Alors qu’un laboratoire de modélisation séquentielle annonce pour la fin de l’année la résolution du problème de la priorité de l’œuf et de la poule, une nouvelle question surgit : qui survivra à l’autre ?
Alors qu’un laboratoire de modélisation séquentielle annonce pour la fin de l’année la résolution du problème de la priorité de l’œuf et de la poule, une nouvelle question surgit : qui survivra à l’autre ?
À trop prévoir, on froisse le futur qui se conforme par dépit à nos petites prévisions.
Plaisir du fruit
Bonheur de la confiture
Joie du bourgeonnement
Elle naquit, vécut et mourut.
(Librement inspiré d'une histoire vraie)
Pour ce qui est de la réalité augmentée, je fais moins confiance aux lunettes d’Apple qu’à mon imagination.
À la fin, logiquement, ce devrait être moins compliqué d’exister. Et pourtant !
L’enfer, c’est les autres déconfinés.
Tu es diabétique, schizophrène, tu as le palu, une cirrhose, une cystite, tes problèmes d’aménorrhée ne s’arrangent pas, tu as attrapé la bilharziose, la dengue, la légionellose, la gale, ton arthrite te fait mal, ton asthme t’angoisse, ton vitiligo te gêne, tu as le syndrome du canal carpien, de Cushing, de Guillain-Barré, de l’intestin irritable, tu as une fissure anale, une fistule dentaire, une fibrose pulmonaire, eh bien dommage ! Cette année, il fallait avoir le coronavirus.
– La vie ne prouve rien.
– Et donc ?
– Prendre, c’est renoncer à comprendre, tu vois, et avoir, c’est altérer son être. Posséder, c’est s’aliéner et plus grave encore, consommer, c’est se consumer.
Malgré ses efforts conceptuels, Jordan ne parvint pas à convaincre son petit frère de lui laisser son pain au chocolat.
Très blancs ces oignons
Très vert ce persil
Très rouge aïe du sang.
Le surintendant – sous-entendu Saturnin du Toussiny – n’était ni si malentendant ni surendetté du tout (c’était tentant pourtant de le penser), seulement définitivement édenté (sur le devant) ; il vendait du vent à qui voulait et se vantait de pouvoir venter à volonté (et il n’inventait pas, le charlatan, ses ouragans malodorants vous ruinaient le nez, par Satan !).
À la fin du printemps, le surintendant, pas méchant, mais tout en esbroufe, organisa une fête – grosse bouffe, vol-au-vent, anisette et vin blanc, mais pas de schnouff (ou peut-être quelques amphètes, deux boulettes et trois barrettes).
Il invita l’ambassadeur Guillain de Lestouffe, dit « Patapouf », vilain, boudeur, pas très malin (et quel glandeur ! et quel branleur !) ; pignouf de première classe, il ne sortait qu’accompagné d’une de ses pouffes, Ludmila, Svetlana, Iekatarina…, ses « fouffes de l’Est », comme il disait – quelle horreur !
Saturnin convia aussi sa voisine, la divine Ève aux lèvres vert olive (jolie veuve, veule et velue plus que naïve, parfois devine, souvent avinée). Ève Lévi était animée d’une passion innée pour les bons vivants aux mœurs déviantes ; les odeurs malséantes et les couleurs délirantes avivaient ses avides envies de vits à toute heure du jour et de la nuit.
Il invita également la jeune sous-préfète Mimose La Salette-Préloux, ouverte, posée, toujours satisfaite, avec un beau sourire de bergerette – comment dire ? l’invitée parfaite ! Il escomptait bien la séduire et se faire plaisir. (« Ose Mimose et tire-la en levrette », tel était l’élégant code secret de sa fête.)
