet article

Repost0
23 octobre 2025 4 23 /10 /octobre /2025 03:19

– Tu vois, j’ai envie de te dire, je préfère l’ombre à la lumière. C’est mon côté nietzschéen. Par contre, je crache pas sur un bon gros son.

– C’est sûr qu’à midi, tu la ramènes moins. Et aussi, laisse tomber, je ne suis pas intéressée.

– Ça va, pimbêche, va pas t’imaginer des trucs, lança Projecteur à Enceinte, énervé et le câble entre les pieds.

Partager cet article

Repost0
22 octobre 2025 3 22 /10 /octobre /2025 03:06

Le bateau, la limace, le tracteur, une tranche de mortadelle de chez Robert et Robert, l’écrivain, la blessure, le peigne.

Trouvez l’intrus dans cette belle famille unie.

Partager cet article

Repost0
21 octobre 2025 2 21 /10 /octobre /2025 03:07

– M. : C’est fini, je te quitte et cette fois, je ne reviendrai plus.

– R. : Comme tu veux.

– LSD. : Sérieusement ! C’est tout ce que ça te fait ?

– R. : Elle me fait le coup régulièrement, mais chaque fois, elle revient, allante et parfumée.

– LSD. : Ah bon ? Et pendant qu’elle n’est pas là, comment tu fais avec les petits ?

– R. : Rien, ils s’occupent tout seuls, souvent, ils jouent dans la vase.

Effectivement, douze heures plus tard, Le Spectateur Désœuvré constata que Mer remontait pour déferler joyeusement sur Rivage.

Partager cet article

Repost0
20 octobre 2025 1 20 /10 /octobre /2025 03:44

– Allez, on va quand même faire un petit tour virtuel à la Pinacoteca di Brera. Je vais te montrer la Cena in Emmaus, le “Souper”, comme vous traduisez, même si, en cinq ans, je n’ai jamais entendu un seul Français utiliser le mot, ni comme verbe ni comme nom. L’avantage de la tablette, c’est que je vais pouvoir te montrer aussi la version de la National Gallery, à Londres. Tiens, on va faire un jeu. Je te montre les deux versions et tu me dis ce que tu en penses, non.

– Sans hésiter, je préfère ce tableau-ci, avec quatre personnages. L’autre est sombre et triste, celui-ci est lumineux et il y a plein de choses à voir. Techniquement, c’est incroyable, les pommes, le raisin, la veste déchirée, c’est tellement réaliste. Et j’adore la dynamique, on dirait que le personnage de dos va se lever. Et puis la main du personnage de droite qui s’avance vers le spectateur, c’est comme dans les films 3D, on a l’impression qu’elle va sortir du tableau. Je préfère celui-ci, l’autre, je crois que je n’aurais pas grand-chose à en dire. C’est ça ?

– Je te laisse parler, je ne veux pas t’influencer. Tu as le droit de dire ce que tu veux, tu as même le droit de te tromper…

– D’accord. J’aurais dû dire le contraire. Pourtant, tu es d’accord avec moi que celui-ci est plus coloré, plus riche, plus spectaculaire.

– Oui, je suis d’accord, et c’est pour ces raisons qu’il est moins puissant, moins révolutionnaire. C’est la version londonienne, il date de 1601, Caravaggio est presque au sommet de sa gloire, non. On va dire qu’il en rajoute un peu. Il “surpeint”. C’est un virtuose, tu comprends, et il le fait savoir. Donc tu as raison, il sait tout peindre, regarde l’osier de la panière, c’est extraordinaire, regarde les pommes, on a envie d’en croquer une, sauf la première qui est abimée, et le coquillage sur la veste du disciple, de loin, on pourrait penser que c’est un vrai qui a été collé, et le raccourci de la main gauche du disciple, effectivement, elle sort littéralement du tableau. En fait, techniquement, c’est un festival de tout ce que tu apprends à peindre dans les ateliers, le bois, la porcelaine, le verre, la peau, les cheveux, les tissus, etc., c’est à rendre fou les élèves à qui on demanderait de reproduire ce tableau. Caravaggio est un surdoué, mais la virtuosité ne fait pas le génie, non.

– Montre-moi alors le génie dans l’autre version, celle qu’on aurait dû aller voir.

– Oui, l’autre version date de 1606. Caravaggio vient de s’enfuir de Rome – tu te souviens qu’il est accusé de meurtre – ou peut-être qu’il est sur le point de s’exiler, c’est ce que je crois parce que la vieille femme est un de ses modèles romains, mais ce n’est pas important. Regarde son visage justement, elle ne semble pas vraiment concernée par ce qui se passe et ce qui va se passer. Au fait, tu connais l’histoire ? le passage de la Bible ?

