Écrire c’est mentir.
C’est aussi ce que laisse entendre, en creux, l’expression duplice « homme de parole ».
Écrire c’est mentir.
C’est aussi ce que laisse entendre, en creux, l’expression duplice « homme de parole ».
Des écritures si diverses.
Comme des visages qui changent, comme des peaux qu’on peut enlever ou remettre.
Rien de mensonger, pas des masques.
Juste un dedans qui grouille et qui gronde de mots de toutes les langues.
Zut, on est déjà aujourd’hui et je n’ai encore rien écrit. Les sujets, graves ou légers, ne manquent pas pourtant. Non, ce qui manque, c’est vous.
Je n’ai pas dit que vous me manquiez, mais seulement que vous manquez. Vous, lecteurs, vous manquez, vous faites défaut, vous êtes absents, vous n’existez pas. Voilà la belle absurdité, je
m’adresse à un néant, pas même un silence ou une carence, j'écris pour un vide, une béance, je donne généreusement pour un trou noir.
Bien sûr, si vous existiez, vous diriez, « nous ne sommes pas absents, nous sommes ailleurs et bien présents ». Quelle prétention, quelle arrogance que ces petites nullités de rien du
tout qui se croient exister, ces absents qui prennent la parole et imitent les présents.
Allez, magnanime, je vous l’accorde, vous n’êtes pas rien, vous êtes des précaires de l’existence en sursis de néantisation, mais il ne tient qu’à moi de cesser d’écrire pour que vous vous
dissipiez comme un chuchotement sans écho, pas même un mauvais souvenir, une vapeur inodore, sans saveur ni talent, ridicule et minuscule.
Vous êtes mon rêve, un jour je me réveillerai.
Vous êtes mon délire, un jour je reviendrai à la raison.
Je vous aurai prévenu.
Je cherche une phrase, brève, impérieuse et lumineuse comme un éclair – évidence solaire sur fond de néant noir.
Non pas pour mieux voir, éclairé, savant, prévoyant, mais pour avancer ensuite, aveuglé et naïf, guidé seulement par un avenir rémanent, souvenir incertain d’une souveraine certitude qui préserve
du repos et nourrit les échappées.
Écrire une fois par jour, c’est beaucoup trop – même pour un minimaliste.
Aller son erre et la laisser s’épuiser d’elle-même sans point sans virgule lentement jusqu’au silence du simple en suspens dans la présence recouvrée la laisser juste résonner encore comme un souvenir discret comme un écho modeste la phrase
Ouf ! Enfants couchés, vaisselle faite, factures payées, vais enfin pouvoir me poser ; reste bien les œuvres complètes de Hegel, le ferai demain, maintenant, c’est blog-time. J’y vais.
« Pour vous, pour moi, un mot, une voix ».
Voilà c’est tout, à demain, merci !
Que vous dire ce matin ?
J’ai sur mon bureau un ticket de caisse illisible, une tasse vide, une pince à linge égarée, trois bouchons de stylo orphelins et quelques petites choses encore qui me laissent, je le confesse,
sereinement indifférent. Marguerite Duras en aurait fait trois livres, Francis Ponge deux poèmes, Georges Pérec un chef d’œuvre. Je vais, quant à moi, commencer par mettre un peu d’ordre dans mes
affaires, faute de quoi mes idées seraient confuses, ma syntaxe approximative, et je vous infligerais quelque inepte et insignifiante coquecigrue.
Je m’en voudrais.
Je me répète, me direz-vous – c’est indéniable, je me répète – mais une question me taraude, simple et impérieuse, (comme en écho à ce que demandait Adorno, écrire un poème après
Auschwitz n’est-ce pas barbare ?) :
est-ce bien sérieux de ne l’être pas davantage ?
Capricieuses et déroutantes, elles semblent se plaire à souvent venir sans prévenir et jamais si on les attend, les idées, et disparaître ensuite très vite sans laisser traces ni
adresse.
Il faut savoir être patient, vigile et toujours disposer pour elles d’un petit bout de papier propre et accueillant.
Je cherche la voix, noire et sure comme une nuit d’hiver, puissante et fidèle comme la main de l’ami, qui serait le chant de ce que Pierre Soulages peint.
instants dans l’orbe nocturne
d’un bleu doux et lent
indolence sans calcul
suspens dans le souffle juste
d’un vent continu
tendres rumeurs sans désir
retours dans l’ordonnancement
inextricable
affolement sans visage
Un bon aphorisme minimaliste est tolérant, généreux et participatif : il offre au lecteur la possibilité d’une interprétation neuve.
Servez-vous, c'est libre et gratuit.
quand la preuve, tréblouissante, surexpose ce qu’elle prétend démontrer
quand le sentiment, nescur, floute ce qu’il prétend décrire
quand le mot juste – sinistre bavarice – insuffit ce qu’il prétend clore
quand l’image évocalisée, souvent solitudinaire, révoque ce qu’elle prétend baradiner
quand le bon usage, épusé, troublie ce qu’il prétend prodire
comment vous dire alors ce qui s’en va ou se retient ?
À trop écrire on s’absente, certes, mais la présence dissipe.
À trop s’inscrire on oublie, oui, mais la mémoire retient.
Bonne nouvelle : les auteurs de best-sellers sont souvent – on le sait bien – de médiocres écrivains.
Mauvaise nouvelle : les auteurs de « chefs-d’œuvre » inconnus – on le sait moins – aussi.
La littérature n’a pas vocation à rassurer ; nous avons déjà pour cela AXA, numéro 1 mondial, Louis Bozon sur France Inter et les romans de Marc Levy.
Dans le mot apocryphe de Flaubert : « je suis Madame Bovary », il faut entendre le verbe suivre.
Lisez moins ; écrivez plus.
Un jour sans doute, et prochainement peut-être, tout aura été déjà dit au moins une fois. On pourra encore, un temps, jouer un peu sur l’intonation, mais il faudra bien finalement
se résoudre à répéter ou se taire.
Alors on attendra le poète comme un premier matin, on l’espérera comme un messie laïque, pour un lever de sens et une renaissance au temps ; on aura compris enfin que ses mots ne sont ni
beaux ni obscurs, ni euphoniques ni licencieux, ni rimés ni rythmés, ni engagés ni passionnés, mais plus radicalement, plus simplement, toujours, mais la première fois seulement, inouïs.
Il faut, quand on est e-écrivain, oser la bêtise la plus pitoyable, le médiocre et le salace, le putassier graveleux, les âneries et les inepties, ou bien se résoudre à n’être lu que par les très incultes robots de Google qui, contre toute attente, ne sautent pas les aphorismes métaphysiques, eux.
Admirables sont ces philosophes qui philosophent, ces poètes qui poétisent, ces amoureux qui aiment, ces penseurs qui pensent, ces rêveurs qui rêvent, ces révolutionnaires qui révolutionnent, quand tant d’autres, pleutres démissionnaires, critiques inféconds, bruyants sculpteurs de l'absence, se contentent paresseusement d’annoter le monde et de médire.