Il y avait aussi quelques nymphettes sans pudeur, Édith en visite chez Brigitte et Marguerite, une blondinette, qui cohabitent rue de l’Estafette ; des triathlètes cosmopolites sans vie intérieure ; un ermite pas très net, trafiqueur et tripatouilleur ; un exégète à lunettes hâbleur et en faillite ; une femmelette en fureur complètement obsolète et un peu hypocrite ; un accoucheur insolite, helvète, mais honnête ; un spirite compétiteur (surnommé La Triplette : baiseur, banqueteur, baratineur) ; un dépuceleur à talonnettes en fuite ; une starlette antisémite sans demeure fixe. Et puis un proxénète hermaphrodite, un dictateur en voiturette, une carmélite, un vendeur de savonnettes et d’eau bénite, un dompteur de civettes et de bernard-l’ermite, un cénobite manipulateur, un chanteur d’opérette alaouite, un fumeur de cigarettes illicites, un chiite provocateur, des coquettes sybarites en chaleur, des mauviettes, des parasites, des midinettes de bonne humeur et beaucoup de pique-assiettes, mais pas d’agriculteurs.
Il y avait mademoiselle Georgette (concubine du père Lépine et fille adultérine de la mère Antoinette) connue pour sa laideur et son coup de fourchette (les jeux de braguette, de lance-roquette ou de pouët-pouët de son hôte la lassaient vite, elles préféraient les rillettes, les tartiflettes et surtout les paupiettes sauce poulette, mais pas les aubergines ni les courgettes) ; et sœur Bernadette, « une fleur divine, une madone florentine, une capucine aux effluves charmeurs, mais aux épines acérées comme des machettes », disait d’elle le surintendant, poète à ses heures, qui avait bien tenté de lui conter fleurette, mais en vain ; et aussi le docteur Ropine, toujours en goguette, coureur par sa mère et bagarreur par son père, porté sur la bibine et les brunettes, il soignait tout à la chloroquine, même le diabète et les terreurs nocturnes.
Pour l’occasion, le surintendant avait fait venir un trouvère et un troubadour (par souci d’équité ethnique), un jésuite sévère et un bolchevique (pour l’équité éthique), toute l’élite moscovite (pour l’étiquette et les verres de vodka), Patrick Leclerc pour sa plastique et sa petite gueule d’amour, Monique (la quincaillière) pour son esthétique glamour, Miquetanère pour son humour à l’envers et madame Judith Mansour, la conseillère d’orientation (on ne sait pas pourquoi).
Quelle fête les amis ! Vers six heures du matin le surintendant rentra se coucher, seul, mais repu et bien-aise.
La distanciation sociale, c’est la revanche des presbytes.
Bien malgré eux, les jeunes Français auront appris un nouveau mot pendant ce confinement. Et ils n’ont pas fini de l’entendre.
– P’pa, est-ce que je peux sortir ce soir ?
– As-tu un motif impérieux ?
Il n’est pas impossible que je sois un redoutable tueur à gages asymptomatique.
Marcel Poudevigne, représentant de la Fédération française de pétanque et de jeu provençal à Brignole-sur-Issole explicite le décret officiel sur le déconfinement qui a pu paraître obscur à certains : la distanciation sociale ne concerne ni les boules ni le cochonnet.
Je suis donc sorti vérifier si le monde d’après était différent, comme annoncé.
Eh bien oui ! Sans aucun doute. J’ai pris le sentier de montagne que j’empruntais régulièrement, j’en connais chaque virage, chaque montée, chaque descente, or, il faut bien le concéder, il est plus long et plus fatigant qu'avant.
Je suis rentré abasourdi et épuisé.
Et si le masque ne faisait que masquer l’absence de changement ?
Faute de lâcher de taureaux – peu respectueux des gestes barrières –, nous aurons lundi un lâcher de confinés.
Le miracle du moi : ça part dans tous les sens, ça vient de partout, c’est très incertain et varie beaucoup et pourtant, ça tient.
Dans quelques jours, nous allons sortir. Masqués, gantés peut-être. C’est terrible de penser que l’on va cacher ces parties du corps toujours pleines de sens et souvent porteuses d’émotions.
Il y a un bénéfice néanmoins, mais il faudra être patient. Dans deux ou trois générations, ces zones interdites seront devenues hautement suggestives. On verra alors des petites filles, gentiment perverses, entraîner derrière la cantine des petits garçons, timidement excités, et leur dire « tu veux voir ma langue ? ».
