« Gustave, mon père, était né en 1872 et ma mère, Lucienne Poirette, en 1874 ; ils s’étaient mariés le samedi 16 décembre 1893. Ils étaient morts tous les deux en 1913. J’avais 19 ans, c’était un an avant mon mariage avec Charles-Marie Bélurier, né en 1894 comme moi, lui le 30 septembre, moi le 1er octobre ; il était mort sur le front le 22 août 1914. ».
Odette ne savait pas lire, à part quelques noms propres familiers, en revanche elle avait une mémoire phénoménale des chiffres qu’elle lisait, écrivait et additionnait avec aisance.
« Gustave, mon père, était bel homme, il mesurait 1m80 et pesait 85 kilos, il avait fière allure et on l’aimait beaucoup. Il était cordonnier et il livrait lui-même les chaussures réparées ce qui lui faisait faire trois ou quatre heures de marche plusieurs fois par semaine. »
Gustave, son père, était surtout, il faut bien le dire, un coureur de jupons qui ponctuait ses tournées professionnelles d’étapes galantes. Et il en connaissait du monde !
« Gustave, mon père, était un bon cordonnier et il en connaissait du monde ! Il y avait Lucienne, qu’il épousera, Jules, Madeleine et d’autres encore dont j’ai oublié les noms. »
Et d’autres encore, en effet, Gustave connaissait notamment – et voyait régulièrement – Thérèse Jeanjean. Le nom ne vous dit rien encore, écoutez la suite. Thérèse épousera Victor Bélurier – vous y êtes ? – et de leur union naîtra l’infortuné Charles-Marie.
« Charles-Marie, mon défunt mari, n’a pas eu de chance, on racontait qu’il avait été l’un des premiers à mourir sans même avoir eu le temps de tirer une balle. »
Charles-Marie le malchanceux, le malheureux, le maudit, c’est peu dire encore. Pendant longtemps Odette ignorera l’épouvantable vérité.