Une vieille dame est morte ce matin, au fond de la ruelle du Lendemain. Le dernier à l’avoir vue − qui a souhaité rester anonyme − rapporte qu’elle se tenait debout, les yeux fermés, face contre le haut mur gris de l’atelier, au n°17. Juste avant qu’elle ne s’effondre, il l’a entendue dire − enfin, c’est ce qu’il lui a semblé − quelque chose comme « … cent dix-huit six cent trente-sept millions deux cent cinquante-huit mille quatre cent dix-n… ».
Le père Lucien − qui n’a pas souhaité rester anonyme − a dit à la police − mais faut-il le croire ? − qu’elle était là depuis le 15 août 1946 (ou peut-être était-ce le 16 ? en tout cas c’était un jeudi), qu’elle s’appelait Denise Lemercier, qu’elle comptait parce qu’elle jouait à cache-cache avec lui, qu’elle attendait qu’il crie « ça y est ! » » pour aller le chercher, qu’il n’avait pas dit « ca y est ! » pour être tranquille, qu’il avait mangé les deux goûters, qu’il avait ensuite voyagé, qu’il s’était marié deux fois, qu’il n’aurait pas dû, qu’il regrettait, qu’il venait se livrer aux forces de l’ordre, qu’il voulait être jugé.
Je rapporte cela fidèlement, mais je ne vous cache pas qu’elle me semble peu probable la version du père Lucien.