Il n’est pas impossible que je sois un redoutable tueur à gages asymptomatique.
Il n’est pas impossible que je sois un redoutable tueur à gages asymptomatique.
Marcel Poudevigne, représentant de la Fédération française de pétanque et de jeu provençal à Brignole-sur-Issole explicite le décret officiel sur le déconfinement qui a pu paraître obscur à certains : la distanciation sociale ne concerne ni les boules ni le cochonnet.
Je suis donc sorti vérifier si le monde d’après était différent, comme annoncé.
Eh bien oui ! Sans aucun doute. J’ai pris le sentier de montagne que j’empruntais régulièrement, j’en connais chaque virage, chaque montée, chaque descente, or, il faut bien le concéder, il est plus long et plus fatigant qu'avant.
Je suis rentré abasourdi et épuisé.
Et si le masque ne faisait que masquer l’absence de changement ?
Faute de lâcher de taureaux – peu respectueux des gestes barrières –, nous aurons lundi un lâcher de confinés.
Le miracle du moi : ça part dans tous les sens, ça vient de partout, c’est très incertain et varie beaucoup et pourtant, ça tient.
Dans quelques jours, nous allons sortir. Masqués, gantés peut-être. C’est terrible de penser que l’on va cacher ces parties du corps toujours pleines de sens et souvent porteuses d’émotions.
Il y a un bénéfice néanmoins, mais il faudra être patient. Dans deux ou trois générations, ces zones interdites seront devenues hautement suggestives. On verra alors des petites filles, gentiment perverses, entraîner derrière la cantine des petits garçons, timidement excités, et leur dire « tu veux voir ma langue ? ».
Un sondage récent montre qu’il y a deux fois plus de lecteurs de romans sud-américains chez les catholiques non-pratiquants que chez les loueurs de matériel de chantier, en revanche, il y a autant de névrosés (à un ou deux points près) chez les charcutiers de ville que chez les footballeurs gauchers. Un autre sondage nous apprend, contre toute attente, que les amateurs de vinaigre balsamique écoutent trois fois plus France Inter que RTL alors que les utilisateurs de YouTube consomment autant de Sprite que de 7 Up. Je n’ai rien trouvé sur les collectionneurs de poupées des chanteuses des années 70, mais j’ai appris que les buveurs de Saint Estèphe (notamment le Château Calon-Ségur) étaient plus Laurence Ferrari que David Pujadas (58,2% vs 37,4%) tandis que les joueurs de poker en ligne étaient moins rasoir électrique que rasoir manuel (chiffres à prendre avec précaution, car on compte un très grand nombre de barbus dans cette catégorie). Un sondage d’actualité montre que parmi les confinés habitant au sud de la Loire, ayant plus de 75 ans et votant à droite, 3,2% répondent « non » neuf fois sur dix aux sondages, 2,3% répondent « oui » et les autres ne savent pas ou ne veulent pas répondre (moi, j’appelle ça des grincheux ; mais je m’éloigne).
C’est bien ces sondages, ils nous renseignent sur nos voisins, c’est important, mais aussi sur les étrangers.
Tenez par exemple, j’ai appris que parmi les consommateurs gabonais de pangolin, moins de 2% ont assisté ou comptent assister à un concert des Stones et que parmi les propriétaires indiens de Tata Nano, plus de six sur sept utilisent les services d’un barbier. Je trouve tout cela intéressant à savoir.
Certains sondages sont plus pointus. On sait que parmi les 235 Français qui ont lu et compris Finnegans Wake (dans le texte), tous sans exception, mettent du sucre dans leur café alors qu’ils ne sont que 78 à boire leur whisky avec des glaçons (c’est curieux quand même, jamais je n’aurais pensé une chose pareille !).
En fait, j’adore les sondages, j’ai toujours aimé apprendre.
– Quoi, ils lèvent déjà le confinement et en plus, ils trouvent ça trop long ! Quelles chochottes ces humains. Dis-moi Pierre, ça fait combien de temps qu’on est confinés là-haut, nous ?
Hegel était plutôt bien parti avec sa dialectique, mais il a fait un pas de trop, la synthèse. Les marcheurs le savent depuis longtemps, après le pied gauche, c’est le droit qu’il faut lancer et après le droit, le gauche à nouveau (mais un autre gauche). Cette démarche est logique mais semble simpliste et pour la dépasser, on peut essayer le saut à pieds joints, la roulade ou la roue, le pas chassé, ramper ou marcher à quatre pattes. Finalement, la marche, cette dialectique sans synthèse – gauche, non droit, non gauche, non… –, a plus d’allure. Il reste le saut de l’ange encore, qui n’est pas sans panache mais requiert, sinon une nature angélique, un contexte particulier.
La course exprime mieux encore la fécondité de cette dialectique inachevée en doublant la première alternance gauche-droite d’une seconde, élan-chute : je m’élance, non je chute, non je m’élance, non… Il y a de l’ange aussi, chez le coureur qui transgresse la loi de l’attraction universelle, et il y a de la bête qui n’oublie jamais de lui rappeler qu’il est vraiment lourd. De l’élan, de la chute, mais pas de synthèse.
Si synthèse il y a, c’est plus tard, quand assis, une bière à la main, le coureur refait sa course et retrace sa vie. Mais il n’est plus un coureur alors, seulement un dialecticien fatigué.
En France, on avait à peu près trente millions de sélectionneurs de football. Vous vous demandez ce qu’ils sont devenus ? Eh bien ils sont virologues.
