Marcellin Labrousse ne faisait pas grand-chose de sa vie : il essayait de réparer sa vieille mobylette souvent en panne (il s’agirait d’un problème chronique de carburateur) et apparaissait épisodiquement dans un blog prétendument littéraire. Une existence tranquille, faite de petits événements de nature à lui assurer un bonheur simple et des mains sales.
Un jour de mai pourtant, il lui arriva ce qui statistiquement n’avait qu’une chance sur vingt mille de lui arriver (selon un calcul rapide et approximatif fait par Marie-Jean Beaugrenier, l’instituteur qui connaissait bien Marcellin, non pour l’avoir vu souvent à l’école, mais parce qu’il avait aidé Jeanne, la nièce de Marcellin, à passer le concours de l’École Normale) : il gagna un scooter à la tombola de la foire agricole.
« Ce fut une longue et belle journée… », c’était toujours ainsi que Marcellin commençait le récit de cet événement.
Eh bien, allez savoir pourquoi, Marcellin n’utilisa jamais son scooter, pas une seule fois, et continua de tomber en panne très régulièrement en mobylette (ce n’était pas un problème de gicleur bouché, contrairement à ce qu’on lui disait souvent). En revanche, il le prêtait régulièrement à Victoire Malèse, son cousin. Ce qui ne devait pas arriver arriva : il finit dans un fossé, et en piteux état (le scooter), un soir où Victoire oublia de tourner au fameux virage de la Dame Blanche, après la ferme du père René. C’était assez prévisible, sermonna Marie-Jean Beaugrenier, sans donner pour autant la moindre statistique.
« Plus de peur que de mal, mais moins de pépins que de tuiles », c’était toujours ainsi que Marcellin terminait le récit de cet événement.
Jeanne avait réussi son concours, mais fréquentait peu son oncle Marcellin.
(Jeanne ne s’est jamais exprimée sur l’affaire du scooter. Nous n’avons pas essayé de la contacter.)