On ne nous apprend pas à dire au revoir.
On ne nous apprend pas à dire au revoir.
– Tu ne voudrais pas arrêter un peu de faire le beau, Soleil, vas-tu comprendre un jour qu’on ne t’admire que parce que je tourne et parce que je me détourne de toi.
– Toujours aussi froide et analytique. Ce que je peux te dire, Terre, c’est que d’ici, personne ne t’admire et je veux bien essayer de tourner, je crains que ça ne fasse pas venir les admirateurs.
Infatigable patience ou obstination inconséquente ? Je m’interroge.
Sans cesse elle revient à la charge, la mer, et me chatouille les pieds.
Quelles sont ses secrètes intentions ? Me séduire ou me nuire, me faire fuir ou me retenir ? Les signaux sont confus.
Je fais mine de ne m’apercevoir de rien et salue en souriant, pour faire diversion, une baigneuse aux cheveux longs.
Même si elles sont toujours dérangeantes, il ne faut pas renoncer aux enquêtes généalogiques, surtout quand il s’agit de vertus. Prenons la fidélité par exemple, en remontant un peu, on trouverait sans doute un sens bien bourgeois de la propriété, mais aussi une incapacité à changer un pneu crevé ou à remplir une déclaration d’impôts, une peur viscérale d’être abandonné sur une aire d’autoroute, un goût morbide pour les naufrages collectifs et peut-être même, un peu plus loin encore, une vilaine haine de la vie et de son insolente imprévisibilité.
Notez bien que cela ne fait pas de la fidélité un vice, il est probable qu’elle cimente nos sociétés qui s’effriteraient sans elle, ou s’effondreraient.
(Oui, très probablement. Et alors ?)
– Qu’est-ce qui se passe, Dieu, ça ne va pas ?
– Comment te dire mon bon Saint Pierre, ma foi s’érode, je ne crois plus en moi.
La tête sur les épaules et les pieds sur terre, être à la mode lui faisait une belle jambe ; ne pas se mettre la vie à dos lui importait surtout, aussi, quoique buvant son thé le petit doigt levé, n’achetait-il que des chaussures de seconde main.
Il est des voyages qui vous confortent et vous confirment et finalement vous confinent ; d’autres vous confondent.
Si tu ne te déprends pas des sentiments, ils te prendront, mais si tu t'en déprends, ils ne te surprendront plus.
Il est curieux qu’en devenant pluriel, le mot vacance prenne un sens presque contraire : du vide on passe au plein. Plein de choses à faire pendant les vacances, à voir, à manger, à visiter, à acheter et plein de choses à raconter au retour.
Il faut faire un petit effort intellectuel pour entendre le sens initial, mais au pluriel. Mes vacances deviennent alors ces moments d’abandon, de ralentissement, d’oubli, moments où l’on s’isole pour un temps, pensant peu, regardant à peine, n’agissant pas, faisant l’expérience d’une présence au monde quasi animale, végétale même.
Puis on rebranche son moi et se reconnecte à la société.
Il serait prudent que je commence à réfléchir à mes dernières paroles. Ça ne s’improvise pas et il ne faut pas se manquer ; on n’a pas de deuxième balle. Je pensais à un truc du genre « j’avais quelque chose d’important à vous dire, mais là, tout de suite, je ne souviens pas ; allez ! ça va me revenir ».
Je n’arrive pas à savoir si ça amusera ou pas.
Il y a une façon subtile, géniale peut-être, de presque-répéter. Je crois qu’un art original vient se loger là – entre la duplication stérile et l’innovation impatiente.
L’étranger a un charme incontestable, mais qui ne dure pas. Soit il s’adapte, alors il devient fade et ennuie comme les autres ; soit il demeure étrange, alors il inquiète et on le rejette.
– Alors Pierre tu es gentil, ce soir je ne suis là pour personne, je regarde France – Portugal.
– Donc, c’est comme d’habitude ; tu sais d’ailleurs que certains en viennent à douter de ton existence. Bon, ce n’est pas le problème. En revanche je serais curieux de savoir de quelle équipe tu es le supporter parce que c’est un peu Lourdes contre Fatima !
– Tu sais que je suis trois personnes en une, alors, on peut bien se diviser en deux pour un soir.
