En hommage à Paul Géraldy peut-être, ou par prudence, elle s’était fait tatouer Toi & Moi au bas du dos.
En hommage à Paul Géraldy peut-être, ou par prudence, elle s’était fait tatouer Toi & Moi au bas du dos.
L’imagination est la seule chose qui nous sépare encore des intelligences artificielles, dit-on pour se rassurer. Soit. J’imagine alors qu’on la garde dans un endroit secret et qu’on la réserve pour les grands moments.
C’était mieux avant ! c’était mieux avant ! répète ad nauseam une bande de crétins décrépits. Ah oui ? Et avant, est-ce que vous pouviez goûter aux quatre saisons en une semaine ?
Arbres, je vous aime !
La vengeance est une preuve d’intelligence, peut-être, mais un manque d’ambition assurement.
Découverte extraordinaire des architectes et urbanistes pressés de réfléchir après les épisodes caniculaires. « Mettons des volets aux fenêtres. » « Oui, et plantons des arbres dans les rues. »
La révolution est en marche…
– Mais qu’est-ce qu’ils ont tous avec le moche, maintenant, râla une vieille pomme de terre à la peau fripée et vilainement tachée ?
– C’est vrai ça, reprit une carotte tordue et poilue, avant ils nous foutaient la paix, il leur fallait du brillant, bien rond ou bien droit et toujours de la même taille.
– Oui, c’est tout eux, ça ! Le moche d’hier est tendance aujourd’hui et le beau d’aujourd’hui sera ringard demain. Cela dit, nous, on ne va pas s’en plaindre, conclurent une paire de croc et ses chaussettes.
L’oubli est cette faculté qui distingue le vivant de la machine. La machine n’oublie pas ; d'ailleurs, elle ne se souvient pas non plus, elle fige. Éventuellement, elle perd tout.
– Bonjour tout le monde, vous avez bien dormi ? Pas de cauchemar, Laurence ?
– Non, merci Manon. J’ai mal aux fesses, mais je dois ça à ma selle et pas à la visite nocturne d’un petit crabe. Mais quand même, quelque chose m’a turlupiné pendant une bonne partie de la nuit. Le cloaque des holothuries, comme tu dis, donc, il fait chambre d’hôtes, garde-manger et ventilateur, OK. Il n’aurait pas aussi une fonction sexuelle, par hasard ?
– Tu m’amuses avec tes questions. Non, je te rassure, pas de reproduction par pénétration anale, tout se fait à l’extérieur. Les holothuries libèrent leurs gamètes (spermatozoïdes pour messieurs et ovules pour mesdames) et la fécondation se fait dans l’eau, au gré des rencontres, ce qui complique les recherches de paternité.
– En tous les cas, c’est sympa d’accueillir comme ça des pèlerins fatigués ou des bébés attaqués, même si j’imagine que rien n’est gratuit.
– Disons que les relations sont diverses. Il y en a qui ne font que passer, d’autres qui s’installent, parfois en couple, pour se reproduire à l’abri des regards et des prédateurs, il y en a qui font le ménage et puis il y en a même qui leur croquent un bout d’intestin. Bon, ce n’est pas non plus une auberge espagnole ouverte à tout vent, enfin à tout courant. Parce qu’il y a une autre bizarrerie. Je peux t’en parler puisque tu dors bien. Curieusement, d'un côté, leur bouche est bordée de tentacules qui les aident à trouver leur nourriture et qui pourraient ressembler à un bouquet d’hémorroïdes bien fleuri et de l’autre côté, leur anus est parfois garni de dents. Pas pour mastiquer, évidemment, mais pour se défendre.
– Oh non, c’est pas vrai, mais qui a pu inventer un monstre pareil ! Mais quelle horreur ! J’ai bien l’image, là, et je ne peux pas m’empêcher de faire un transfert. J’espère juste que je ne penserai pas à ça la prochaine fois que Paco… enfin. Ces boudins sont diaboliques. Je ne sais pas si ça ressemble plus à un énorme pénis ou à un étron de géant.
– Oui, peut-être, tu n’es pas la seule à penser ça. Il paraît qu’en Érythrée on les appelle zubb al bahr ; en arabe, bahr, c’est la mer, zubb, je te laisse deviner. D’ailleurs, Magali, ces concombres ont une autre particularité qui va t’étonner, c’est le durcissement. Ces mollassons peuvent devenir durs comme la pierre, mais ce n’est pas ce que tu penses, c’est encore un moyen de défense.
– Ah, ah, oui c’est troublant ! Mais quand même, ne me dis pas que tu trouves ça beau ou séduisant.
– Pour les qualités esthétiques, c’est drôle, j’en parlais avec ma mère il y a peu et elle m’a rappelé que quand j’étais toute petite, à la garderie ou à la maternelle, je tombais toujours amoureuse du plus moche. Le loser, harcelé, souvent malade et maladroit, myope ou asthmatique, en retard sur les apprentissages, c’était pour moi. Et je le défendais.