– Non, figure-toi que je n’ai pas eu le temps de lire la Bible depuis hier.

– Ah, c’est vrai. Donc, Jésus vient de ressusciter et ses deux disciples qui ne l’avaient pas reconnu, comprennent soudainement que c’est bien lui, mais il va disparaitre à nouveau, et rejoindre son Père, pour l’éternité. Donc regarde, cette vieille servante, elle a l’air ailleurs, dans ses pensées ou plutôt dans sa vie pénible et sans joie. Ce qui est curieux, c’est que Caravaggio ait ajouté ce personnage par rapport à la version de Londres. Pourquoi ?

– Et oui. Pourquoi ?

– Attends, je te pose la question autrement. Regarde tous les visages. Qu’est-ce qu’ils expriment, je veux dire qu’est-ce qu’ils pensent de ce qu’il se passe ? Imagine que c’est une BD et que tu remplis les bulles.

– OK. Alors la servante, ce n’est pas qu’elle s’en moque, mais elle a ses propres problèmes, elle ne dit rien et probablement ne pense à rien. Elle est d’ailleurs la seule à ne pas regarder Jésus. C’est vrai, on se demande bien pourquoi il l’a ajoutée ? Ensuite, il y a l’aubergiste. Lui, il est plutôt curieux, peut-être qu’il ne connaît pas bien Jésus, qu’il ne sait pas qu’il a été crucifié et qu’il a ressuscité. Tu as raison, à bien regarder, je préfère l’attitude qu’il a dans le deuxième tableau, on dirait qu’il se dit : “vas-y mon gars, il paraît que tu fais des miracles, montre un coup qu’on rigole”. Et il y a les deux disciples, qui comprennent subitement ce qui se passe. Dans le premier tableau, ils sont choqués, le premier de dos, on l’entend dire “WTF !”, enfin, un truc comme ça, il saute de sa chaise, littéralement. Dans le deuxième tableau, c’est une émotion plus intériorisée, disons spirituelle.

– Très intéressant. Je te résume : indifférence fatiguée de la servante, méfiance curieuse de l’aubergiste et surprise ou saisissement ou stupeur des disciples ou illumination. Pas mal. Et le Christ ?

– Le Christ de Londres, il fait un peu son show, il est dans la lumière avec ses beaux habits rouges ; dans la version de Milan, je ne sais pas, il a l’air triste ou grave, il est à moitié dans l’ombre.

– Tout à fait. Le premier rappelle le miracle extraordinaire de la résurrection qui a eu lieu et le deuxième annonce le mystère incompréhensible de la disparition qui va avoir lieu. Maintenant, on revient à la servante, non. Regarde bien. Sur les deux tableaux, l’événement est inscrit dans une sorte de triangle rectangle et Jésus occupe le milieu du grand côté.

– Ça s’appelle l’hypoténuse, si je me rappelle bien le cours de madame Lambert.

– Tu as raison, soyons précis. Et là, à Milan, on a un cinquième personnage qui n’est pas dans le triangle, qui ne regarde pas Jésus et…

– et…

– … et qui n’est pas un homme.

– D’accord avec tout. Qu’est-ce que tu en déduis ?

– Beaucoup de choses intéressantes, par exemple la place marginale des femmes dans la religion et la société en général, à cette époque, mais je vois quelque chose de plus profond encore. Je vois l’absence.

– Tu vois l’absence. Alomè voit l’absence !

– Mais tu l’as dit toi-même. Le tableau manque de tout ce qui occupe brillamment la version de Londres. La table s’est vidée, plus de pommes ou de poulet, la lumière a baissé, Jésus a commencé à se retirer, il s’enfonce dans l’ombre, et une grande partie du tableau, disons un petit quart, est tout noir. D’autres auraient mis une fenêtre ouvrant sur un paysage, une décoration accrochée, un second plan, éventuellement des signes pour aider à comprendre ce qui va se passer. Non, Caravaggio peint une absence, une absence dont la présence gagne du terrain.

– C’est vrai, mais la présence de la servante contredit un peu ta théorie de la disparition.

– Non, elle la confirme.

– Ben, non !

– Si. La servante représente une autre absence, elle présente l’absence, elle est la présence douloureuse et triste de l’absence. Et c’est une absence ordinaire, quotidienne, féminine, allez, humaine aussi, qui n’intéresse personne, dont on ne parle pas, dont on ne se plaint pas, qui ne mérite pas une seule ligne dans la Bible. Mais c’est une absence incarnée. Et Caravaggio peint ça !

