Pas facile de savoir à quoi pense une bitte, mais je ne suis pas certain qu’en voyant les amarres partir avec le navire, elle les jalouse.
Pas facile de savoir à quoi pense une bitte, mais je ne suis pas certain qu’en voyant les amarres partir avec le navire, elle les jalouse.
Tel un marieur clandestin, moi l’insomniaque, je mets du jour dans mes nuits et de la nuit dans mes jours. Et ils vont bien ensemble.
Je connais le coup du bateau dans la bouteille, mais je me demande bien comment vous avez fait rentrer monsieur Jean dans cette dame-jeanne.
C’est l’histoire malheureuse d’une brosse à dents secrètement amoureuse d’un rasoir mécanique qui n’avait d’yeux que pour une paire de ciseaux à bouts ronds. La paire de ciseaux à bouts ronds avait déjà son voisin le coupe-ongle, mais de toute façon, elle se suffisait affectivement à elle-même et ne portait aucune attention au rasoir mécanique. Ne supportant pas d’être ainsi ignoré par la paire de ciseaux à bouts ronds, le rasoir mécanique oscillait entre déception et fureur, mais toujours méprisait la brosse à dents avec dureté et constance.
Une nuit d’automne humide et ratée, un cri de bipède à poils déchira l’ennui et la frustration du peuple de la salle de bains.
Une fois l’effroi passé, la brosse à dents se dit que quelque chose de grave avait dû avoir lieu qui allait peut-être réorganiser les rapports de pouvoir et de sentiments sur l’étagère. Elle se dit aussi que peut-être ce cri terrible ferait naître dans l’esprit étroit de l’auteur une idée de chute lumineuse.
À tort.
Le pouvoir commence souvent dans la soumission et se termine toujours dans la domination.
– Suis-je caricatural, ajouta-t-il sur un ton faussement soumis ?
Il y a les naïfs qui s’imaginent savoir ; il y a les imposteurs qui contrefont la naïveté ; il y a les cyniques qui raillent les imposteurs ; il y a les militants qui daubent sur les cyniques ; les (autres) militants qui ferraillent avec les militants ; il y a les paresseux qui vilipendent les militants ; il y a les naïfs qui morigènent les paresseux. Et puis il y a les charpentiers qui n’ont plus assez de bois pour construire l’arche qui sauverait tout ce beau monde du déluge à venir.
À l’origine était le manque, à la fin sera l’excès.
Argh ! ça m’énerve de m’énerver alors que je sais pertinemment que ça ne sert à rien. (Mais le plus énervant encore, c’est qu’on me le dise.)
L’aphorisme, malgré qu’il en ait, est l’open bar de la pensée. Certains, terrassés par la diversité infinie des interprétations, restent secs et ne tentent rien, d’autres, fascinés par l’abondance de lectures possibles, osent tout et n’importe quoi.
– Tu entends le chant de ces galets qui roulent, ils montent, descendent et remontent, accompagnant le jeu infatigable des vagues ? Eh bien – rassure-toi, je sais ce qu’est l’anthropomorphisme, ce n’est qu’une image – je pense qu’ils chantent parce qu’ils sont joyeux d’être ce qu’ils sont.
En entendant cela, le filao glissa à son voisin : comme ils sont perspicaces ces humains ! Et ils partirent dans une bonne poilade en se secouant les branches.
L’homme augmenté, d’où augmente-t-il ? Force, mémoire, intelligence, vitesse… tout croît en effet, mais à l’extérieur de lui. Quant à son pancréas ou sa glotte, à peu de chose près, ils n’augmentent pas et l’on n’observe ni supplément d’âme ni extension de pénis.
On me répond que l’on va bientôt pouvoir internaliser ces augmentations. Sans doute. Où ira alors se loger son intériorité ? Résistera-t-elle plus à l’intérieur encore ou se fondra-t-elle dans cette nouvelle intimité ; s’exilera-t-elle ou disparaîtra-t-elle ?
Les égologues ont de beaux débats en perspective et les homininés, des perspectives imprévisibles.
Ils seraient en train de réfléchir à une OQTeF.
Depuis qu’ils ont migré du Code rural au Code civil, les caribous, saumons, colverts et autres chihuahuas ont trouvé leur bouc émissaire. Nous ! Et ils travailleraient à une Obligation de Quitter la Terre – et Fissa !
C’est injuste et irresponsable. Avec leur cerveau de bulot, ils ont oublié un détail. Qui ouvrira leur boite de pâté ? qui payera trente-cinq euros pour aller les distraire à Thoiry ? qui écrira des Jonathan le Goéland ou des Croc-Blanc ou des Petit ours brun ?
Il n’est jamais trop tard et ne faisons pas dire aux horloges ce qu’elles ne disent pas.
Eh bien je vous le dis tout de go, si vous me croisez aujourd’hui, vous serez chanceux car je suis d’excellente humeur ; la raison en est que je viens d’acheter mon nouvel agenda 2025. J’avais inutilement noté ça sur l’ancien, je n’oublie jamais ce petit rituel annuel qui me ravit.
Une trop grande joie pour un si petit plaisir, allez-vous chicaner. Alors là, je vous arrête tout de suite. L’agenda n’a rien d’un objet ordinaire, il manque d’ailleurs une philosophie de l’agenda. Je lis ici ou là qu’il sert à organiser son temps, permet de le planifier et l’optimiser, il aide à la gestion de notre vie, à la priorisation de nos activités… quelle horreur ! Parle-t-on de la même chose ?
