Victoire Malèse est le sympathique héros du premier roman d’un jeune auteur – roman inédit (et inachevé) d’un jeune auteur discret. Sympathique, certes, et serviable de surcroît, mais assez anodin, il faut bien le reconnaître, voire terne et médiocre. Un gentil garçon, ce Victoire, qui ne fit jamais d’histoires, chacun s’accorde à le reconnaître, mais de ce genre d’individus dont l’utilité ne saute pas aux yeux. Oui, sans doute cela est-il mal formulé, mais tout de même, puisqu’il faut appeler un chat un chat, je demande : à quoi donc Victoire Malèse servit-il ?
Sa sœur Églantine, alerte et tout en courbes, épousa le fils Labrousse et lui donna cinq enfants dont quatre garçons ; on dit également – mais cela nous éloigne un peu de notre sujet, donc je le signale en passant sans m’attarder – qu’elle ne fut pas avare non plus avec Gaston, le jeune mitron, Éliezer, un voisin parti étudier à Chalon-sur-Saône et Charles, l’oncle Labrousse (celui qui possède le magasin de cyclomoteurs). Le mot me gêne, mais je n’en trouve pas d’autres : Églantine fut utile et servit.
Gabriel, le cousin de Victoire, monta une fanfare ; il était lui-même tromboniste et utilisait sa coulisse pour donner la cadence avec habileté et précision tout en jouant. Eh bien, pas un mariage, pas une fête, pas une commémoration officielle n’eurent lieu sans les Gabs (c’était son nom de scène). Alors oui, je le dis, Gabriel fut utile et servit. Mais Victoire ?
Même sa vieille tante Odette, qui avait quitté l’école très jeune, tricotait des écharpes, des bonnets et des moufles (elle s’était lancée dans les gants, mais ça compliquait inutilement le travail, elle abandonna vite) sans lesquels les hivers auraient été fatals. Donc oui, Odette avait été utile et servit beaucoup.
Au risque de choquer, je repose alors la question : à quoi Victoire Malèse servit-il ?
Posons la question différemment : un monde privé de Victoire aurait-il été moins juste, moins beau, moins paisible, moins riche ? Je ne perdrai pas de temps à répondre et je ne comprends pas pourquoi un jeune auteur discret en perd autant à raconter l’histoire sans intérêt d’un homme terne et médiocre, à propos duquel il n’y a finalement rien à dire.
Il aurait pu être le plus jeune pilote de chasse de France ou battre le record du mangeur de choucroute le plus rapide, il aurait pu naître avec deux pouces à la main gauche. Mais non, rien. Alors pourquoi tant parler de lui ?