Je déteste les escalators et tapis roulants et je les évite toujours. D’abord parce qu’ils méprisent nos jambes qui finiront par se venger, mais aussi parce qu’ils n’ont pas évolué depuis leur création et ressemblent toujours à des monstres d’acier aux mâchoires vicieuses.
Mais d’où vient l’expression « une vie de chien » ? Y a-t-il animal, que dis-je être vivant, plus choyé, gâté, considéré ? Une vie de vache ou de veau, oui, de rat, de porc, de poussin, sans doute, de faisan, de bécasse, de thon rouge, d’oie, de pangolin, d’accord, mais pas de chien.
C’est comme si on disait « une vie de panda » ou « une vie de paon ».
Parfois, ça peut sembler très long. Une randonnée, une grève, une nuit sans sommeil, une journée sans sourires, un repas de famille, un film d’auteur, une brouille, une attente aux urgences, une réunion, une maladie grave, une remise de prix, une vie… mais tout finit toujours par finir.
J’hésite sur le pourcentage, mais nous sommes à l’origine d’une bonne partie de nos malheurs.
Et si on essayait de consacrer notre énergie, notre intelligence, notre imagination, notre temps et notre argent à autre chose ?
C’est beau un corps qui s’oppose et jamais ne renonce, une tête droite qui fait front et dit non, regard déterminé, mâchoires serrées, mais je préfère encore le visage qu’un oui joyeux illumine.
– Dis-moi Œuf, tu ne vas pas te décider un jour à éclore et faire quelque chose de ta vie, sermonna Poule ?
– C’est-à-dire que je manque de modèle, se lamenta l’organisme ovoïde.
– Si vous voulez mon avis, proposa Panda, Œuf a une valeur symbolique et à ce titre il échappe au processus aristotélicien de génération et de corruption : œuf un jour, œuf toujours, risquerais-je.
– Non, on ne le veut pas, grognèrent en chœur Œuf et Poule, mais trop tard, Panda était déjà reparti faire des roulades pour amuser les enfants du village.
Sucer, je ne sais, mais citer, c’est bien tronquer, c’est bien tromper. Une double tromperie même, et contre l’auteur et contre le lecteur. Quant aux dictionnaires de citations, c’est un ramassis de tromperies. Détestable.
Certains reprochent à la littérature d’oublier l’homme et le monde, de se réfugier égoïstement dans un ailleurs sans danger et ce, pendant que d’autres, ingénieurs et techniciens, se coltinent le réel.
C’est curieux, j’ai l’impression – mais je ne suis pas très objectif – que c’est l’inverse : je trouve qu’il y a dans le chiffre et la formule, le piston et l’électrode, un déni de réel, parfois même un mépris.
Nos souvenirs ne sont pas posés là, sur l’étal de notre mémoire, comme les tartelettes dans la vitrine de la pâtisserie. Il faut creuser, fouiller d’abord pour ne trouver que des morceaux à rabouter, des formes peu déterminées à remodeler, des textes troués, des images effacées.
La mémoire suppose un travail, celui de restaurateur plus que de gardien de musée, et des qualités, l’imagination plus que la fidélité.
Je trouve que le monde sent de moins en moins.
À voir, à entendre, oui de plus en plus, mais à sentir, non.
La langue généralise et abstrait et nous prive d’un rapport direct avec les choses singulières : tel galet, qui malgré un nom générique ne ressemble à aucun autre. Mais c’est la langue encore – et ses ressources quasi infinies – qui peut nous sauver de ce retrait et nous rapprocher au plus près de la réalité complexe et mystérieuse.
– Hé hé hé, qu’est-ce que tu essaies de faire, là ?
– Enfin, chérie, tu vois bien, qu’est-ce qui se passe tu n’as pas envie ?
– Ce n’est pas le problème, c’est plutôt qu’on ne rentre pas comme ça. Mot de passe ?
– Non mais c’est quoi encore cette histoire ?
– Mot de passe erroné. Encore deux tentatives.
– S’il te plait, tu ne veux pas arrêter.
– Mot de passe erroné. Plus qu’une tentative.
– Écoute s’il y a un problème, tu m’en parles, mais…
– Troisième échec. Verrouillage.
– Allez ça suffit, tu ne veux pas parler normalement.
– Je ne peux rien pour toi, tu dois appeler le service clientèle pour le déverrouillage.