Il faut être deux pour danser le tango, dit-on justement. Il faut être trois, je crois, pour apprendre à le danser.
Il faut être deux pour danser le tango, dit-on justement. Il faut être trois, je crois, pour apprendre à le danser.
Ils avaient déjà longuement échangé dans l’atelier de Rodin. Il avait bien senti qu’il ne la laissait pas indifférente. Il voulait avancer encore un peu dans la relation et envisageait de lui envoyer un nude, à la Femme accroupie. Puis le Penseur s'était ravisé.
Ces experts m'exaspèrent et me désexpèrent.
– Végétalien ? – Non. – Végétarien ? – Non. – Pesco-végétarien ? – Non. – Végane ? – Non. – Donc ? – Je suis mosquito-végane : j’aime et protège tous les animaux sauf un dont j’exterminerais volontiers l’espèce.
Tuer le tueur qui sommeille en nous tous.
Quand on écoute du Boulez ou que l’on regarde un Joan Mitchell (tous les deux sont nés en 1925…), on s’étonne de ne pas trouver les mêmes audaces en littérature (… c’est la date de naissance aussi de Jean d’Ormesson).
Écriture sérielle, roman monochrome, littérature répétitive, texte non-figuratif… Rien. Alors pourquoi ? Les écrivains seraient-ils tous traditionalistes, les éditeurs réactionnaires ou les lecteurs conformistes ?
Aussi bruyante soit-elle, la sexualité bestiale est pauvre en jouissance parce qu’elle est muette.
Tout s’affaisse et s’amollit, tout fléchit et décline. Il n’y a bien que mon coupe-papier à résister et rester rigide. Las, les lettres se font rares et sa roideur inébranlable en devient presque obscène.
[Ils ont quelques bons auteurs chez Grasset, mais alors, cette couverture jaune pisseux, c’est un répulsif très efficace. Le blanc des éditions de Minuit a une autre classe (non, chez Gallimard, ce n’est pas blanc du tout !), mais mon champion toutes catégories reste P.O.L : couverture blanc cassé pour un premier regard et délicatement tuilée pour un toucher plus intime.]
On a beau feindre des colères et s’inventer des fêlures, on ne convainc pas. Le drame se joue ailleurs. Ici, tout n’est qu’avoir, confort et passivité.
Et pour qu’elle soit bien placée, il faut la mettre où sa fierté ?
– Je suis la la première, la la la première caquetait Poule tout en picorant frénétiquement.
– Tu veux dire le le premier, rectifia Œuf malicieusement.
– Crétin pas fini, je suis une poule, donc c’est féminin.
– Vieille grincheuse, je suis un œuf, donc c’est masculin. Toi la poule qui vient après, tu suis le premier puisque j’étais là d’abord.
– Tais-toi donc fils de poule, tu sais bien que j’étais là avant toi, pour te pondre.
– Pas du tout, tu es une suiveuse, tu l’as dit toi-même. Oh la suiveuse, oh la suiveuse…
– Parce que toi tu serais un meneur, c’est ça ? Mais tu vas où, Œuf, explique-moi ? Tu restes coincé dans ta coquille sans avancer, sans évoluer, comme un coureur scotché sur la ligne de départ.
– Normal je ne peux pas tout faire, tenta Œuf, je ne peux pas être le devenir déjà que je suis l’origine…
– Ah bon, ergota Poule, tu suis l’origine, si je t’entends bien, donc tu n’es pas l’origine...
– Houlala les amis, s’enthousiasma Panda, j’adore vos débats. Oui, la question de l’origine est une spirale entêtante…
– Flute voilà Panda, se navrèrent Poule et Œuf, c’est lui qui va nous donner mal à la tête.
– … je pense, poursuivit l’ours tacheté, que l’on cherche une origine comme on cherche un copain plus gros et plus costaud dans la cour de récréation afin de s’imposer quand on n’a ni pectoraux ni arguments…
– Idiote, reprit Œuf, tu te trompes de verbe : moi être le premier et toi suivre le premier donc toi être deuxième.
– Et toi parler comme Cro-Magnon, gloussa Poule.
– … nos origines nous intéressent déjà moins quand on apprend que l’on est l’arrière-petit-neveu de la limace. Et puis, continuait le plantigrade, fondamentalement, suis-je ce que j’ai été… ?
– Toute façon, on nait pas premier, on est premier, risqua Œuf.
– N’importe quoi et on n’est pas deuxième, on est deuxième, glosa Poule.
– … peut-être faut-il cesser d’employer le verbe être, car si on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, c’est parce que l’on n’est jamais deux fois le même baigneur…
– Allez, j’arrête de parler avec toi poule mouillée, tu ne veux pas savoir d’où tu viens, l’origine, c’est un trou noir pour toi.
– C’est toi qui as honte de là d’où tu viens, œuf pourri, le trou noir pour toi, c’est mon orifice.
