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C'est Peu Dire

  • : Les Restes du Banquet
  • : LA PHRASE DU JOUR. Une "minime" quotidienne, modestement absurde, délibérément aléatoire, conceptuellement festive. Depuis octobre 2007
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Et Moi

  • AR.NO SI
  • Philosophe inquiet, poète infidèle, chercheur en écritures. 55° 27' E 20° 53' S

Un Reste À Retrouver

28 juillet 2018 6 28 /07 /juillet /2018 02:23

Ce n’est pas parce que la vie n’est pas balisée que l’on doit aller n’importe où.

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27 juillet 2018 5 27 /07 /juillet /2018 02:44

Le samedi suivant, nous nous étions retrouvés au pied de La Rivière. Après avoir caressé les fesses de Dina et félicité Aristide, nous avions continué par le pont Royal, puis le quai Voltaire, le long des bouquinistes. Le pont des Arts venait d’être démonté alors nous avions pris le Pont-Neuf puis nous étions allés nous asseoir dans le square du Vert-Galant à la pointe de l’île de la Cité. Là, je lui avais lu des passages du livre de Romain Gary Les Cerfs-volants, l’histoire d’amour de Ludo et Lila pendant la Seconde Guerre mondiale.

« Encore une histoire d’amour ; mais est-ce que ça peut être autre chose qu’une histoire, l’amour ? La guerre, la Résistance, la collaboration, tout ça c’est bien réel, mais l’amour de Ludo et Lila, non. Tu sais ce que c’est, toi, l’amour ? » C’était bien la première fois que Nora semblait n’avoir rien à dire sur un sujet. « Continue à lire, s’il te plaît, j’adore tous ces personnages, Madame Julie la mère maquerelle, Tad le frère de Lila, révolutionnaire idéaliste, Ambroise le facteur timbré, on a envie de les rencontrer. » Nora avait, en écoutant, la même intensité que quand elle parlait ; parfois elle interrompait la lecture.

« Il m’intrigue ce Ludo avec son don pour le calcul et sa mémoire exceptionnelle, c’est sûr que c’était bien utile en temps de guerre ; si j’étais comme lui, j’apprendrais par cœur toutes les chansons de Renaud. Et toi, tu ferais quoi ? »

« Moi, j’apprendrais par cœur tout Balzac, cela doit faire des milliers de pages, et s’il me restait encore un peu de place, j’apprendrais Les Cerfs-volants pour te le réciter le samedi après-midi. »

Une histoire d’amour et une guerre de l’histoire, la Résistance, les trahisons, l’héroïsme, l’espoir, la délation, la fraternité, la peur, l’horreur et puis la poésie des cerfs-volants pour tirer tout cela vers le bleu. « Rien ne vaut la peine d’être vécu qui n’est pas d’abord une œuvre d’imagination, ou alors la mer ne serait plus que de l’eau salée. » Nous étions d’accord avec Gary, mais cela n’allait pas sans danger, et Gary le savait bien : « L’imagination vous joue parfois de vrais tours de cochon. C’est vrai pour les femmes, pour les idées et pour les pays. Tu aimes une idée, elle te semble la plus belle de toutes, et puis quand elle se matérialise, elle ne se ressemble plus du tout ou devient même carrément de la merde. »

« Il a raison Gary, mais alors qu’est-ce qu’on fait ? On continue de rêver, la tête dans les étoiles ou on arrête, pour vivre seulement, les pieds dans l’eau salée. Moi j’adore lire et toi tu passes beaucoup de temps à écrire. Mais pendant qu’on tourne les pages du livre, le monde lui aussi continue de tourner – et plutôt n’importe comment. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce que lire ou écrire, c’est faire ? Et qu’est-ce qu’on fait quand on fait voler des cerfs-volants ? » C’était probablement la question ultime pour Nora : comment ne pas trahir le réel, comment l’honorer ou le transformer, comment ne pas renoncer à exister, les pieds dans le dur, lors même que le ciel appelle ? À partir de quelle hauteur s’élever, c’est s’échapper ?