– Oui alors ça, c’était avant. Avant que tu rencontres Clèm, si je puis me permettre, parce que là, on est plutôt dans la catégorie élite. Premier de classe et en plus, super BG !
– Ah, tu trouves ? Alors, sincèrement, je vais t’avouer un truc, je ne vois pas ces choses-là. Vraiment. Comment t'expliquer ? Je ne pourrais pas te dire si Nov est mignon ou pas, si Paco est beau ou pas. Pour revenir aux holothuries, jamais je ne dirai qu’elles sont moches, ni belles d’ailleurs. Ce qui me sidère, ce sont les solutions qu’elles ont “inventées” pour résoudre les problèmes de nutrition, de reproduction, de défense et de relation avec les voisins. C’est ça qui me frappe avant tout, cette incroyable diversité du vivant. Elle est là la beauté pour moi, dans cette imagination délirante qui a conduit à des formes et des processus impensables. Bon, revenons à nos moutons.
– Oui, quel est le programme du jour, Manon ?
– Alors, on finit tranquillement le petit déjeuner, je vois d’ailleurs que la vie des concombres ne vous a pas coupé l’appétit. Tranquillement, mais sans traîner quand même, c’est l’étape la plus longue, avec pause déjeuner à Rouen et coucher à Poses, charmant village de bateliers, il y a d’ailleurs un petit musée de la batellerie qui pourrait t’intéresser Laurence. On aura aussi un bac à prendre pour changer de rive, décidément, c’est ta journée, Laurence.
– Un bac, chouette, s’illumina Laurence. Je sais que c’est mal de penser ça, mais je rêverais qu’il tombe en panne et que je puisse aller mettre les mains dans le cambouis.
– Désolé, mais ce n’est pas une transat, cinquante mètres de traversée au maximum, ça devrait bien se passer.
– Manon, sur Google Maps, ils indiquent aussi un zoo, tu en penses quoi, demanda Nov ?
– Oui, c’est Biotropica, je connais. Alors, d’abord, on ne dit plus zoo, on dit jardin animalier. En général, quand on change les mots, ça cache quelque chose. Bon, c’est vrai que c’est l’occasion de voir des preuves de cette imagination délirante dont je parlais, des zorilles, des tamanoirs, le dragon de Komodo et l’inévitable panda. Je comprends le succès de ces lieux et heureusement, les choses ont changé, les animaux ne sont plus en cage, ils sont bien traités, ils sont suivis par des vétos et souvent, le parc soutient et accompagnent des programmes de recherche. Il reste que ce sont des exilés, et même des exilés climatiques. Je veux dire que ces déplacements, c’est pour les protéger de la déforestation, des trafics divers ou de l’exploitation commerciale.
– Tu veux dire que dans un monde parfait, il n’y aura pas de zoos, dit Laurence. OK, mais il y a un truc qui me gêne dans ta vision. Je sais que tu vas trouver l’argument pour me contredire, comme d’habitude, mais j’essaie quand même. Dans ton monde parfait, il y a les scientifiques qui vont nager avec les baleines, danser avec les loups et taper la causette avec les Bonobos. Et de l’autre côté, il y a le peuple, qui reste dans l’ignorance et doit se contenter de ce que les savants ont la grande amabilité de leur raconter.
– Non, ce n’est pas ce que je veux dire. C’est compliqué et je pense que, compte tenu de la situation dégradée, ces lieux deviennent des sanctuaires nécessaires. Et je ne te cache pas que j’emmènerai Lucas dès que j’en aurai l’occasion. Mais dans ce brouillard, il reste une chose à laquelle je tiens et François Sarano le répète souvent. C'est bien que ce soit lui qui dise ça, d'ailleurs, lui qui se rapproche tellement des animaux. Il dit qu’une frontière infranchissable nous sépare du monde sauvage. C’est difficile à poser pour un scientifique et pourtant, ça me paraît fondamental. Il faut accepter que quelque chose nous échappe. Un cachalot, ce n’est pas un moteur qu’on peut démonter, une holothurie, ce n’est pas une machine qu’on peut réparer.
– ... et une Manon, ce n’est pas une Laurence, enchaîna Magali.
– ... oui mais nous, on a la chance d’avoir les deux dans l’équipe. Au fait, Laurence, glissa Nov innocemment, tu ne nous as pas beaucoup parlé de toi.
– Entièrement d’accord, confirma Magali. Tiens par exemple, pour changer de niveau, une question idiote comme je les aime. Si tu devais choisir entre ton gros moteur et ton petit mari, tu garderais qui, demanda Magali, très fière d’elle ?