– Je ne suis pas sûr de te suivre. Comme souvent, je pense que tu exagères, mais je ne trouve pas les arguments pour te contredire.

– Nov, je n’exagère pas, et même, je me contiens. Je retiens ma colère, parce que ça me met en colère, ça. Je vais te raconter quelque chose. Déjà, toute petite, j’adorais les images, photos ou tableaux. Dès que j’en trouvais, je les découpais et les collais dans un cahier. Certains font des herbiers, moi je faisais des sortes de catalogues. Et dans un de mes cahiers, il y avait un tableau qui me terrorisait. Tu vas être surpris. Attends que je te le trouve, il est à Orsay. Je le regardais souvent, mais à chaque fois, je passais très vite dessus tellement il provoquait en moi des sentiments complexes d’angoisse, de révolte, de jalousie, de haine. Je sais que tu vas être étonné. Regarde, c’est ce tableau.

– Oui, j’ai déjà vu ce tableau. Bof ! C’est bien dessiné, mais ça ne m’inspire pas grand-chose. On dirait un peu une photo ancienne trouvée au fond d’un tiroir. Mais je ne vois pas ce qu’il a d’angoissant. Je trouve ça plutôt ridicule, tout semble codé, comme la vie dans certains milieux bourgeois, les habits, les gestes, les rôles. C’est qui le peintre, déjà ?

– C’est le Balcon de Manet. À chaque fois, ce tableau me faisait peur et en même temps me donnait la rage, non. J’avais peur pour les femmes de mon entourage – plus que pour moi, d’ailleurs, parce que curieusement, je ne me sentais pas exposée, à tort, peut-être –, peur qu’on les efface, elles aussi, et cela me mettait en colère parce que je voyais très bien le coupable. Tu vois cet immonde personnage masculin qui se tient debout, un peu en retrait, lui là, il s’impose et impose tout, son regard, son espace, son odieux machisme, sa posture ridicule, sa cravate grotesque, il est dans une hyperprésence. Il espère sans doute compenser sa taille réelle, parce que chez lui, évidemment, tout est petit, tout est minuscule, tout est étroit et ratatiné, oui mais voilà, c’est un homme et il écrase tout. C’est ça qui est insupportable, il est fermé et en plus il enferme tout. Tu ne peux pas imaginer à quel point je le détestais.

– Alomè ! Je vois bien que tu ne plaisantes pas, mais tu ne crois pas que tu vas un peu trop loin dans l’interprétation.

– Bien sûr que je vais très loin ! Je continue quand même. Regarde les deux femmes. À gauche pour nous, il y a une femme assise, on sent qu’elle n’a pas encore disparu, je devrais dire qu’elle n’est pas encore disparue, tu es d’accord ?

– Oui, d’ailleurs, c’est drôle, au Mexique, quand on parle des disparus, tu sais, ceux qui sont tués ou kidnappés par les narcos, on dit aussi qu’ils sont ou ont été disparus, están desaparecidos ou fueron desaparecidos.

– Oui, j’ai entendu parler de ce problème dans le film d’Audiard Emilia Peréz. C’est terrible, ça aussi. Pour les femmes du balcon, à la fois on les fait disparaître et à la fois elles s’y résignent. Celle qui est assise résiste encore, il y a encore un peu de rêve et de désir en elle, peut-être même un peu de gaité, un tout petit peu, non. Mais chez celle qui est debout, c’est fini, on l’a éteinte, on l’a étouffée et elle s’absente, sans faire de bruit, sans appeler.

– C’est vrai, je suis d’accord quand tu me montres les choses. Je comprends, mais ça reste difficile de ressentir les choses comme toi, d’autant que moi, je suis entouré de femmes qu’on ne peut pas éteindre, Mam, Vera, toi, Olga… Mais tu crois que Manet pensait à tout ça ?

– Non, enfin pas exactement. On sait qui sont les modèles qui ont posé pour lui. La femme debout, c’est une de ses amies, une violoniste talentueuse qui n’a rien de la “nigaude” ou de la “godiche” – c’est comme ça qu’elle est toujours décrite – du tableau.

– Donc, tu interprètes.

– Oui. Je lis, je traduis, je compare, j’imagine, et je me souviens. Allez, on arrête avec ce balcon, ça me fait monter une mauvaise énergie. On oublie la tablette, la palette et … quel était ton troisième -ette ?

– Branlette ?