Après notre pause lecture, nous étions remontés par l’avenue de l’Opéra, Nora, Gary et moi, jusqu’au cinéma Paramount-Opéra, boulevard des Capucines. Jardin du Carrousel, pont Royal, quai Voltaire, Pont-Neuf, square du Vert-Galant, quai du Louvre, avenue de l’Opéra, Paramount-Opéra. Nous referons souvent ce trajet ; nous avions renommé le Pont-Neuf « la passerelle des amoureux ».

Ce soir-là on jouait Shining de Stanley Kubrick. Nous étions épuisés et cela faisait du bien de se reposer un peu. Nous étions tous les deux de grands amateurs de Kubrick, même si nous n’avions pas exactement le même tiercé : pour Nora, c’était Orange mécanique, 2001 et Docteur Folamour ; pour moi, c’était 2001, Orange mécanique et Lolita. J’ai pensé très tôt (quand l’enfant communique par télépathie avec le cuisinier) que Shining ne bouleverserait pas mon classement ; quant à Nora, lors de la scène horrifiante du baiser dans la chambre 237 (quand la jolie blonde nue que Nicholson embrasse se transforme, en hurlant de rire, en une vieille morte en décomposition), elle s’est endormie... pour se réveiller au moment où Jack poursuit son fils Danny avec une hache pour le tuer, dehors sous la neige dans le labyrinthe végétal. « Comment ça, mais la chaudière n’a pas explosé ? » Je croyais Nora encore un pied dans son cauchemar, mais elle m’expliquait que Kubrick n’avait pas suivi Stephen King dans son adaptation ; chez King, Jack mourait dans l’explosion de la chaudière.

Je l’avais raccompagnée jusqu’à la station Opéra. Je lui avais proposé de faire un bout de chemin avec elle, mais elle avait refusé. J’avais insisté un peu, en faisant remarquer qu’il était presque minuit. Elle m’avait regardé droit dans les yeux et m’avait répété très fermement « non ! ». Je regrettais mon insistance et craignais d’avoir tout gâché. « C’est à cause de tes problèmes en géographie, je ne voudrais pas que tu te retrouves au Havre. » Elle m’avait souri.

« Tu es libre mercredi ? OK, rendez-vous 14 heures, La Rivière. Viens avec Gary ! » Et elle avait disparu.

 

Le mercredi suivant, c’était le 3 décembre 1980. Romain Gary s’était suicidé la veille. Comme il pleuvait, on avait passé la journée chez moi. On se relayait pour lire Les Cerfs-volants. On interrompait souvent la lecture pour réfléchir, il nous arrivait de penser à haute voix ensemble, l’un commençait une phrase que l’autre terminait. Nora était intriguée par la dédicace, « à la mémoire ». « Parfois la mémoire est douloureuse, mais l’oubli est toujours pire. C’est pour ça que vous existez, vous les écrivains. » Sans transition je reprenais la lecture. « On put voir flotter au-dessus du camp de la honte des cerfs-volants aux couleurs gaies qui semblaient proclamer l’espoir et la confiance impérissables d’Ambroise Fleury. » « Trop fort, continue, doucement. » « JE crois que je garderai toujours dans mes yeux l’image de cet indomptable, dans notre tenue rayée de concentrationnaires, entouré de quelques débris humains qui ne tenaient à la vie que par ce qui n’a pas de corps, guidant au bout de sa ficelle un navire aux vingt voiles blanches qui palpitaient au-dessus des fours crématoires et au-dessus des têtes de nos tortionnaires. »

« Tu crois que c’est vrai cette histoire de cerfs-volants qu’Ambroise faisait voler au-dessus du camp à Buchenwald ? La mémoire, en un sens, c’est une autre vie pour le passé, mais redire le passé et l’écrire, c’est aussi une façon de le figer, de l’enterrer, de n’en faire rien d’autre qu’une leçon d’histoire ennuyeuse. Est-ce que tu crois qu’on retient le passé comme on retient un cerf-volant ? Qu’est-ce qui se passe si on lâche son passé ? Et si on le ramène trop près, dans le présent, comme un cerf-volant qu’on tient à la main ? En fait, il faudrait pouvoir garder le passé à distance, ni trop près, ni trop loin ; entre l’oubli et l’obsession. Peut-être que la bonne distance, c’est la fiction ? »