– Ouh là, je suis un bipède et j’ai besoin des deux pour garder l’équilibre. En fait, plus j’écoute Manon et plus je comprends que je ne suis pas une scientifique. Je suis une technicienne et pour moi, dans les histoires humaines, les relations politiques, les corps, les esprits, etc., il y a deux états possibles, ça marche ou ça ne marche pas. Ça peut manquer de nuances, mais ça ne veut pas dire que c’est toujours simple. Avec un moteur, quand ça marche, je surveille, j’écoute, je vérifie, j’anticipe, et quand ça ne marche pas, j’observe, je réfléchis, je diagnostique et, si je peux, je répare. Eh bien, dans la vie, je fais pareil. C’est pour ça aussi que je parle moins que vous, quand ça va bien, j’observe et j’écoute, après je m’arrête là, je ne fais pas de diagnostic et je ne traite pas, parce que je ne suis ni psychologue ni médecin. Mais dans ma vie, quand ça ne marche pas, quand il y a un problème, je cherche les causes du dysfonctionnement ou de la panne. J’ai une vision assez mécaniste de la vie et des rapports humains, j’imagine des courroies, des durites, des pistons, des signaux envoyés et reçus ou pas reçus. Quand ça ne marche pas dans ma vie, je cherche la cause, ce qui est cassé ou usé, et j’essaie de réparer.
– Je confirme, c’est tout toi ça. Je me demande même si tu ne cherches pas les problèmes parfois, juste pour les régler.
– Je ne dirais pas que je cherche les problèmes, mais, c'est vrai, ils m’attirent en un sens. En fait, j’adore les pannes. Au début de notre relation avec Marc, on faisait beaucoup de sorties motos, nous sommes deux motards. Évidemment, une virée de trois jours avec dix motos, statistiquement, tu as au moins un problème mécanique. C’était mon moment préféré.
– J’ai l’impression que tu sors de moins en moins ta moto et de plus en plus ton vélo. Non ?
– Exactement. Et j’ai l’explication. Avec le temps, on a eu plus d’argent, on avait des motos plus neuves, on partait moins longtemps, moins loin. Bref, les pannes ont commencé à se faire rares et les sorties à m’ennuyer.
– Et c’est pour ça que tu as préféré faire des virées vélo avec moi, pour essayer de régler ma panne conjugale !
– Ah ah, non, non, non. Je crois que tu es une excellente mécanicienne du cœur et que tu as fait de l’autoréparation, Magali. Et avec succès je dois dire. Bon, tu t’es un peu perdue au début, en soulevant le capot, mais tu as expérimenté plein de trucs et voilà le résultat. Tu es belle, tu es drôle et tu es puissante. Je te le dis sincèrement, je t’admire.
– Oh les filles, arrêtez, je vais pleurer. Je vous aime tellement.
– Je crois aussi que Paco a su réparer quelques durites et analyser les signaux, ajouta Nov en riant. En tous les cas, je suis content d’être là, avec vous et de vivre ces moments d’amitié. J’aime bien l’idée aussi que vous soyez si différentes et pourtant si proches. C'est exactement comme moi avec Vera.
– Ah, ça faisait longtemps, le retour de Vera bella !
« Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. »
C’est Pascal qui a écrit cela il y a presque cinq cents ans. C’est promis, je n’y suis pour rien, mais manifestement, il avait des contacts bien informés parmi mes contemporains.
Merci étranger pour ton beau rire franc ce matin quand on s’est surpris à sursauter en même temps au bruit d’un pétard. J’ai ri aussi, avec aussi peu de raisons que toi.
– V. C. 1 (consterné) : Tu as vu les deux gamins, rivés sur leur téléphone, ils n’ont même pas dix ans.
– V. C. 2 (affligé) : C’est consternant ! Et là, regarde l’ancien, quel âge peut-il avoir, soixante-quinze ans, et il est plongé dans la lecture du catalogue des promotions de Leclerc.
– V. C. 1 (accablé) : C’est affligeant, Homo sapiens sapiens est en voie d’extinction !
– Les deux gamins et l’ancien (en chœur, in petto et sans même lever le nez) : Tiens deux vieux cons, ça, tu peux être sûr que c’est une espèce protégée.
Allez, puisque l’on est entre nous, je vais vous faire une confidence peu glorieuse. Il m’arrive parfois d’avoir de mauvaises pensées. Tenez par exemple, ce matin, j’étais Plaça de Catalunya à Barcelone et j’imaginais (le plus grave, c’est que je n’en ai même pas honte) des pigeons géants fondant sur des enfants pour les effrayer.
– Regarde ce flamboyant, c’est juste… comment dire ?
– ... rouge flamboyant et le code hexadécimal, c’est #C53634.
On peut ne pas être d’accord, mais moi, je pense que l’aventure humaine aura été un échec. Allez, ce n’est peut-être pas encore perdu, on peut imaginer un sursaut. Admettons. Mais il y a pire. Là je dois avouer que je n’ai aucune preuve et que c’est invérifiable, mais je crois que si on avait une deuxième chance, on aboutirait au même résultat. La puissance a quelque chose de fascinant, c’est ainsi. Ce que dit très bien un grand poète contemporain, riche et puissant : ils veulent tous « me lécher le cul (kiss my ass) ».