Pour le dire en un mot – mais je développerai cela, c’est déjà noté sur mon nouvel agenda – c’est une puissance ontogénique, bon, ça c’est assez évident, mais de surcroit c’est un antidote réticulaire et poétique. Et bam ! Soit, mais antidote à quoi ? Antidote au poison de l’un et au virus de la substance.
Là je vous sens très impatients de lire la suite, oui mais il faudra attendre un peu. Une ou deux pages.
La recherche de la petite phrase nuit à la sincérité du propos, mais la sincérité du propos donne rarement de grandes phrases.
Sur Facebook, pour définir votre statut, vous avez le choix entre ‘en couple’, ‘célibataire’ ou ‘c’est compliqué’. Bravo les geeks, c’est bien vu. Un mot quand même : ce n’est pas parce que c’est compliqué qu’on ne peut pas expliquer, c’est compliqué parce que l’on ne veut pas comprendre. Par paresse, par lâcheté, par ennui, enfin, ce n’est pas simple…
– C’était quand même mieux avant, pensa le nouveau-né, les yeux collés, les poumons en feu et le visage maculé de sécrétions immondes.
La nostalgie commence bien avant l’arthrose.
J’imagine un nouveau chantier d’écriture.
Prendre les mots d’un dictionnaire (disons les substantifs pour simplifier un peu) dans l’ordre alphabétique, mais en commençant au hasard (c’est comme ça que faisait madame Lambert en cinquième pour les interrogations surprises – c’était terrifiant !). Par exemple : tourlourou, tourmaline, tourment, tourmentin, tournante, tournassin (ce serait bien de rappeler les mots un peu oubliés…), tourneboulage, tournevis (… mais sans oublier les mots très ordinaires), tourniquet… Ensuite, écrire un petit mot gentil à chacun d’eux.
Allez, je me lance.
Cher mot tourniquet : j’adore tes sonorités doucement coquines, on dit de ton cousin le foutriquet qu’il est insignifiant (ça, j’en doute, mais on verra quand on en sera à la lettre f) ; toi, tu es très signifiant, tu signifies l’enfance, le vertige, les chutes, les rires et les genoux blessés, tu fais tourner les mots et les souvenirs comme une ritournelle joviale et fragile. Tu es l’infini du rond toujours rompu et toujours continué, tu es l’axe parfait et les forces de fuites. Merci, tourniquet, de tourner encore.
Et quand tu négocies un virage, le cas échéant celui de ta vie, avec qui négocies-tu ?
Grâce à la volcanologie, on en sait plus sur l’histoire des volcans. Cela commence comme une effraction, fière et bruyante, ça s’érige et crache à tout va, sans économie ni scrupules, ensuite, ça se modère et se régule, les éruptions sont moins fréquentes et moins durables, puis ça se tasse, ça s’avachit, quasi inactif, rien ne jaillit plus, ça coule un peu encore, ça suinte. Enfin, ça se tait et se tarit, ça s’affaisse, ça s’effondre et disparaît.
Tiens, c’est curieux, ça me rappelle quelqu’un.
Allez, je vais me faire des ennemis, mais il me faut parler. Certes, je connais la règle, un magicien ne doit jamais révéler ses secrets, mais d’abord je ne suis pas magicien, ensuite je n’aime pas les règles.
Tout le monde le sait, pour lancer le marteau à plus de soixante mètres, il faut se lever tôt et faire des pompes, beaucoup ; pour arriver à jouer le concerto n°1 de Rachmaninov, il faut se lever tôt et faire des gammes, encore et encore ; pour faire disparaître un foulard ou apparaître une colombe, il faut se lever tôt et répéter l’exercice, souvent.
Eh bien qu’on se le dise, pour écrire quelque chose qui ressemble à du Ponge, du Gary ou du Beckett, c’est pareil, il faut se lever tôt et raturer beaucoup et souvent.
Désolé, cette révélation risque de désacraliser la littérature et la désenchanter. Je crois que l’écrivain est d’abord un artisan (génial le cas échéant, ce qui en fait un artiste) et que la magie de l’œuvre suppose moins la crédulité que la connivence.
Ah, une dernière révélation. Malheureusement, il ne suffit pas de se lever tôt pour lancer le marteau à soixante mètres. C’est nécessaire mais non suffisant, comme disait madame Lambert en troisième, salle B12.
L’ailleurs est inhabitable. Non qu’il soit trop chauffé ou mal desservi. Il est inhabitable parce qu’il est toujours ailleurs.
Dans certaines revues, on trouve des informations sur les femmes des grands footballeurs. C’est intéressant, j’aime bien. En revanche je suis très déçu de ne jamais rien lire sur les épouses des grands philosophes. Je me demande, par exemple, comment était la femme d’Anaxagore de Clazomènes. Un top model, qui sait ?
Tout lasse et passe sauf la lassitude, hélas, qui harasse et dérasse. Résistent seuls les rêveurs et les danseurs, les faiseurs de mots et les amants du matin.
Je ne sais s’il est joyeux, mais il chante aussi sous la pluie, l’oiseau.