« Allez, continue. » « Et puis, ça a mal tourné. Ilse Koch, qui était gardienne au camp des femmes, se faisait fabriquer des abat-jour en peau de détenus morts. Elle vint demander à Ambroise Fleury de lui assembler un cerf-volant en peau humaine. Eh oui. Ambroise Fleury dit non, évidemment. » « Stop, arrête, s’il te plait. »

 

Au début, nous nous voyions le mercredi et le samedi parce que j’avais cours le lundi et le jeudi et elle, le mardi et le vendredi. Puis, nous nous sommes vus aussi le dimanche et finalement presque tous les jours, mais jamais à la fac et jamais chez elle. Nous passions beaucoup de temps dans les rues de Paris à marcher et discuter. Nous parlions de tout : le rôle de l’intellectuel, la misère sexuelle, la violence du savoir, le patriarcat, l’héroïne, le Goulag, l’amour libre, la société de consommation, le Tiers-monde, le nudisme, la peine de mort, le taoïsme, l’homosexualité, l’instinct maternel, l’autogestion, l’antipsychiatrie, le végétarisme, la révolution et tellement d’autres sujets encore. Nora était infatigable, elle était au courant de tout ce qui se publiait, elle avait une position sur tout et un argument contre tout. Elle était globalement très en colère. Contre le système, le capital, le mâle, Paris Match, l’Occident, le nucléaire, la chasse, Téléfoot, le dollar, les antibiotiques, la littérature sentimentale (pas contre les lectrices, mais contre les écrivains et les éditeurs), les centres commerciaux, le père Noël, le feuilleton Dallas, les voitures sur les trottoirs, miss France...

Nous fréquentions les bouquinistes, les galeries, les cafés, les cinémas. Nous échangions sur nos lectures. Elle me parlait de l’expérience de Robert Linhart qui s’était fait embaucher comme O.S. chez Citroën pour décrire de l’intérieur ce monde terrible, raciste et fraternel, avilissant et édifiant ; il le racontait dans un petit livre bouleversant L’Établi. Je lui faisais lire W ou le souvenir d’enfance de Georges Perec qui entremêlait une fiction et le récit de son histoire comme si l’écriture et l’imagination pouvaient combler les trous de mémoire et calmer les traumatismes de l’enfance. Et toujours nous revenait la même question : comment penser le monde pour le comprendre et le changer sans l’abandonner et abandonner ceux qui l’habitent ou, en sens inverse, comment s’inscrire dans le réel, s’engager, comment s’établir sans être absorbé et neutralisé par un quotidien privé de sens ?

On faisait l’amour aussi, souvent.

 

 

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26 juillet 2018 4 26 /07 /juillet /2018 02:36

La science de la réponse a peu à voir avec l’art de la question.

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25 juillet 2018 3 25 /07 /juillet /2018 02:35

Tourner la page, ce n’est pas jeter le livre.

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24 juillet 2018 2 24 /07 /juillet /2018 02:43

Le samedi suivant, nous nous étions retrouvés au pied de La Rivière. Après avoir caressé les fesses de Dina et félicité Aristide, nous avions continué par le pont Royal, puis le quai Voltaire, le long des bouquinistes. Le pont des Arts venait d’être démonté alors nous avions pris le Pont-Neuf puis nous étions allés nous asseoir dans le square du Vert-Galant à la pointe de l’île de la Cité. Là, je lui avais lu des passages du livre de Romain Gary Les Cerfs-volants, l’histoire d’amour de Ludo et Lila pendant la Seconde Guerre mondiale.

« Encore une histoire d’amour ; mais est-ce que ça peut être autre chose qu’une histoire, l’amour ? La guerre, la Résistance, la collaboration, tout ça c’est bien réel, mais l’amour de Ludo et Lila, non. Tu sais ce que c’est, toi, l’amour ? » C’était bien la première fois que Nora semblait n’avoir rien à dire sur un sujet. « Continue à lire, s’il te plaît, j’adore tous ces personnages, Madame Julie la mère maquerelle, Tad le frère de Lila, révolutionnaire idéaliste, Ambroise le facteur timbré, on a envie de les rencontrer. » Nora avait, en écoutant, la même intensité que quand elle parlait ; parfois elle interrompait la lecture.