– … mais on s’accroche à ce même comme à une impossible rive, comme à une eau solide, comme à un baigneur éternel…
Évidemment, cette coupe du monde au Qatar, c’est lamentable. Malheureusement je ne peux pas la boycotter puisque de toute façon je ne regarde jamais le football.
Zut alors, Christian Bobin est mort. On aime ou on n’aime pas. Moi j’aime et n’aime pas.
« Je me cogne encore parfois au bois de ton cercueil. C’est que je n’ai pas tout à fait renoncé à comprendre et qu’il n’y a sans doute rien à comprendre… », Autoportrait au radiateur.
Ne les envie pas, non parce que c’est mal, mais parce qu’ils mentent.
En toute modestie mais très sérieusement, je dois dire que j’ai quelque chose de Proust, Dostoïevski et Borges. Vraiment.
Comme eux, je suis insomniaque.
Les impatients méprisent un présent qu’ils jugent trop lent. Attention qu’il ne se venge en accélérant.
J’adore le mot cucurbitacée et je suis bien désolé de ne jamais trouver l’occasion de l’utiliser. Enfin très rarement.
Les espoirs les plus fous sont parfois aussi – c’est une question de temps – les chagrins les plus inconsolables voire les regrets les plus amers.
Ils veulent bien apprendre, mais alors quelque chose qu’ils savent déjà !
Le non sépare mais révèle. Apparemment. Le oui répare mais nivèle. Probablement. Et donc ?
– Gros Lulu : Tiens revoilà notre auteur. Monsieur l’auteur, bonjour !
– Monsieur Lhoteur : Je ne suis pas l’auteur, je suis Lhoteur.
– G. L. : Ah oui c’est vrai et moi je suis Lulu, pas Lulu. Bon autrement, ça va ?
– M. L. : Oui.
– G. L. : Cool. La famille, la digestion, le P.E.L… ça va aussi ?
– M. L. : Oui.
– G. L. : Top. Au fait, ça fait une paye qu’on n’a pas eu des trucs à se dire. Vous étiez en vacances ?
– M. L. : Non.
– G. L. : D’ailleurs, je me demandais, parce que vous savez sûrement vous, c’est difficile à écrire un dialogue ?
– M. L. : Non.
– G. L. : Du coup, vous pourriez en écrire un, enfin un truc sympa, genre drôle et intelligent ?
– M. L. : Oui.
– G. L. : Parce là, quand même, vous ne vous foulez pas, oui, non, non, oui… Je pense plutôt à des phrases plus longues avec des mots plus compliqués.
– M. L. : …
– G. L. : En fait ce que je voudrais, c’est un texte beau, fort et intelligent, comme dans les vrais livres, mais il faut qu’on voie quand même que c’est Gros Lulu qui parle. C’est possible ?
– M. L. : Non. Il faut choisir.
– G. L. : Vous êtes vraiment méchant.
– M. L. : …
– G. L. : Évidemment, vous la fermez.
– M. L. : …
– G. L. : C’est vraiment nul de se taire. En fait, vous savez pas quoi dire.
– M. L. : …
– G. L. : Mais dites-moi, pensez-vous que votre silence cynique longtemps masquera votre impuissance textuelle.
– M. L. : Le silence, vois-tu, est ma façon d’honorer la langue que les jacasses de ton engeance tourmentent et dépouillent.
– G. L. : Je vois surtout que votre misanthropie vous enchaîne à ceux-là mêmes que vous voudriez ignorer. Votre détestation se perd à se taire.
– M. L. : Te détester serait t’accorder plus d’importance que tu n’en mérites.
– G. L. : Votre arrogance est le signe même de votre dépendance. Pour dauber un public, il vous faut une scène, et je suis cette scène.
– M. L. : Alors ?
– G. L. : Alors ça va pas du tout, ça se voit bien que c’est pas Gros Lulu qui parle.
– M. L. : C’est ce que je disais. Il faut choisir.
– G. L. : Vous êtes vraiment méchant. Ben moi, je vais chercher un autre auteur, un qui écrit des vrais dialogues.
(L’auteur, qui surveillait ses personnages tout en terminant sa moussaka végétarienne : C’est vrai qu’il est agaçant ce Gros Lulu à ne rien comprendre au processus narratologique, mais quand même, Monsieur Lhoteur est odieux, je me demande quel cerveau endommagé a pu l’engendrer.)
L’écriture – ses lignes, ses traits, ses règles, ses pages – nous détourne de la vie, bien sûr, mais c’est pour nous ramener dans la langue – notre unique domicile.
Le moi est une fiction, comme toutes les fictions, il faut l’écrire, bien sûr, mais la raconter aussi.
L’être humain est incontestablement le plus génial des animaux, mais il est aussi, de très loin, le plus vicieux, le plus destructeur, le plus inconséquent. C’est ballot et je me demande bien si l’on aurait pu avoir la médaille sans son revers.