C’est explicite, X est une croix. D’aucuns verront un envol d’oiseaux, des épéistes belliqueux croisant le fer ou les pieds d’un curieux tabouret ; d’autres décriront un casse-noix ou un gaillard vigoureux appelant les applaudissements après le récit de ses exploits (mais là, quand même c’est exagéré !). Non, un examen exhaustif serait vain, X est une croix, point.
Sans vouloir vexer quiconque, précisons qu’il ne s’agit pas de la croix du Christ ┼, pas le crucifix. Non, il s’agit de la croix de l’interdiction – interdixion faudrait-il écrire –, comme dans le Code de la route. Le X est l’expression de l’interdiction.
Cette croix a peut-être quelque chose de religieux, mais derrière tous les exemples, elle exprime en creux une prohibition exclusivement humaine. Une interdiction qui délimite les lieux en excluant ainsi les territoires extrêmes, ceux des dieux, ceux des animaux.
La croix, c’est la loi, lex disaient les Romains, mais une loi extraordinaire, la loi fondamentale, à savoir l’exigence première censée apporter la paix en régulant les excès, bref la loi qui fixe l’humanité de l’homme. Voilà pourquoi elle porte sur le sexe. La crucifixion initiale, c’est celle du sexe et toutes les autres lois ne sont que des annexes à ce codex fondateur.
Le X est sexuel et le seXe est réglementé. On parle parfois de sexualité pour rendre la chose plus savante, on la confie à des experts, docteurs en sexologie, ce qui est une autre façon de la censurer. Le lexique est souvent prétexte à l’exercice d’un pouvoir et le sexe ne fait pas exception, bien au contraire. Parfois aussi, on déguise la lettre, comme pour s’excuser ou expier quelque faute ; on en fait un double C culbuté, ƆⅭ. Il a beau se cacher, le X est seXuel. Et plus on le met à l’index, puis il excite.
Plus on l’interdit, comme un vice monstrueux, plus il exerce sa fascination. Honteux, on le cache ici, mais on l’exhibe là et l’on fait commerce d’excitation, c’est l’industrie du X et le règne des proxénètes. Ce n’est pas mieux, ça devient même hideux. C’est ainsi, l’interdiction donne du prix. Le sexe est délictueux, mais le délit est délicieux.
Dans les deux cas, condamnation par des tribunaux de faux dévots ou exploitation par d’odieux trafiquants d’organes, il y a confiscation, par excès ou par défaut. Les deux axes du X se croisent, les deux C s’accolent, les vertueux et les vicieux se confondent. Les pieux qui censurent sont souvent les libidineux qui consomment. Le seXe est à lui tout seul un oxymore.
Rien de ceci n’est faux, mais examinons plus avant ; la chose sans doute est plus complexe qu’on ne le croit. Le X pourrait bien se révéler précieux en ces temps de repli frileux et de xénophobie décomplexée.
Il est des croix qui biffent, excommunient, qui interdisent et excluent, soit, mais d’autres donnent à voir aussi et exposent des choix. Les croix peuvent être les fardeaux de portefaix, elles peuvent signer les adieux faits à la nécessité. Le fastidieux se fait exaltant et le licencieux, exigeant. La censure pour les peureux, sans devenir un appel à la luxure, se transforme en invitation pour les aventureux.
Je m’explique. La croix, c’est aussi la croisée des chemins, quand quatre, six ou dix exils nouveaux s’offrent à l’exploration. Le X dessine une cartographie luxueuse et désorientée. Le X ouvre des lieux géométriques inconnus et fabuleux. Le X convie à des expéditions textuelles.
On peut écrire des textes hétérodoxes aux élans fructueux à même la chair. Les seXes – X est aussi la marque du pluriel et le mot devrait s’écrire ainsi pour attester une stricte équité – ne sont plus réduits alors aux seuls organes génitaux, ce qui les rendrait fort ennuyeux. Ils ne visent plus exclusivement un présumé climax. Peut-être existe-t-il un centre exact, le nœud du x, point radial et radieux, mais il faut extrapoler, s’évader, expérimenter aussi bien les sentiers ténébreux que les chemins lumineux. La voix, les yeux, les cheveux sont autant d’excursions qui peuvent mêler l’exquis au mystérieux.
Le X est un appel à l’existence des seXes. Il nous dit qu’exister, c’est excéder, c’est s’exiler, loin hors de la doxa – lieux communs et voix triviales. Non sans paradoxe, les extrêmes sont à proximité, dans le creux des reins, dans les jeux de mains, dans les aveux tendres et affectueux des amoureux.
Le X est un appel à l’expression des seXes. Tantôt silencieux, tantôt prolixe, le poète des seXes développe un lexique audacieux pour des temps nouveaux. Loin des réflexes, il invente des gestes gracieux.
Le X est un appel au voyage des seXes, sans doute faudrait-il les exfiltrer hors de la chambre exiguë des époux jaloux, là où les lits conjugaux les retiennent en otage.
Le X est excentrique, si l’on veut, mais il émeut tous les yeux et voile toutes les voix. Il brille et brûle comme les feux de la vie.