« Il m’intrigue ce Ludo avec son don pour le calcul et sa mémoire exceptionnelle, c’est sûr que c’était bien utile en temps de guerre ; si j’étais comme lui, j’apprendrais par cœur toutes les chansons de Renaud. Et toi, tu ferais quoi ? »

« Moi, j’apprendrais par cœur tout Balzac, cela doit faire des milliers de pages, et s’il me restait encore un peu de place, j’apprendrais Les Cerfs-volants pour te le réciter le samedi après-midi. »

Une histoire d’amour et une guerre de l’Histoire, la Résistance, les trahisons, l’héroïsme, l’espoir, la délation, la fraternité, la peur, l’horreur et puis, et puis aussi la poésie des cerfs-volants pour tirer tout cela vers le bleu. « Rien ne vaut la peine d’être vécu qui n’est pas d’abord une œuvre d’imagination, ou alors la mer ne serait plus que de l’eau salée. » Nous étions d’accord avec Gary, mais cela n’allait pas sans danger, et Gary le savait bien : « L’imagination vous joue parfois de vrais tours de cochon. C’est vrai pour les femmes, pour les idées et pour les pays. Tu aimes une idée, elle te semble la plus belle de toutes, et puis quand elle se matérialise, elle ne se ressemble plus du tout ou devient même carrément de la merde. »

« Oui, oui, oui, il a raison Gary, mais alors qu’est-ce qu’on fait ? Hein ? On continue de rêver, la tête dans les étoiles ou on arrête, pour vivre seulement, les pieds dans l’eau salée. Moi j’adore lire et toi tu passes beaucoup de temps à écrire. Mais pendant qu’on tourne les pages du livre, le monde lui aussi continue de tourner – et plutôt n’importe comment. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Dis-moi. Est-ce que lire ou écrire, c’est faire ? Et qu’est-ce qu’on fait quand on fait voler des cerfs-volants ? » C’était probablement la question ultime pour Nora : comment ne pas trahir le réel, comment l’honorer ou le transformer, comment ne pas renoncer à exister, les pieds dans le dur, lors même que le ciel appelle ? À partir de quelle hauteur s’élever, c’est s’échapper ?

Après notre pause lecture, nous étions remontés par l’avenue de l’Opéra, Nora, Gary et moi, jusqu’au cinéma Paramount-Opéra, boulevard des Capucines. Jardin du Carrousel, pont Royal, quai Voltaire, Pont-Neuf, square du Vert-Galant, quai du Louvre, avenue de l’Opéra, Paramount-Opéra. Nous referons souvent ce trajet ; nous avions renommé le Pont-Neuf « la passerelle des amoureux ».

Ce soir-là on jouait Shining de Stanley Kubrick. Nous étions épuisés et cela faisait du bien de se reposer un peu. Nous étions tous les deux de grands amateurs de Kubrick, même si nous n’avions pas exactement le même tiercé : pour Nora, c’était Orange mécanique, 2001 et Docteur Folamour ; pour moi, c’était 2001, Orange mécanique et Lolita. J’ai pensé très tôt (quand l’enfant communique par télépathie avec le cuisinier) que Shining ne bouleverserait pas mon classement ; quant à Nora, lors de la scène horrifiante du baiser dans la chambre 237 (quand la jolie blonde nue que Nicholson embrasse se transforme, en hurlant de rire, en une vieille morte en décomposition), elle s’est endormie... pour se réveiller au moment où Jack poursuit son fils Danny avec une hache pour le tuer, dehors sous la neige dans le labyrinthe végétal. « Comment ça, mais la chaudière n’a pas explosé ? » Je croyais Nora encore un pied dans son cauchemar, mais elle m’expliquait que Kubrick n’avait pas suivi Stephen King dans son adaptation ; chez King, Jack mourait dans l’explosion de la chaudière.

Je l’avais raccompagnée jusqu’à la station Opéra. Je lui avais proposé de faire un bout de chemin avec elle, mais elle avait refusé. J’avais insisté un peu, en faisant remarquer qu’il était presque minuit. Elle m’avait regardé droit dans les yeux et m’avait répété très fermement « non ! ». Je regrettais mon insistance et craignais d’avoir tout gâché. « C’est à cause de tes problèmes en géographie, je ne voudrais pas que tu te retrouves au Havre. » Elle m’avait souri.