– Et voilà ! Jumièges ! Première étape terminée, annonça Manon. On passe la nuit au Clos des Fontaines. Ce n’est pas donné, mais on voulait un peu de confort. Vous pouvez aller faire un tour à l’abbaye, c’est à trois minutes à pied, ou bien profiter de la piscine. Moi, je vais faire un petit footing de récupération parce que j’ai un peu forcé dans les derniers kilomètres. Profitez du luxe, demain c’est camping. Ça va, Nov, pas trop fatigué ?
– Ça va, il avance tout seul ce vélo. Parfois je réduis le niveau d’assistance pour bosser un peu quand même.
– C’est vrai aussi que tu as plus téléphoné que pédalé, plaisanta Magali. J’ai essayé de t’appeler trois fois, c’était toujours occupé.
– Ah, pardon ! Quinze jours sans communication, ça a été un peu long. J’ai appelé deux fois mon amie Vera et une fois ma mère.
– Nov, tu fais ce que tu veux et si tu te fais harceler, n’hésite pas à bloquer Magali, dit Laurence.
Manon partit courir, Laurence et Brad allèrent visiter l’abbaye et Magali opta pour un Spritz au bord de la piscine. Puis tout le monde se retrouva pour dîner vers vingt heures.
– Alors, les sportifs, jamais fatigués. Viens t’asseoir à côté de moi Nov, que nous fassions connaissance. Tu m’intrigues. Ne t’inquiète pas, je vais me tenir, c’est juste que je suis curieuse. Je ne sais pas d’où tu viens, ce que tu fais dans la vie, pourquoi tu fais un tour du monde et surtout, qui est cette Vera dont tu parles tout le temps…
– Je suis d’accord, on n’a pas eu le temps de beaucoup parler, mais je n’ai rien d’extraordinaire à raconter, tu vas être déçue. Je suis né à Saint-Cloud, mon père est conseiller culturel, donc j’ai beaucoup voyagé et ma mère est prof de littérature. Moi, disons que je me cherche, je suis en commerce international, mais ça m’ennuie de plus en plus et je crois que je vais arrêter, mais je ne sais pas quoi faire. Vera, c’est mon amie. Et je fais un tour du monde pour raccompagner chez lui un nuage hawaïen qui s’est perdu au Mexique où j’habite. C’est tout.
– Ah, ah, j’adore, un message codé, codé et poétique. Pour Vera, il faudrait que tu précises, mon amie, une amie, ma petite amie, ma copine, une pote, ma sex friend, ma fiancée… Tu sais, j’ai des ados à la maison et ils ne sont pas très doués en grammaire, mais sur ce vocabulaire spécifique, il ne faut surtout pas se tromper.
– C’est ma meilleure amie, on se connaît depuis longtemps, elle dit que je suis comme son frère.
– Aïe ! C’est pas bon ça, coincé dans la friend zone. Allez, je ne t’embête plus. Une question encore quand même – je suis affreusement curieuse et tu as le droit de me dire cierra el pico, comme dit parfois Paco pendant son cours de tango – oui, je me demandais ce que tu écris, je te vois avec ton carnet depuis tout à l’heure. Sauf si c’est intime, bien sûr.
– Non, pas du tout, ce sont des petits textes que j’envoie à ma mère et à Vera. J’en écris régulièrement.
– Vas-y, lis ton dernier. Ça doit parler de nous et du vélo ?
– Euh, non désolé. Ça parle de nuage.
Babillage futile en hommage aux nuages (de JB)
Saccage des codages
Pillage des rouages
Passent les nuages aux sillages subtils
Brouillage déréglage
Outrage des serrages
Passent et passent les nuages aux mouillages fragiles
Sabordage des métrages
Naufrage du bon usage
Passent les nuages aux ouvrages indociles
Missiles sans rage idylles sans bagage
Crocodile ou goupil drosophile immobile
Passent et passent les nuages aux images intranquilles
Coloriage volage de coquillages des îles
Passent les nuages et voyagent les villes
Du Tage à Paris-plage
Et du Nil à Blanc-Mesnil
– Euh, disons que je n’ai pas tout compris, bon, c’est particulier. Toi, tu donnes vraiment dans le codage, je crois que ce n’est plus de mon âge. Je suis déjà sénile, c’est un naufrage. Malgré le maquillage, je suis bonne pour la camomille.
– Bravo, Magali, super, sauf pour camomille, à la place, tu aurais pu dire, je suis bonne pour l’asile ! Et bravo à toi, Nov, j’adore ! Ça me fait penser à Apollinaire pour la musique et pour le sens, tu ne seras peut-être pas d’accord, mais ça me rappelle le monde marin. Plus je l’étudie et plus je m’aperçois qu’il est fluide et que notre obsession à classer, séparer, mesurer, tracer des frontières, géographiques ou mentales ne lui convient pas. Et JB, qui c’est ?
– C’est Joseph Brodsky, un poète d’origine russe dont ma mère m’a parlé. Mais, moi, je ne l’ai jamais lu. Apollinaire, je ne connais qu’un poème de lui, que j’ai présenté au BAC de français. En fait, je ne réfléchis pas trop quand j’écris. Au début, j’ai juste un bout d’idée et je tourne autour, je me laisse surtout guider par les sons.
