Que ton non indocile sonne comme un oui joyeux.
Que ton non indocile sonne comme un oui joyeux.
– Dis-moi Pierre, ça fait bien longtemps qu’on n’a pas eu de nouvelles de Toumaï.
– Mais Dieu, tu plaisantes, ça fait des millions d’années qu’il est mort.
– Ah bon ! Comme le temps passe vite et comme je suis âgé.
– Sans vouloir te flatter, Dieu, je trouve que tu ne fais pas ton âge.
– Je sais, je ne vieillis pas, mais le problème c’est que je suis né déjà vieux.
Ce qui a lieu arrive-t-il toujours au bon endroit ?
Trouver sa place, est-ce choisir son camp ?
Le monde est un théâtre, bien sûr, et nous jouons tous un rôle, mais la métaphore s’arrête là. Dans la vie, le problème ne vient pas de ce que certains auraient des rôles de teignes ou de crétins, mais de ce que nous nous installons définitivement dans un même rôle, alors qu’au théâtre rien n’empêche qu’on soit Cyrano un soir et Christian le lendemain. On ne change pas de caractère comme on change de costume.
Hier, on se reconnaissait dans les valeurs que l’on défendait. C’était faux et étroit. Aujourd’hui, on se reconnait dans ce que l’on conteste. C’est sans joie ni imagination. Demain, on se reconnaîtra dans le reflet apaisé de nos ciels sans frontières. Ce sera pur et coloré. (Ben peut-être que si, pourquoi pas ?)
Trop de bruit ; trop de gestes ; trop de discours. Non que l’époque soit moins intéressante, mais l’histoire n’a pas encore fait son travail de tri. Tout est encore là, dans ce présent obèse et cacophonique. Tout ; et c’est trop.
Je me souviens de madame Michel, professeur de français, qui nous lisait à voix haute des pages entières de Cyrano de Bergerac. Elle commençait par dire « et maintenant fermez les yeux ». Et nous les fermions.
Je l’imagine aujourd’hui s’installer au perchoir pour lire du Rostand ou du Giono et dire aux députés « et maintenant fermez les yeux ». Et ils les fermeraient.
Je me souviens de monsieur Lambert, terrible surveillant général, qui déboulait dans la salle d’étude en hurlant « et maintenant, vous allez la fermer ! ». Et nous la fermions.
Je l’imagine aujourd’hui débarquant sur un plateau de télévision et balançant aux experts « et maintenant, vous allez la fermer ». Et ils la fermeraient.
Il nous manque une théorie de la discrétion, je parle de la discrétion de notre présence au monde, nous les bipèdes connectés, notre empreinte générique. Le livre devra être fragile comme l’aube, délicat comme la vie et clair comme le temps.
Comme son nom l’indique clairement, la fracture digitale désigne le fossé creusé entre ceux qui se jouent des touches de leur téléphone avec les deux pouces et ceux qui tâchent d’atteindre la bonne lettre avec l’index.
Alors bien sûr, il y a aussi ceux qui n’ont pas de téléphone portable ; on parlera là plutôt de faille géologique.
J’envie celui qui a été saisi par la beauté implacable d’un Caravage à huit ans ou transporté par la puissance abyssale d’une équation du troisième degré à neuf ans et demi ou bouleversé par Maria Calas chantant la Norma à six ans ou fasciné par le pistil d’une orchidée papillon à sept ans à peine ou renversé par la lecture des premières pages de l’Éthique de Spinoza à dix ans. Je dois ajouter que jusqu’à douze ans, j’étais moi-même très envié pour ma domination sans partage aux billes (surtout au jeu du pot, à la tic un peu moins).
Sans penser, on avance dans l’obscurité ; en pensant, on avance dans la confusion.
La nudité ne fascine pas longtemps ; comme la vérité, elle déçoit et ennuie vite.
Je lis un article très intéressant sur les stratégies de lutte contre la fatigue.
Épuisant. Je finirai demain.
La littérature est moins le lieu des fictions que celui des secrets.
On nait conformiste, on devient artiste. Parfois.
Dans la nature, ça pousse souvent tordu et difforme et on n’aime pas.
D’où nous vient cette passion du redressement ?
Je préfère une docilité inventive à une insoumission bornée.
Bonjour, j’ai été retenu loin des affaires par quelques bactéries vicieuses et tenaces. Ce matin, rouvrant mes volets sur le monde et regardant avec émotion les Iraniennes et les Ukrainiens, je me suis dit que j’aurais bien préféré changer l’ordre du monde plutôt que mes désirs.
J’aimerais bien commenter l’actualité, mais je n’ai pas fait d’études d'expertise.
Plus tu cherches et moins tu trouves, c’est bien connu, mais ce n’est pas pour autant que moins tu cherches, plus tu trouves.
Hier, petite soirée chez F. Il y avait U. qui m’amuse beaucoup et C. que je ne connaissais pas, elle est italienne et rougit facilement, mais elle est spécialiste du traitement des déchets dangereux. Ce n’est pas grave. Il y avait aussi K. qui dit tout le temps “de base” et parle la bouche pleine, mais ce n’est pas très grave. La soirée était animée : long monologue de P. sur l’errance animale, pas un mot sur les Iraniennes ; allez, ce n’est si grave. O. s’est fait généreusement insulter parce que, passionnée, convaincue et partisane, elle divulgâcha la fin de la série Sandman. Honnêtement, je n’ai pas trouvé cela très grave. Bien sûr, pour la énième fois, U. a essayé de nous convaincre qu’il avait apporté du Crémant, non pour son prix, mais pour sa “minéralité subtile” ; après tout, ce n’est vraiment pas grave. T. était venu avec ses deux monstres, I. et N., qui ont évidemment annexé la table de salon et fait main basse sur les gâteaux d’apéritif. Agaçant mais pas grave. Contre toute attente, E. l’indocile a été peu diserte sur la situation géopolitique ; ce n’est pas grave. Comme toujours, j’ai fini dernier à la course à la blague hilarante ; ce n’est pas grave du tout, j’ai l’habitude. En revanche, une partie des niaiseries plates et usées proférées savamment par mes voisins me sont venues aussi à l’esprit ; ça, c’est très très grave.
Les idées qui nous viennent en marchant sont vigoureuses et engagées. Malheureusement, quand on rentre, elles continuent sans nous et nous laissent avec nos pensées domestiques.
Un sachet de thé noir sachant chanter le cha-cha-cha sans tchador (j’adore !) doit savoir encore chanter le soir sans choir sur la chaise de Sacha Sanchez.