« Tu es libre mercredi ? OK, rendez-vous 14 heures, La Rivière. Viens avec Gary ! » Et elle avait disparu.

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23 juillet 2018 1 23 /07 /juillet /2018 02:33

L’espoir fait vivre, les sondes gastriques aussi.

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22 juillet 2018 7 22 /07 /juillet /2018 02:34

Si l’on s’en tient aux cris, naître semble plus douloureux que mourir ; si l’on considère l’appétit, mourir semble moins engageant que naître.

Hypothèses à vérifier.

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21 juillet 2018 6 21 /07 /juillet /2018 02:39

Je connaissais mal les chansons de Renaud, à l’époque je pratiquais le Chant grégorien à la fac. J’avais suivi un ami qui était en philosophie, il m’avait introduit dans le cours de Iégor Reznikoff. Reznikoff était professeur de logique, spécialiste de l’intuitionnisme de Brouwer, mais le soir venu, il réunissait un petit groupe d’étudiants pour chanter dans un escalier du bâtiment B qui avait selon lui une acoustique particulière, sa résonance lui rappelait un peu celle de l’abbaye de Fontenay. On restait dans le noir pour ne pas troubler la « réponse » du son et favoriser une conversion spirituelle. Alors, les louanges des Gaules chrétiennes s’élevaient de l’escalier B. Oui, c’était sa thèse, le Grégorien ne venait pas de Rome, mais du grand chant des Gaules chrétiennes.

J’essayais d’expliquer à Nora ce que j’avais cru comprendre de l’intuitionnisme de Brouwer : cela remettait en question le sacro-saint principe du tiers exclu qui voulait que l’on n’ait le choix qu’entre le vrai ou le faux sans troisième voie ; or, selon Brouwer, dans un système infini, il n’y a pas que deux possibilités, on ne peut pas décider.

Nora jubilait. « C’est vrai que deux, c’est trop peu, ça fait un peu binaire, justement ; je crois que le vrai pluriel ne commence qu’à trois ; deux, c’est un essai raté, c’est un face à face qui annule les forces, c'est une symétrie sans vie, sans désir. Le deuxième est un reflet, un double mais pas encore un autre. C’est à partir de trois que tout commence. Et se complique : on passe de la logique à la politique. J’aimerais bien un jour, aller chanter dans ton escalier sacré. Autrement tu écoutes quoi ? »

J’avais eu envie de l’interroger sur l’amour, le couple amoureux n’était-il pas la société la plus intense, la plus sublime, le chiffre secret de la vérité, je voulais savoir ce qu'elle faisait de notre duo alors… mais elle était déjà passée à autre chose et avait laissé sa thèse sur le bord de sa pensée. J’essayais de la rattraper.

Qu'est-ce que j'écoute ? À la différence de la littérature et du cinéma, j’avais, en musique, des goûts curieusement très éclectiques. Je devais une grande partie de ma culture musicale à cet ami philosophe qui m’avait fait découvrir beaucoup de choses : Olivier Messiaen et ses sublimes Petites liturgies de la présence divine, Philip Glass et son immense Einstein On The Beach (il l’avait vu à Avignon en 1976, il ne s’en était toujours pas remis et ne cessait de m’en parler, il avait réussi à en enregistrer une partie, mais il n’avait prévu que trois cassettes alors que cela durait cinq heures, c’était incomplet et de très mauvaise qualité, mais c’était un trésor d’une valeur inestimable à ses yeux). J’écoutais aussi Charlie Parker (Bird ou Cherokee), Maxime Le Forestier (« on ira voir la maison bleue à San Francisco ? » « oui, mais c’est toi qui conduiras »), Magma, Gainsbourg, Pink Floyd, Ange ou Led Zeppelin et David Bowie bien sûr. Le reste de ma culture, je le devais à Jean-Bernard Hebey et son émission Poste restante sur RTL que je ne ratais jamais.