Un sondage récent montre qu’il y a deux fois plus de lecteurs de romans sud-américains chez les catholiques non-pratiquants que chez les loueurs de matériel de chantier, en revanche, il y a autant de névrosés (à un ou deux points près) chez les charcutiers de ville que chez les footballeurs gauchers. Un autre sondage nous apprend, contre toute attente, que les amateurs de vinaigre balsamique écoutent trois fois plus France Inter que RTL alors que les utilisateurs de YouTube consomment autant de Sprite que de 7 Up. Je n’ai rien trouvé sur les collectionneurs de poupées des chanteuses des années 70, mais j’ai appris que les buveurs de Saint Estèphe (notamment le Château Calon-Ségur) étaient plus Laurence Ferrari que David Pujadas (58,2% vs 37,4%) tandis que les joueurs de poker en ligne étaient moins rasoir électrique que rasoir manuel (chiffres à prendre avec précaution, car on compte un très grand nombre de barbus dans cette catégorie). Un sondage d’actualité montre que parmi les confinés habitant au sud de la Loire, ayant plus de 75 ans et votant à droite, 3,2% répondent « non » neuf fois sur dix aux sondages, 2,3% répondent « oui » et les autres ne savent pas ou ne veulent pas répondre (moi, j’appelle ça des grincheux ; mais je m’éloigne).
C’est bien ces sondages, ils nous renseignent sur nos voisins, c’est important, mais aussi sur les étrangers.
Tenez par exemple, j’ai appris que parmi les consommateurs gabonais de pangolin, moins de 2% ont assisté ou comptent assister à un concert des Stones et que parmi les propriétaires indiens de Tata Nano, plus de six sur sept utilisent les services d’un barbier. Je trouve tout cela intéressant à savoir.
Certains sondages sont plus pointus. On sait que parmi les 235 Français qui ont lu et compris Finnegans Wake (dans le texte), tous sans exception, mettent du sucre dans leur café alors qu’ils ne sont que 78 à boire leur whisky avec des glaçons (c’est curieux quand même, jamais je n’aurais pensé une chose pareille !).
En fait, j’adore les sondages, j’ai toujours aimé apprendre.
– Quoi, ils lèvent déjà le confinement et en plus, ils trouvent ça trop long ! Quelles chochottes ces humains. Dis-moi Pierre, ça fait combien de temps qu’on est confinés là-haut, nous ?
Hegel était plutôt bien parti avec sa dialectique, mais il a fait un pas de trop, la synthèse. Les marcheurs le savent depuis longtemps, après le pied gauche, c’est le droit qu’il faut lancer et après le droit, le gauche à nouveau (mais un autre gauche). Cette démarche est logique mais semble simpliste et pour la dépasser, on peut essayer le saut à pieds joints, la roulade ou la roue, le pas chassé, ramper ou marcher à quatre pattes. Finalement, la marche, cette dialectique sans synthèse – gauche, non droit, non gauche, non… –, a plus d’allure. Il reste le saut de l’ange encore, qui n’est pas sans panache mais requiert, sinon une nature angélique, un contexte particulier.
La course exprime mieux encore la fécondité de cette dialectique inachevée en doublant la première alternance gauche-droite d’une seconde, élan-chute : je m’élance, non je chute, non je m’élance, non… Il y a de l’ange aussi, chez le coureur qui transgresse la loi de l’attraction universelle, et il y a de la bête qui n’oublie jamais de lui rappeler qu’il est vraiment lourd. De l’élan, de la chute, mais pas de synthèse.
Si synthèse il y a, c’est plus tard, quand assis, une bière à la main, le coureur refait sa course et retrace sa vie. Mais il n’est plus un coureur alors, seulement un dialecticien fatigué.
En France, on avait à peu près trente millions de sélectionneurs de football. Vous vous demandez ce qu’ils sont devenus ? Eh bien ils sont virologues.