– Sincèrement, moi, ça me plait. Et je pense, en effet, que tu devrais envisager autre chose que le business, quelque chose me dit que tu n’es pas fait pour ça. La climatologie, peut-être. Ou peut-être l’étude des crocodiles, suggéra Manon.
– Quelle horreur non ! Il a encore tellement de jolies choses à vivre et de belles expériences à faire, gardons-le en vie quelque temps. Ces monstres sont immondes et haineux ! Je le vois bien étudier les pandas plutôt. Il a quelque chose du panda d’ailleurs, avec toute cette douceur dans le regard.
– Et voilà, Magali nous rechante le refrain des animaux charismatiques. Il faut protéger les pandas et les baleines et exterminer les rats et les crocodiles. Tu sais qu’il y a beaucoup d’espèces de crocodiles qui sont menacées et certaines même en voie d’extinction. Je ne sais pas s’il y a de l’amour chez les baleines et de la tendresse chez les pandas, mais je peux t’affirmer qu’il n’y a aucune haine chez les crocodiles.
– OK, je m’incline, c’est toi la spécialiste, mais je n’ai jamais parlé d’extermination. Bon, je suis déçu, je pensais qu’il arrivait que des cachalots tombent amoureux de baleines et que leur fameux chant, c’était des déclarations langoureuses.
– Pas vraiment. Il y a des baleines mâles et femelles et des cachalots mâles et femelles. Et les cachalots ne chantent pas, ils émettent des clics et ils n’ont pas de fanons, ils ont des dents, comme Moby Dick, qui est un cachalot malgré les traductions courantes. Mais là où ça se complique, c’est que les Anglais appellent les cachalots sperm whales, baleines à sperme parce que dans la tête, ils ont une substance que l’on a confondue avec du sperme, mais qui sert leur flottabilité, entre autres.
– Tu connais Moby Dick ? C’est drôle, c’est le livre que je suis en train de lire.
– Si je connais Moby Dick ! En fait, bon, j’ai un peu lâché l’affaire depuis quelques années, mais depuis que j’ai deux ou trois ans, je lis des livres sur les cétacés. Les cétacés m’ont accompagnée pendant vingt-cinq ans et puis, un jour, on a divorcé en quelque sorte. Je vous raconte l’histoire pendant que vous mangez. À dix ans, je vois le documentaire de Paul Watson, L’Œil du cachalot. C’est un premier choc. Mes copines regardent Pirates des Caraïbes et sont amoureuses de Johnny Depp, moi, mon pirate préféré, mon héros, c’est Captain Paul. Assez tôt aussi, je comprends que je n’aurai jamais son courage, alors je mets toute mon énergie dans les études. Après un BAC scientifique, je m’inscris en master de biologie marine. À l’époque, j’habite avec mes parents à La Réunion. Tu le sais peut-être, les baleines à bosse passent l’hiver austral près des côtes et il est très facile de les observer. C’est magnifique, c’est fascinant et moi, je suis dans mon élément. Ensuite, en 2015, avec une équipe de l’université, on va à l’île Maurice rejoindre l’équipe de François Sarano qui travaille sur les cachalots. Et là, c’est un deuxième choc. Il ne fait rien comme nous, il donne des prénoms à ses cachalots, il plonge avec eux et manifestement, il communique avec eux, surtout avec le jeune Eliott, avec qui il danse, je vous promets, ils dansent ensemble, je les ai vus. De retour à La Réunion, évidemment, je commence un doctorat d’écologie marine, je prépare une thèse sur l’interaction des baleines et des activités humaines (tourisme, pêche, navigation…) et l’évolution des comportements individuels et interindividuels des baleines face à ces environnements changeants. Tout se passe très bien. Et puis en 2020, patatras, tout bascule, tout s’écroule. Une succession de chocs. D’abord le COVID, ensuite la lecture d’un livre incroyable, magnifique et terrifiant, Cachalot de Daniel Besace qui compare le camion blanc de l’attentat du 14 juillet à Nice à Moby Dick, enfin last but not least, mon directeur de thèse qui me déconseille de faire mon post-doc sur les cétacés, les crédits diminuent, le nombre de candidats augmente, des capteurs, des caméras et l’IA font en plus un excellent travail. Alors dans ma tête , le confinement n’a sans doute pas aidé, ça ne tourne pas très rond, normal. Je repense à Paul Watson, à François Sarano et il devient évident qu’on ne peut pas étudier sereinement ces animaux, qu’il faut aussi être un militant, un combattant ou un communicant hors pair comme Sarano, tout ce que je ne suis pas. Bref, dépression, solitude et kleenex. Je passe alors beaucoup de temps sur les forums en ligne et je tombe sur un chercheur, spécialiste des étoiles de mer qui demande des informations sur une ophiure – vous savez, une sorte d’étoile de mer, mais avec des bras fins et souples. Je lui réponds qu’il y en a dans le lagon de La Réunion et que j’irai les observer dès le confinement levé. Ensuite, les choses se sont un peu précipitées. Après le confinement, il me propose de le rejoindre à Madagascar (à mes frais évidemment !) où il fait un voyage d’études sur l’observation et la valorisation des holothuries, les concombres de mer sont, disons, des cousins des étoiles de mer. Il me voit travailler, on s’entend bien, je lui raconte ma déception amoureuse avec les cétacés. Alors il me propose de faire un post-doc avec lui, sur les holothuries. Ce que j’ai fait. Pour vous distraire encore un peu, je vais vous donner quelques détails, avec les lasagnes, ça passera bien. Il se trouve que le concombre a d’un côté une bouche, souvent fermée et de l’autre un anus presque toujours ouvert parce qu’il respire par-là. Cet anus spacieux est un lieu accueillant et donc assez fréquenté, par des micro-organismes mais aussi par d’autres organismes, moins petits, comme des poissons et même des crabes. Voilà, c’était ça mon sujet d’étude, quelle est la nature du lien entre l’holothurie et le petit crabe qui squatte son anus. J’arrête là ?
