Le plus étonnant (ou le plus affligeant, faudrait-il dire) quand on vieillit, alors que l’on change assez peu soi-même, c’est de constater les ravages du temps chez nos amis qui vieillissent tous tellement plus vite.
Serait-il possible que chacun pense la même chose ?
D’abord, d’abord, on se souvient, ensuite, on fait un nœud à son mouchoir, on griffonne un horaire ou une adresse, puis vient un jour où l’on note sur son agenda : « penser à regarder le post-it sur le réfrigérateur ». Plus tard encore – mais il est bien tard alors – on balise sa maison pour retrouver la cuisine.
D’abord, c’est le monde que l’on rêve de maîtriser, puis on se résout à ne régner que sur les plus faibles, ensuite on se contente de se dominer un peu soi-même, finalement, on se concentre sur
un ultime combat, se faire obéir par son sphincter.
L’âge est une belle école du pragmatisme et de la modestie ; il enseigne aussi l’anatomie.
C’est bien regrettable que l’on ne soit pas d’abord des vieux puis ensuite seulement des jeunes.
Ceux-là, pressés de manger autre chose que de la soupe, ne s’incrusteraient pas, fidèlement vissés à l’habitude des jours inertes ; ceux-ci, goûtant les nuances délicates de la lente
évanescence des choses, pousseraient moins dans les rangs.
Les premiers partiraient plus vite, les seconds rouleraient moins vite.