Je lui parlais aussi de Gérard Manset, « la prochaine fois, je te ferai écouter La Mort d’Orion, cela commence ainsi : "Où l'horizon prend fin, où l'œil jamais de l'homme n’apaisera sa faim, au seuil enfin de l'univers, sur cet autre revers trouant le ciel de nuit, d'encre et d'ennui profond, se font et se défont les astres." Tu verras, c’est beau comme du Grégorien cosmique. » Aujourd'hui, la métaphore de l’œil dont rien n'apaise la faim me laisse dubitatif mais le Grégorien cosmique avait plu à Nora.

« Génial. Je suis curieuse d’entendre ça. Bon, tu es libre samedi ? »

Bien sûr que j’étais libre ce samedi et tous les autres samedis aussi. J’aurais pu annuler sur-le-champ tous mes rendez-vous, le dentiste, ma grand-mère, la fac, les entraînements de hand ; j’aurais pu m’acheter un agenda neuf pour avoir un avenir complètement vierge et lui offrir tout mon temps.

Maillol, La Rivière, Dina, Renaud, Manset, Blanqui, Ravachol, Brouwer, Banyuls, San Francisco, Messiaen... Je venais de passer quatre heures avec Nora ; j’étais aux anges, exténué, conquis.

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20 juillet 2018 5 20 /07 /juillet /2018 02:29

On apprend à ne pas faire de son cas une généralité, faute de quoi les conclusions sont biaisées. Soit mais c’est dans l’hypothèse où chacun d’entre nous serait un cas, différent, original, singulier. Est-ce le cas ?

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19 juillet 2018 4 19 /07 /juillet /2018 02:34

Dieu merci, je ne suis ni roi de France, ni gardien de musée car pour un joli sourire, je donnerais toute la Bretagne ou la Mona Lisa.

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18 juillet 2018 3 18 /07 /juillet /2018 02:54

Comme dans le train, il y a dans la vie un sens de la marche.

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17 juillet 2018 2 17 /07 /juillet /2018 02:02

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16 juillet 2018 1 16 /07 /juillet /2018 07:02

 L’émotion est bruyante et n’a rien à dire pourtant.

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15 juillet 2018 7 15 /07 /juillet /2018 02:53

On se lève toujours trop tard et toujours trop tôt sonne le réveil.

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14 juillet 2018 6 14 /07 /juillet /2018 02:38

Au jardin du Carrousel, elle fit un tour complet sur elle-même, le bras tendu.

« Musée Aristide Maillol à ciel ouvert, bienvenu. Dix-huit statues de bronze. Tu connais Renaud ? À quoi elle ressemble ta gonzesse ? Moi, c’est La Rivière. » Nora et ses fulgurances. Il fallait que je m’habitue, moi qui étais plutôt coutumier de la lecture lente dans l’ambiance feutrée des bibliothèques et des promenades en rêveur solitaire, je devais apprendre le bouillonnement d’idées, le mélange des genres, la pensée proliférante et l’hyperactivité.

« La Rivière, ça lui va bien comme titre à cette sculpture. C’est drôle, regarde-la bien, à la fois elle est complètement rentrée, elle est seule avec elle-même et n’a besoin de personne et en même temps, elle est ouverte, offerte. »

« C’est vrai, elle s’abandonne sans se perdre. » J’étais assez content de mon petit mot à moi. Nora me sourit et continua la visite guidée.

« La Rivière, en fait, c’est Dina, le dernier modèle de Maillol. C’était une juive russe immigrée ; Maillol l’a choisie comme modèle parce qu’elle ressemblait déjà à ses sculptures ! Trop fort, c’est le modèle qui ressemble aux sculptures, avant de poser ! Là, elle a vingt ans quand elle pose. Mais attends, ce ne sera pas seulement un modèle, pendant la guerre elle sera une résistante active ; elle fera passer des Juifs et des antifascistes en Espagne à partir de Banyuls où Maillol avait une maison. La robe rouge. C’est comme ça qu’on la reconnaissait : les clandestins arrivaient à la gare de Banyuls et devaient suivre une robe rouge qui leur faisait traverser la frontière en passant par un sentier de contrebandiers, le tout à distance et sans se parler. J’aime beaucoup cette femme. C’est beau une robe rouge, et ça peut te faire franchir des montagnes. Si tu veux, un jour, on ira à Banyuls, je ne connais pas, et on passera en Espagne par le sentier de Dina. » Nora venait d’ouvrir la liste de ce que l’on aurait à faire.