Depuis quelques jours, on raconte sur les réseaux sociaux – vraiment, on ne sait plus à quel saint se vouer ! – que l’hypothèse selon laquelle le coronavirus viendrait du laboratoire P4 de Wuhan a été montée de toutes pièces par des pangolins chinois. Ça semble un peu gros quand même, ça sent son infox à plein nez ; le pangolin est plutôt bonhomme et docile. En revanche, je ne serais pas étonné que ce soit un coup des chauves-souris malaisiennes dont on connaît bien la fourberie, voire la perfidie.
Attendons le verdict des modérateurs de Facebook qui sauront rétablir la vraie vérité.
Défie-toi du solitaire, crains le grégaire et ne cuis pas trop tes haricots verts.
Si vous n’avez rien à cacher, nous explique-t-on, vous n’avez rien à craindre d’une société transparente.
Tout voir, tout exposer, tout exhiber, tout pénétrer toujours plus profondément, jusqu’à ce que, précisément, de profondeur, il n’y en ait plus, laissant là une surface superficielle et muette, sans pli ni ombre. Serait-ce ce que l'on nous propose ?
Je ne veux pas d’un monde sans cachettes, d’une voisine sans secrets, d’un savoir sans incertitudes, d’un livre sans mystère.
L’opacité, c’est là que logent imagination et désir.
– Combien ?
– 30 heures, 13 minutes et 47 secondes.
– Ouais ! J’ai battu mon record. Plus de trente heures sans parler du corona !
Le matin, je ne m’ouvre pas trop vite au monde pour ne pas effrayer ce que la nuit m’a apporté.
– Le premier pas, j’aimerais qu’elle fasse le premier pas, car, voyez-vous, je n’ose pas.
– Bon, eh bien ce n’est pas gagné, pour Terre et Lune, conclut Soleil.
Dites-moi, est-ce que quelqu’un a des nouvelles de Benjamin ? Et Nicolas ? Non. François ? Non plus ?
Ça va être drôle dans le monde d’après, on pourra jouer à « qu’est-ce que tu faisais avant ? ».
Par exemple, il faudra deviner que la nouvelle et redoutable joueuse de crapette, Olga Krapotchenka, était championne olympique de lancer du marteau, ou bien que le meilleur joueur d’osselets de France, Armel Plouïnec, était moniteur de voile aux Glénan. Bien sûr certains auront peu changé : Li Po Sun Lime sera toujours l’un des plus efficaces avec une raquette de ping-pong (les experts noteront tout de même un resserrement de son jeu et un service qui tue deux fois sur trois) et Kevin Robert dominera toujours les sessions nocturnes de Minecraft. Il sera moins aisé de deviner que Vince Delarue, coach en rangement de vie intérieure était vendeur de voitures de sport ou que Solveig Malorie-Le Moine, marchande de cookies à l’écorce de quinquina, était DRH chez Sanofi, ou encore que les sœurs Lola et Mila, directrices d’un salon de maquillage tendance, étaient respectées sur les sites de base-jump du monde entier.
Ça va changer, dans le monde d’après. Il n’est pas impossible que l’on découvre que la dernière œuvre de Christo est un serpentin de coquillettes (plus quelques pennes et macaronis, sans doute pour rompre la monotonie) long de plusieurs centaines de mètres ou que le dernier projet de Mike Horn (au grand soulagement de ses filles) est de remplir un livre entier de coloriages sans dépasser une seule fois (toujours excessif ce Mike !).
J’ai hâte de jouer. En plus, ça va m’amuser de voir la tête des gens quand je leur apprendrai qu’avant d’être blogueur spécialisé en confinement, j’étais chasseur de pangolin en Malaisie.
Il s’agit d’un problème de focale : si l’on zoome, on voit mieux mais moins.
On a le sentiment que la politique adopte le point de vue scientifique et considère le monde, la vie, l’avenir comme à travers un microscope. On grossit l’espace, on concentre le temps et on ne s’intéresse plus ni aux causes, ni aux conséquences ; entièrement absorbés par des symptômes énormes, on gère la crise, selon la formule.
C’et le règne de l’infiniment petit, de l’infiniment étroit, de l’infiniment court. Une bonne politique de confinés finalement.
– Dis donc viens ici toi, montre-moi ce que tu caches dans ta main. Mais dis-moi, c’est un coronavirus.
– Oui, mais je ne lui fais pas de mal.
– Bon alors ça va, espèce de petite chloquine.
Quand je vois l’intelligence de certains virus, capables de traverser la planète en deux semaines, sans rien payer, tout en narguant des milliers de savants qui les traquent jour et nuit, je me désole de voir la bêtise crasse du papillon de nuit, incapable de rentrer dans une pièce porte grande ouverte sans se cogner aux murs mais qui, en revanche, fonce droit sur la lampe allumée et y retourne sans la rater, s’y brûlant ainsi une fois, dix fois, cent fois.
Alors voilà, je pose la question, il doit bien y avoir quelque chose que le papillon de nuit sait faire, sinon avec talent, avec efficacité au moins. Oui mais quoi ?
C’est dommage, je l’aimais bien, mais je ne pense pas le ressortir de sitôt mon déguisement de chauve-souris.
Tu veux faire trader. Essaie plutôt vendeur de savons, c’est un métier d’avenir.
Il y a des jours de grande fatigue où l’on n’a même pas l’énergie de faire la liste des choses que l’on devrait faire. Alors, on va jusqu’à reporter au lendemain la procrastination : pour tout ce que je n’aurai pas le temps de faire demain, on verra plus tard.
À ce stade, il n’est pas certain qu’un jus de kiwis suffise.