I c’est une île, me dis-je, sans réfléchir. Oui ? Mais non, c’est idiot, il n’y a pas de lien. I, c’est une tige verticale, un poteau électrique (sans les fils), ou une licorne en partie cachée derrière la ligne du bas, un ibis en partie caché par la ligne du haut, un if d’Irlande qui aurait perdu ses épines, oui, mais pas une île. Tahiti, les Maldives, la Sicile, Trinité ou Bali, ce sont des îles mais vraiment pas en forme de I.
C’est bizarre cette image d’île qui me vient immédiatement à l’esprit, surtout écrit en capitale. Pour le i minuscule, c’est différent. Les capitales ont quelque chose de massif et continental. Le petit i, quant à lui, ouvre sur une autre géographie ; son point suscrit, minuscule et sublime est comme une fenêtre sur l’infiniment petit, une microtrace, à la lisière du rien, à la limite du vide et puis, c’est indéniable, on dirait une île, libre et fragile.
Autre chose me turlupine, j’écris Île, mais j’entends Il ; ce n’est pas logique ? Y aurait-il une méprise orthographique ou une discrépance phonique (je chéris les mots inordinaires et les tournures alambiquées) ? Je persiste avec mon idée fixe, je résiste, alors que c’est évident, I n’a rien d’une île tandis que I et Il sont intimement liés. Il désigne l’être viril, celui dont le membre s’érige, pénis, pine, bite ou biroute, zizi ; celui qui dirige et signe parce qu’il se sent rigide. Il, mot de l’hégémonie, du sérieux, de la domination, de l’autorité. Eh bien parlons-en, car il n’y a pas lieu d’être si fier. Ce serait comique si ce n’était pathétique. De quelle puissance s’agit-il ? L’empire et l’emprise de cet appendice réel ou symbolique sont iniques et injustifiés. Il a besoin d’L pour tenir debout. Il a besoin d’une consonne pour vibrer. Il a besoin d’ailes pour désirer.
Il croit intimider, mais il n’a ni épaisseur ni intensité, il est vide, privé d’idées, sans sentiments. Sans issues, ni entrée ni sortie. Comment disposer d’un intérieur quand on habite un I, jamais à l’abri de la lumière, toujours exhibé, toujours livré à sa triste réalité, lisse et aplati. Solitude et exil ; ce qui lui manque à I, précisément, c’est une île, là où l’on se retire, à l’ombre de l’implicite, une île, des îles, aux horizons multiples, aux frontières liquides, aux imaginaires métis et aux écritures pérégrines.
Île est fille, Île est ville ; jamais seule, jamais veuve, elle est dix, elle est mille, comme une famille, vivante et libertine. Myriades d’étoiles océaniques, des îles à la pelle, si belles, si belles, archipels fertiles ; féminin pluriel, singulière multitude ; litanie sans ennui de petits points sur les i ; histoire poétique de polynésies à venir.
Alors pour finir, s’il faut un compromis, disons que les I sont des presqu’îles, disons qu’ils sont un désir d’îles.
(Et si vous le vouliez bien, nous pourrions lui restituer ce qu’il avait perdu en grandissant, son petit point, İ)