« Rouge, c’est ma couleur, je suis toujours habillée en rouge. » Nora portait un pantalon noir, un manteau noir, des bottes noires et un bonnet jaune. Elle ouvrit son manteau pour laisser apparaître un pull rouge. « En fait, j’ai trois couleurs. Je te dis ça au cas où tu aurais envie de m’offrir une voiture, ne te trompe pas de coloris. Le rouge, le jaune et le noir. Et presque toujours, je les marie deux par deux. Le noir, c’est pour "ni dieu ni maître", évidemment. Tu connais Blanqui ? Tiens, viens voir ! »

« Elle, c’est L’Action enchaînée, Maillol ne connaissait pas encore Dina quand il l’a sculptée, dommage, j’aime trop ses fesses. Maillol l’a sculptée en hommage à Auguste Blanqui, Blanqui l’enfermé. Je ne sais pas qui il avait comme modèle à l’époque, mais j’aime l’idée de rendre hommage à un révolutionnaire en sculptant une femme nue, prête à se libérer de ses chaînes. Je crois vraiment que c’est comme ça que toute révolution commence, en libérant une femme. Cette sculpture a une drôle d’histoire. Là, c’est une réplique, le bronze original a d’abord été exposé dans le village natal de Blanqui, près de Nice, devant l’église. Alors très vite, ça a scandalisé les bons chrétiens ; les curés faisaient un détour pour ne pas la voir, certains l’ont même rhabillée. Puis elle a finalement été déplacée et remplacée par un monument aux morts qui devait plaire davantage aux puritains du coin, elle a fini sur une petite place du village, je ne sais où. »

« Si tu veux, on passera par Nice quand on ira à Banyuls, à la recherche de L’Action enchaînée. » Déjà, je nous imaginais faisant le tour de France.

« D’accord, alors ce sera toi le guide, je suis nulle en géographie et en plus je ne sais pas conduire. » Nora ne regardait pas le monde passivement, elle le redessinait. En caressant la sculpture de bronze, elle se mit à chantonner. « "Ma gonzesse, celle que j’suis avec, ma princesse, celle que j’suis son mec", c’est dans son troisième 33 tours, mais ce n’est pas ma préférée, "et puis elle est balancée un peu comme un Maillol, tu sais bien les statues du jardin des Tuileries qui, hiver comme été, exhibent leurs guibolles et se gèlent le cul, et le reste aussi." Tu aimes Renaud ? Je te ferai écouter, Ravachol et Hexagone : "Être né sous l’signe de l’hexagone, c’est vraiment pas une sinécure, et le roi des cons, sur son trône, il est français, ça j’en suis sûr." Tu vas voyager loin avec Renaud. »

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13 juillet 2018 5 13 /07 /juillet /2018 02:56

La pensée en cadence : signe de décadence avancée.

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12 juillet 2018 4 12 /07 /juillet /2018 02:26

Voir c’est bien mais être vu voyant c’est mieux.

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11 juillet 2018 3 11 /07 /juillet /2018 02:13

« Ils partent trop vite », se lamentent en cœur le mâle de l’éphémère et la femme du précoce.

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10 juillet 2018 2 10 /07 /juillet /2018 02:36

Hasard, mon ami, que j’aime ton audace !

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9 juillet 2018 1 09 /07 /juillet /2018 02:31

Pire encore que les trafiquants de bonheur, il y a les prêtres du malheur.

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8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 10:17

Hier soir, c’était vernissage ; exposition collective.

Certaines pépites profitent de l’environnement trouble de croutes bavardes sans pour autant, les ingrates, leur rendre un peu de leur silence lumineux.

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7 juillet 2018 6 07 /07 /juillet /2018 02:34

Troisième partie

Nora et moi

 

En 1991, j’ai reçu un coup de téléphone de Nora.

 

Nora, je l’avais rencontrée à la fac de Nanterre, elle était en anthropologie et moi, en lettres. Nous avions fait connaissance peu après la rentrée en octobre ou novembre, c’était en 1980. Nous avions eu une aventure, enfin, une histoire assez sérieuse, disons, une histoire d’amour. C’est à la bibliothèque que je l’avais vue, la première fois ; il est vrai que je fréquentais plus la B.U. que la cafétéria.

