Chaque matin je m’encourage, chaque soir je me félicite et la nuit, je fuis.
Exister est épuisant.
Chaque matin je m’encourage, chaque soir je me félicite et la nuit, je fuis.
Exister est épuisant.
Alors je ferme les yeux, je fais le vide et attends l’idée à qui je saurai faire bon accueil.
Et je me réveille un peu plus tard avec un torticolis.
– Conformiste, accusa Vent !
– Inconstant, rétorqua Rivière !
– Je vous aime, poursuivit Chemin.
Avoir du pouvoir, c’est grisant ; pouvoir, c’est autre chose, ça ennuie vite.
L’épuisement des stocks est manifeste, il nous faut trouver des sources de pensée renouvelables.
– Dis-moi Pierre, tu laisses la peau des pommes de terre quand tu prépares une purée rustique ?
– Non mais t’es sérieux, Dieu ? Aujourd’hui, c’est ce que tu veux savoir ?
– Oui. Donc ?
– OK Google…
Tout finit toujours par une retraite.
Le monde est instable, les animaux se taisent, les humains mentent, la Terre est opaque. Pourquoi ne pas avouer plus simplement que l’on ne sait rien ? que l’on appelle savoir ces connaissances que l’on a produites, imaginées, inventées ? que le reste (mais le mot déjà est bien prétentieux) nous échappe ?
Certains écrivent des referenda, des scenarii, des lieder, des barmen. Je m’interroge, s’agit-il de faux polyglottes ou de vrais cuistres ?
J’annexerais bien la terrasse du voisin. Je pourrais organiser un référendum pendant son absence. Son chat m’ignore à peu près autant qu’il l’ignore, mais son chien semble m’apprécier (d’autant que je le garde pendant ses vacances, précisément). Je ferais venir quelques oiseaux pour l’occasion.
Je ne serais pas étonné de faire un bon score.
Je suis un lecteur lent, pourtant je pratique parfois la lecture rapide pour ses vertus heuristiques. En effet – essayez ! –, la vitesse révèle souvent un autre texte, absurde et jubilatoire, auquel l’auteur lui-même n’avait probablement pas pensé.
‘La surfeuse réunionnaise J.’ m’emporte sur sa vague et devient sulfureuse ; ‘le signe qui ne trompe pas’ me trompe et me conduit dans les bras d’un singe ; en suivant celui qui ‘s’oriente grâce aux étoiles’, je me perds dans les toilettes ; la ‘dénomination importée de l’anglais’ devient une domination.
Absurde et jubilatoire…
Les hommes sont trop.
Je veux dire trop nombreux, violents, fiers, bruyants, sales, avides, flagrants. Je veux dire trop hommes, trop mâles.
Le courage est iranien, la dignité, ukrainienne.
Nous, nous avons peur d’avoir froid et de devoir porter de vieux châles inélégants.
Dans la famille Boomerang, on avait renoncé au christianisme par conviction. Les dogmes de la Sainte Trinité et de la Conception Immaculée de Marie ne gênaient pas, non plus que les miracles de Jésus ou le mystère de l’Esprit Saint. Non, c’était la parabole de l’Enfant prodigue qui ne passait pas.
J’écris guerre. Une fois, deux fois par ligne. Guerre, guerre. En italiques, en majuscules. GUERRE. Je répète le mot, guerre, guerre, guerre.
Je traduis : viyny, guerra, paterazm, bellum, wojna, sota, savaş, pólemos, soğıs, Krieg, war, karas.
Je dis l’horreur de la guerre et l’effroi, la peur, la honte, la douleur, la haine, le malheur, la faim, le désespoir.
Je vois le sang, les larmes, les maisons détruites, les terres bombardées, les corps déchiquetés. C’est la guerre.
Je lis, j’écoute, j’imagine. Guerre. Guerre. Guerre. Je condamne et je dénonce la guerre. Je suis horrifié, scandalisé, indigné par la guerre.
Et puis, l’évidence explose comme un petit pétard de carnaval. La guerre n’est pas un mot.
En fait, je m’en fous, disait à peu près Marc Aurèle. Quel confort !
Toutes ces télévisions obsédées depuis dix jours par la mort d’Elizabeth II, c’est à vous donner envie de regarder Russia 1.
Percevoir, ce n’est pas voir des choses directement, c’est dire des mots silencieusement. Des mots ou plutôt un texte, car le monde a sa grammaire.
Fort heureusement, neuf fois sur dix, on ne dit ni ne fait ce que l’on avait prévu de dire ou de faire.
Quand je le compare avec les horaires et coefficients de marées à La Rochelle, avec le barème des tranches et taux de l’impôt sur le revenu, avec la carte du restaurant ‘La Jonque paisible’, le tableau périodique des éléments ou l’annuaire statistique mensuel de la DGCL, je trouve l’être humain un peu foutraque et très imprécis.
Plutôt que de fabriquer de l’unité, imaginons des unions.
Quelquefois je me dis que je devrais me taire dans certaines circonstances, être plus respectueux ou m’occuper de mes affaires et puis, je ne me tais pas. Par exemple, quand j’entends parler de la guerre en Ukraine, je suis d’abord (disons, également) frappé par la poésie de la toponymie. Je sais bien la tristesse, l’horreur, la douleur qui noircissent les lieux, mais je ne peux m’empêcher de me réjouir en entendant les noms de Balakliia, Belgorod, Pryshyb, Kramatorsk, Izyoum, Bakhmout… Ce peuple a engendré de vaillants soldats, il a vu naître aussi des nommeurs de lieux inspirés, à l’évidence.
De quoi la pensée est-elle le non ?
La pole danseuse s’accommodait bien de sa nouvelle vie sur le rond-point, indifférente aux migrations pendulaires comme aux variations du Brent ou au retour des soldes, elle montait et descendait comme elle l’entendait, à l’écoute seulement de son désir désindexé et de l’appel sororal des fluides cosmiques.
Son joli mari de fildefériste, en revanche, se trouvait un peu à l’étroit dans cet espace aux horizons fantasmés d’autant que les demi-tours avaient toujours été son point faible. Qui nie les lointains nuit aux prochains, répétait souvent son père, ophtalmologue très en vue.
Il décida donc de tendre un câble de son rond-point jusqu’au suivant, sur la RD 58…
Invite les amants fous du printemps
Mais n’évente les faux secrets de l’été
N’évite les peurs errantes de la nuit
Mais invente les mots confiants du matin