– Oui, pitié, Manon, c’est cauchemar assuré cette nuit, j'ai déjà mal. Donc, finalement, c’est un peu comme moi, après une période difficile, aujourd'hui, tu peux regarder ton ex sans t’effondrer.
– Enfin, c’est un peu plus tordu que ça. En fait, depuis la naissance de mon fils Lucas, je suis devenu beaucoup plus sensible ; aujourd’hui, je ne peux plus voir une baleine d’un œil seulement scientifique, immédiatement des considérations écologiques et militantes passent au premier plan. C’est pour ça que je suis plus efficace avec les holothuries. C’est sans doute un manque d’audace, peut-être que je me protège derrière la connaissance. Mais j’ai besoin d’être solide et équilibrée pour mon fils. Et encore, je me demande, si je ne vais pas à nouveau me réorienter, parce que les holothuries ne sont pas à l’abri d’une exploitation excessive ou d’une pollution et donc d’une extinction et je supporte de moins en moins cette idée. J’ai une amie qui travaille sur le recyclage du plastique, mais au niveau moléculaire. Je trouve ça passionnant, Si, si, vraiment. Je pense de plus en plus à la rejoindre. Je sais que ce n’est pas glorieux, mais je serai plus utile comme ça. Je n’ai pas peur de monter sur un zodiac et de barrer la route à un baleinier japonais, surtout si Captain Paul est à la barre, mais je suis trop émue quand je pense à cette haine envers les animaux, je perds mes moyens.
– Bonjour, dit la nuit sans intention de nuire.
J’aimerais apprendre le vocabulaire du forgeron pour dire, autrement, les choses divines, et puis apprendre le vocabulaire du soufi ou du brahmane pour dire, autrement, l’évolution du vivant, et puis apprendre le vocabulaire de l’herpétologue pour dire, autrement, les mystères de l’art, et puis apprendre le vocabulaire du céramiste pour dire, autrement, les maladies mentales, et puis… et puis toujours décaler, déplacer, détourner, déporter, dérouter. Altérer.
Les enfants savent très bien être seuls, ils s’inventent des mondes peuplés et bavards. Malheureusement, avec l’âge et les téléphones, on désapprend cela. Aussi on s’associe, on s’acoquine, on s’accouple, mais cela, on ne sait pas faire durablement, alors on rêve d’être seul, oubliant que l’on ne sait plus faire.
Le sablier est un objet magnifique et tellement intelligent, mais il est complètement raté car hypnotique et, conçu pour mesurer le temps, il nous le fait perdre.
La passion a été inventée à une époque où l’espérance de vie ne dépassait pas cinquante ans, soixante exceptionnellement.
Les historiens, anthropologues, sociologues sont quasi unanimes pour dire que l’humanité s’apaise et se civilise, que la violence diminue et que les guerres tuent moins. C’est possible. Peut-être que dans cinq siècles, quand on aura lissé les courbes, les graphiques attesteront clairement cela, mais je crains que nous soyons, pour le moment, dans le pli d’une courbe encore toute froissée.
Les concepts sont la maladie de la philosophie et les définitions, sa mort.
C’est curieux qu’aucune loutre de mer n’ait pensé à ouvrir un salon d’épilation.
Ces bêtes n’ont vraiment pas le sens des affaires et après elles vont se plaindre d’être exterminées.
– Allo, allo, Manon’s speaking. Petit test de l’appli de Sam. Do you copy?
– Yes, répondit Magali, je t’entends et en plus je vois ton joli petit cul. Il est mimi ton corsage gris perle, plus plaisant à regarder que le paysage d’ailleurs.
– Tu veux dire son corsaire, rectifia Laurence. D’ailleurs ça irait très bien avec tes cheveux fuchsia. Oui ça marche Manon.