« Alors quand tu cherches du René Girard, tu vois, ça peut être en sociologie, en anthropologie, en histoire ou en philosophie, j’ai l’impression que le type il ne pense vraiment pas aux bibliothèques quand il écrit ses livres ; ça fait trop désordre. »

J’étais là par hasard, d’abord étonné et amusé. J’allais vite tomber sous le charme : son humour, sa voix éraillée, son assurance, sa culture, sa beauté. Je ne pense pas qu’elle s’adressait à moi, elle ne m’avait même probablement pas remarqué. J’avais une idée très vague de ce que Girard écrivait en revanche, j’avais une envie très claire de communiquer.

« En effet quel désordre, d’ailleurs, je serais prêt à l’adopter en littérature, le bon René. » Surprise, elle s’était tournée vers moi et m’avait fixé sévèrement de ses yeux noirs. Cela m’avait semblé durer une éternité, comme si je passais un oral, mais un oral muet devant un jury silencieux. Puis, sans transition, elle avait souri. Je crois qu’elle avait aimé ma réplique. Finalement, c’est moi qu’elle adoptait.

« Décidément, on trouve de tout dans les bibliothèques, des jeunes des vieux, des mâles des femelles et même des enfants perdus. » Elle se moquera souvent de ma tête d’adolescent de bonne famille. J’ai toujours fait dix ans de moins que mon âge.

Je ne vais pas beaucoup vous surprendre, Nora me fascinait. C’était une extravertie solitaire, comme un soleil sans planète. Je devenais son satellite unique.

 

Nous nous étions revus le samedi suivant au jardin des Tuileries.

« Tiens, cadeau, j’ai trouvé que le titre t’allait bien. » Elle m’offrait Mensonge romantique et vérité romanesque de René Girard. « Bien sûr qu’il faut se battre contre toute forme d’aliénation, c’est insupportable d’être réduit à l’état de pion interchangeable, nul n’est remplaçable, mais si c’est pour tomber dans l’illusion romantique de l’autonomie et laisser nos petits moi-moi-moi ferrailler pour voler la part du voisin et parler plus fort, alors on n’aura pas avancé d’un pouce. »

Nora parlait beaucoup, vite et bien. Au début, je devais me concentrer pour la suivre, parfois je décrochais et me contentais de l’observer danser avec les mots et les idées ; elle passait toujours par les mêmes étapes et j’aimais cette dramaturgie. D’abord, elle partait loin et vite sans se soucier de vérifier si on la suivait, le regard perdu et les sourcils froncés, en marchant souvent, puis elle s’arrêtait, vous fixait de son regard noir et sévère pendant d’interminables secondes et se détendait ensuite pour finir par sourire, parfois elle penchait la tête en arrière et riait aux éclats. Je l’écoutais, subjugué ; je la regardais, émerveillé.

« On a tous un modèle, un idéal, un dieu même ; ce n’est pas grave, l’important c’est de le savoir et de laisser les portes du temple ouvertes. C’est ce que m’a appris l’anthropologie, le moi n’est pas haïssable, il est introuvable, il est creux, il est vide ou plutôt, il est plein de tout sauf de moi ; c’est ça le grand mensonge romantique, le moi profond, et la morale qui l’accompagne, être soi-même. » Voilà, je découvrais Nora et ses formules percutantes ; elle n’avait pas fini de m’étonner. « Au plus profond de toi, il y a du monde, beaucoup de monde, mais ce n’est pas là que tu te trouveras. »

Il était 16 h, il faisait froid déjà, j’avais faim, je crois, j’étais en train de tomber amoureux.

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6 juillet 2018 5 06 /07 /juillet /2018 02:50

Depuis la disparition des cahiers, nous ne savons plus tourner la page et nos histoires n’en finissent pas de finir.

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5 juillet 2018 4 05 /07 /juillet /2018 02:52

Quelquefois les malentendus sont compatibles, alors on se comprend.

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4 juillet 2018 3 04 /07 /juillet /2018 02:45

D’abord tu sais, puis, tu le dis et le montres avec fierté, ensuite tu doutes et t’en inquiètes, enfin, tu comprends que tu ne sais rien et tu t’en fous.

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