À première vue, le U est une urne. Oui, mais quel est son contenu ? Des cendres ? Alors c’est une urne funéraire et c’est une cause perdue, sauf résurrection. Des bulletins ? Alors c’est une urne de scrutin, pour consultation populaire au suffrage universel peut-être, et il faut attendre les résultats, sauf corruption.
Un petit futé, obsédé par les luttes armées, aurait aperçu un obusier qui attend son obus ; un gros lubrique, obnubilé par Uma Thurman, l’aurait vue nue dans son tub, juste avant qu’elle ait disparu ; enfin certains, moyennement crédules, ont reconnu une cuiller ou un club de golf tordus par Uri Geller.
On peut s’amuser un peu, mais étudions scrupuleusement le sujet. À part pour les urnes, la forme en U n’est pas judicieuse. Figurez-vous un univers en U. Plus besoin de trou noir, rien ne s’enfuirait, ni lumière ni bruit ; tout s’agglutinerait dans le culot, absolument tout : les humains, les utopies, les urubus, les URL, les usines à gaz, Uranus, les urinoirs, les cygnes adultes, les utilitaristes, les Uruguayens, l’UNEDIC, l’URSSAF, l’UGC, les USA, la culture underground, le tiret underscore, les unijambistes ubiquistes (il n’existe plus qu’un ou deux survivants), les urgentistes, les us et coutumes, les députés parachutés, les cumulo-nimbus, les agents de sécurité périurbains, tous les ustensiles de cuisine (spatules, écumoires, presse-purées, araignées à friture…) et même les pulls unisexes, tout sauf peut-être les univers parallèles (mais leur existence est discutée). Non, un univers en U, ce serait absurde.
Un pâturage en forme de U serait tout aussi ridicule. « Hue, hue », hurlerait le muletier à son mulet têtu qui refuserait de continuer, ce qui ne serait pas une surprise car un U est sans issu. Alors le muletier surexcité continuerait, « hue, hue, vas-tu t’exécuter, abruti ? ». La suite viendrait naturellement, fureur, torture, pulsion de mort, « veux-tu que je te tue, tire-au-cul ? ». La conclusion serait brutale pour le mulet acculé. Non, un pâturage en U, ce serait ubuesque.
Un U, ça peut être utile, pour une urne, on l’a vu, ou pour faire cuire sa nourriture, c’est entendu, mais pour le reste, c’est nul ; même et surtout pour un parachutiste, l’aventure serait funeste.
Soit, tout cela est burlesque et un peu puéril, mais une chose moins futile me perturbe, c’est au sujet de l’unité de la présumée universalité. Bien sûr, il faut être prudent dans ses jugements et toujours bousculer ses points de vue, mais j’aurais quelques réserves à formuler concernant l’universel. Je repense à mon urne où tout s’accumule, s’unit et finit par donner une mixture d’une parfaite platitude.
C’est le problème des purées. Une purée de légumes – hum ! – c’est succulent. Mais une purée de jugements, une purée de musiques, de coutumes, de costumes, qu’est-ce que ça produit ? Sûrement quelque chose de très ennuyeux et rebutant, régulier et sans nuances. L’urne à purée est puissante, aucun grumeau ne survit, le résultat est pur. Mais une purée d’usages, une purée de langages, de visages, de paysages, qu’est-ce que ça produit ? Sûrement quelque chose de peu séduisant, sans vertu. Faut-il pour construire l’universel, ruiner les singularités et nuire aux individualités ? N’y a-t-il pas une forte similitude entre unité et uniformité.
Alors bien sûr, l’universel vise aussi à réduire les injustices, procurer autant aux unes qu’aux autres. Il vise une juste distribution pour tous, peuples du sud et peuples du nord. Il vise à réunir des communautés respectueuses les unes des autres, à ouvrir du commun, construire des lieux sans exclusive, sans titulaires, juste une terre unique pour les humains.
Zut ! Les difficultés s’accumulent et l’espoir d’une solution irrécusable et faisant l’unanimité s’envole en fumée.