– Au fait, merci Laurence. Il est trop mignon le petit guide que tu nous as choisi, j’en ferais bien mon quatre-heur…
– Euh, les filles, désolé, mais je vous entends. En fait, quand vous appuyez sur votre propre icône, ça nous connecte tous les quatre. Si Laurence veut parler à Magali et Manon, elle clique sur les icônes M et m. Si Manon veut parler à Laurence seulement, elle clique sur L. C’est facile. Et merci pour le compliment, Laurence, ça fait toujours plaisir. Bon, je raccroche, je dois appeler maman.
– Et mierda! Je commence bien, moi. Par la boca muere el pesco… ou quelque chose comme ça.
– Ne t’inquiète pas Magali, personne n’est mort dans l’histoire, je trouve ça plutôt drôle comme premier contact. Dis-moi, tu t’es mise à l’espagnol ?
– Remise, tu veux dire, parce que j’ai déjà passé trois brevets et un bac. Oui je prends des cours avec Paco. Paco, c'est aussi mon professeur de tango.
– OK. Tu fais aussi du tango ! Je vois que ça va beaucoup mieux.
– Disons que je fais ce qu’il faut pour aller mieux. Je me concentre sur moi ; ça me change après avoir été pendant vingt ans une épouse docile et une mère disponible. J’avance. J’avance très vite.
– Vite ! Pas tant que ça, remarqua Manon. On se traîne un peu, alors si vous voulez toujours mater mon corsaire, il va falloir accélérer, il reste encore trente kilomètres avant le déjeuner.
– C’est vrai, j’ai une faim de loup, la dernière fois que j’ai mangé, c’était au siècle dernier.
– D’où ton envie de croquer le petit Mexicain du 9-2. Je comprends mieux !
– Arrête ! D’ailleurs, je vais l’appeler pour m’excuser. Enfin, quand il aura fini de parler avec “manman”.
*****
– Salut Mam, je ne te réveille pas, il doit être trois heures du matin à Mexico.
– Bonjour mon Unique. Non, tu sais bien que le sommeil est fâché avec moi depuis longtemps. Tu crois que c’est possible de t’avoir en visio. Je ne sais pas si je te reconnaîtrai, tu étais tout petit encore quand tu es parti, c’était il y a tellement longtemps.
– Moi je te reconnais bien, chère mère, toujours ce sens de la nuance. Quand je suis parti, j’avais deux semaines de moins qu’aujourd’hui. Mais c’est vrai que beaucoup de choses se sont passées. J’ai fait tellement de belles rencontres. Il n’est pas impossible que j’aie un peu changé dans ma tête. Et hop ! Voilà l’image…
– Oh mon ange ! Tu es encore plus beau. Je suis tellement heureuse de te voir. Est-ce que tu sais que je me régale aussi à te lire. Alors bien sûr, il y a tes petits poèmes qui m’amusent tant, tu es un virtuose de la rime, mais il y a aussi ta lecture du Voyage de Stevenson que j’ai reçue hier. Quelle fraîcheur, quelle liberté ! C’est drôle, c’est intelligent, c’est fantasque, vraiment, je me régale, c’est délicieux. C’est vrai que tu es un peu sévère avec ce jeune homme qui avait pratiquement ton âge lors de son périple. Il sera un mari attentionné et aimant et il n’a jamais été du côté des dominants. Quelques années après les Cévennes, il traverse l’Atlantique puis les États-Unis pour rejoindre en Californie son amoureuse et future femme Fanny, mère de famille encore mariée. Il raconte cela dans son livre l’Émigrant amateur. Il voyage en seconde classe, alors qu’il est malade, être gentleman, c’est savoir l’être partout dans le monde et avec quiconque, écrit-il. Il dénonce le raciste contre les Chinois, le mépris à l’égard des Indiens et la manipulation des Mexicains. Il y a aussi des descriptions de paysages dont il a le secret. Tu aimerais sûrement ce livre, tu devrais le lire. Et tu serais peut-être plus indulgent. Mais peu importe, tu n’es pas un historien. Et je t’assure que je relis le Voyage avec un œil neuf, maintenant. Tu me donnes envie de travailler un autre Melville l’année prochaine avec les étudiants, peut-être son Bartleby. J’espère que j’aurais l’occasion de lire ta traduction. Tu sais que tu as du talent, certaines de tes interprétations m’ont déroutée et ravie à la fois.
– Et toi tu as du talent pour m’encourager toujours. À propos, je voulais vous dire à Dad et à toi que je ne suis pas sûr de vouloir terminer mes études de commerce international. À mon retour, j’aurais pratiquement perdu deux ans. Le problème, c’est que je ne sais pas quoi faire à la place. Bon, on en reparlera, je vais te laisser préparer ta journée.
– Mon bel amour, je n’ai aucune inquiétude. C’est bien plus de deux ans que tu auras gagné avec ce voyage, que dis-je, cette aventure, cette traversée des mondes et des langues. On trouvera ; tu trouveras. Tu es un printemps qui dure un peu, c’est tout, mais je sais que tu vas fleurir. Tu trouveras ; tu te trouveras.