– Non ! Nov, tiens-toi un peu ! C’était statuette. On va faire un peu de lecture, après on ira voir dans la cuisine de ma tante Assenzia si on trouve de quoi manger pour notre “souper”. Et après, on verra. Un peu de lecture ensemble d'abord, avant que toi, tu ne disparaisses comme un voleur demain et sans doute pour toujours, non.

– Si je peux me permettre, tu en sais beaucoup plus que moi sur le passé, OK, mais sur l’avenir, on est à peu près à égalité.

– Je te l’accorde. Donc, puisque tu vas à Trieste demain et qu’on ne sait pas ce qu’il pourrait nous arriver après-demain, je vais te parler ce soir du grand Svevo, Italo Svevo.

– Encore un Italo ? Quelle imagination !

– Cette fois, c’est un nom de plume qu’il s’est lui-même donné parce qu’il n’aimait pas son vrai nom, Aron Hector Schmitz. Il voulait rappeler ses racines italienne et souabe parce qu’il naît en Autriche-Hongrie et meurt en Italie. À Trieste.

– Et il naît où ?

– À Trieste, qui était devenue italienne entre-temps. Il a changé de nationalité et de pays, mais sans bouger. D’ailleurs, trouver sa place, ça sera le problème de sa vie et, en un sens, celui de ses personnages. Et cela nous mène à cette figure que l’on trouve dans presque tous ses livres, l’inetto. Enfin, dans les deux que j’ai étudiés au lycée. Le plus connu, tu en as peut-être entendu parler, c’est la Conscience de Zeno, mais je veux te parler de Senilità.

– Désolé, jamais entendu parler ni de Zeno ni de Svevo. Pas au programme dans les lycées français, en tout cas, il n’était pas sur ma liste de textes au Bac.

– Allez, viens sous la couette, je vais te faire la lecture. Emilio Brentani era un inetto

Partager cet article

Repost0
19 octobre 2025 7 19 /10 /octobre /2025 03:49

L’autocensure nous emportera tous, habilement et sans violence. L’heure est grave et je décide de résister. Je vous parle souvent du chat de la voisine dont je m’occupe le mercredi. Eh bien, la vérité est qu’il ne s’agit pas du chat ni du chien ni du poisson de la voisine, mais de sa chatte. Pourquoi le taire ?  

Partager cet article

Repost0
18 octobre 2025 6 18 /10 /octobre /2025 03:48

– Dis donc, Tom, tu t’es lavé aujourd’hui ?

– Non maman.

– Et hier ?

– Non plus.

– Mais tu es un petit cochon. Et la dernière fois que tu t’es lavé, c’était quand ?

– Lundi.

– Quoi ! Mais nous sommes samedi.

– Mais c’est Papa !

– Ça y est, c’est encore de ma faute, qu’est-ce que j’ai fait, demanda monsieur Héraclite ?

– Tu dis toujours qu’on ne se baigne jamais deux fois dans la même semaine.

Partager cet article

Repost0
17 octobre 2025 5 17 /10 /octobre /2025 03:03

Une fois n’est pas coutume, je vais en parler.

Ainsi donc, le père et ses proches ont cédé les clés. D’accord, c’est sous la contrainte et par calcul, mais pourquoi pas, ça signe une certaine maturité. Le plus terrible serait alors qu’on voie les filles et les fils de l'assemblée retourner vers papa en pleurnichant : « oui ben, il m’a tiré les cheveux » ; « c’est parce qu’elle m’a traité » ; « même pas vrai », « en plus, il m’a volé mon goûter »…

Partager cet article

Repost0
16 octobre 2025 4 16 /10 /octobre /2025 03:13

Mesures de justice sociale, contraintes budgétaires. Je suis vraiment partagé, pensait-il.

De fait, sa moitié gauche tourna rue de la Huchette et sa moitié droite emprunta la voie Louis Merlan ; à clochepied au début, en roulant ensuite, puis en rampant comme elles pouvaient.

La situation était vilaine à voir et devait être douloureuse à vivre. Cela explique sans doute l’issue fatale. Chaque moitié s’étrangla ; c’est plus long avec une main seulement mais possible malgré tout.

Partager cet article

Repost0
15 octobre 2025 3 15 /10 /octobre /2025 03:57

J’avais envie de vous parler d’autocensure, mais quelque chose me dit que ce n’est pas le moment.

Partager cet article

Repost0
14 octobre 2025 2 14 /10 /octobre /2025 03:04

Dix mille pas par jour ! Bravo, joli plan ! Et combien de lignes ?

Partager cet article

Repost0