– Peut-être. Une chose est sûre, j’ai bien progressé en anglais. C’est drôle, c’est comme si la langue était en moi, mais – comment dire ? – pas activée. En parlant avec Moby ou Sam, un truc s’est débloqué. Ah ! Encore quelque chose qui va te faire plaisir, je pense. Moby et Olga se sont mis en tête de m’apprendre à lire et parler le russe.
– Mолодец (Molodetz)! Bravo ! Comme j’ai hâte de lire tes traductions libres de Brodsky !
– D’accord, mais tu vas devoir attendre un peu. J’en suis à apprendre les lettres.
– Brodsky, tu vas reconnaître, tu l’as déjà entendu quand tu étais dans mon ventre.
« “Passent les nuages…” chantent les enfants de la nuit.
De l’herbe aux sommets le monde n’est plus
que battement, tremblement de la voix.
Passent les nuages au-dessus des taillis, passent les nuages.
Au-dessus de nous, une ombre passe et meurt,
il suffit de chanter et de pleurer, il suffit de vivre »
Puis Nadja reprit le poème en russe, dans une mélopée à la fois mélancolique et exaltée.
– Je ne comprends pas, mais c’est beau à entendre. Allez, on s’appelle bientôt, besos, Mam.
– Óблако (oblaka), c’est le nuage russe. Mon Dieu, que le russe me manque ! Et toi, tu te souviens ?
– Il va falloir que je révise un peu quand même, mais bon, je sais déjà écrire deux mots, Brest et nuage. Ça ne fait pas encore une conversation, mais c’est un beau début. Allez Mam, je te laisse, embrasse Dad. Je t’appelle demain. Plein de kisses.
– Oui, plein d’amour, mon poète préféré. Et bravo à Vera et à Nov pour leurs nouveaux prénoms, ils m’enchantent. Il faudra que je te parle de Věra Kunderová que ta grand-mère a bien connue, tu sais, la femme de Milan.
– Ah ? Je ne connais pas. Je t’embrasse fort, je vais appeler Ludmilla. Muchos besos… Allez, je raccroche.
*****
– Hello beautiful! Je ne sais plus comment t’appeler, Ludmilla ou Vera ?
– Hola guapo! Fais comme tu veux, mais j’aime beaucoup Vera. Nadja m’a fait un cours sur toutes les Vera de la littérature. Elle aime bien aussi. Ça me fait tellement plaisir de t’entendre. Dis, on peut passer en mode vidéo, s’il te plaît.
– Ah, ah, toi aussi. Pour des femmes de lettres, vous aimez bien les images.
– C’est vrai. J’aimerais aussi que tu me montres ce que tu vois. Mais quand même, c’est de parler avec toi qui me manque le plus. Quinze jours sans t’entendre et sans même pouvoir te lire, c’était trop. J’espère que ça n’arrivera plus jamais. Remarque, ça a fait l’affaire de Jack Paradise qui fuit de plus en plus l’enfer de l’agence, il m’a fait accompagner un groupe de touristes pendant quatre jours. Tu sais, il faudra qu’on en parle, mais je me demande de plus en plus ce que je vais faire l’année prochaine. Je ne sais pas où tu en es toi. Ce n’est pas le meilleur moment pour en parler, mais je ne sais pas si le commerce international, c’est vraiment fait pour nous.
– C’est drôle que tu me parles de ça maintenant, c’est exactement ce que je me disais. J’ai rencontré Olga, c’est une Serbe qui travaille pour Architectes sans frontières et je trouve ça dur mais tellement passionnant. Peut-être que je vais essayer de trouver des stages dans des ONG. Le problème, c’est que je ne sais rien faire, je ne sais pas comment je pourrais aider, je ne suis pas médecin, pas architecte, pas ingénieur, pas enseignant, pas cuisinier. Et toi, tu penses à quoi ?
– J’ai fini par être d’accord avec ce que tout le monde me répétait depuis longtemps, utiliser les langues. Je vais me renseigner sur le master en interprétariat et traduction de l’université. Ton père m’a proposé un stage en juillet à l’ambassade à Mexico et la semaine prochaine, il sera à Genève, à la mission permanente du Mexique de l’ONU, il m’a dit qu’il chercherait de bons contacts. Je ne veux pas quitter le Mexique pour le moment, mais je sens que c’est par là qu’il faut que j’aille. J’aime le travail de traduction que l’on fait avec ta mère, c’est tellement autre chose qu’une transposition mécanique. « La traduction, c’est le mariage catastrophique du même et de l’autre », comme elle dit en début d’année, en forçant un peu sur son accent russe – j’adore ! Mais j’aimerais tellement découvrir aussi la traduction simultanée, je crois que ça irait bien à mon tempérament.
– Découvrir ! Mais tu fais déjà ça depuis longtemps. Bien sûr, c’est génial comme idée.