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C'est Peu Dire

  • : Les Restes du Banquet
  • : LA PHRASE DU JOUR. Une "minime" quotidienne, modestement absurde, délibérément aléatoire, conceptuellement festive. Depuis octobre 2007
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Et Moi

  • AR.NO.SI
  • Philosophe inquiet, poète infidèle, chercheur en écritures. 55° 27' E 20° 53' S

Un Reste À Retrouver

5 juillet 2025 6 05 /07 /juillet /2025 02:51

– Bonjour tout le monde, vous avez bien dormi ? Pas de cauchemar, Laurence ?

– Non, merci Manon. J’ai mal aux fesses, mais je dois ça à ma selle et pas à la visite nocturne d’un petit crabe. Mais quand même, quelque chose m’a turlupiné pendant une bonne partie de la nuit. Le cloaque des holothuries, comme tu dis, donc, il fait chambre d’hôtes, garde-manger et ventilateur, OK. Il n’aurait pas aussi une fonction sexuelle, par hasard ?

– Tu m’amuses avec tes questions. Non, je te rassure, pas de reproduction par pénétration anale, tout se fait à l’extérieur. Les holothuries libèrent leurs gamètes (spermatozoïdes pour messieurs et ovules pour mesdames) et la fécondation se fait dans l’eau, au gré des rencontres, ce qui complique les recherches de paternité.

– En tous les cas, c’est sympa d’accueillir comme ça des pèlerins fatigués ou des bébés attaqués, même si j’imagine que rien n’est gratuit.

– Disons que les relations sont diverses. Il y en a qui ne font que passer, d’autres qui s’installent, parfois en couple, pour se reproduire à l’abri des regards et des prédateurs, il y en a qui font le ménage et puis il y en a même qui leur croquent un bout d’intestin. Bon, ce n’est pas non plus une auberge espagnole ouverte à tout vent, enfin à tout courant. Parce qu’il y a une autre bizarrerie. Je peux t’en parler puisque tu dors bien. Curieusement, d'un côté, leur bouche est bordée de tentacules qui les aident à trouver leur nourriture et qui pourraient ressembler à un bouquet d’hémorroïdes bien fleuri et de l’autre côté, leur anus est parfois garni de dents. Pas pour mastiquer, évidemment, mais pour se défendre.

– Oh non, c’est pas vrai, mais qui a pu inventer un monstre pareil ! Mais quelle horreur ! J’ai bien l’image, là, et je ne peux pas m’empêcher de faire un transfert. J’espère juste que je ne penserai pas à ça la prochaine fois que Paco… enfin. Ces boudins sont diaboliques. Je ne sais pas si ça ressemble plus à un énorme pénis ou à un étron de géant.

– Oui, peut-être, tu n’es pas la seule à penser ça. Il paraît qu’en Érythrée on les appelle zubb al bahr ; en arabe, bahr, c’est la mer, zubb, je te laisse deviner. D’ailleurs, Magali, ces concombres ont une autre particularité qui va t’étonner, c’est le durcissement. Ces mollassons peuvent devenir durs comme la pierre, mais ce n’est pas ce que tu penses, c’est encore un moyen de défense.

– Ah, ah, oui c’est troublant ! Mais quand même, ne me dis pas que tu trouves ça beau ou séduisant.

– Pour les qualités esthétiques, c’est drôle, j’en parlais avec ma mère il y a peu et elle m’a rappelé que quand j’étais toute petite, à la garderie ou à la maternelle, je tombais toujours amoureuse du plus moche. Le loser, harcelé, souvent malade et maladroit, myope ou asthmatique, en retard sur les apprentissages, c’était pour moi. Et je le défendais.

– Oui alors ça, c’était avant. Avant que tu rencontres Clèm, si je puis me permettre, parce que là, on est plutôt dans la catégorie élite. Premier de classe et en plus, super BG !

– Ah, tu trouves ? Alors, sincèrement, je vais t’avouer un truc, je ne vois pas ces choses-là. Vraiment. Comment t'expliquer ? Je ne pourrais pas te dire si Nov est mignon ou pas, si Paco est beau ou pas. Pour revenir aux holothuries, jamais je ne dirai qu’elles sont moches, ni belles d’ailleurs. Ce qui me sidère, ce sont les solutions qu’elles ont “inventées” pour résoudre les problèmes de nutrition, de reproduction, de défense et de relation avec les voisins. C’est ça qui me frappe avant tout, cette incroyable diversité du vivant. Elle est là la beauté pour moi, dans cette imagination délirante qui a conduit à des formes et des processus impensables. Bon, revenons à nos moutons.

– Oui, quel est le programme du jour, Manon ?

– Alors, on finit tranquillement le petit déjeuner, je vois d’ailleurs que la vie des concombres ne vous a pas coupé l’appétit. Tranquillement, mais sans traîner quand même, c’est l’étape la plus longue, avec pause déjeuner à Rouen et coucher à Poses, charmant village de bateliers, il y a d’ailleurs un petit musée de la batellerie qui pourrait t’intéresser Laurence. On aura aussi un bac à prendre pour changer de rive, décidément, c’est ta journée, Laurence.

– Un bac, chouette, s’illumina Laurence. Je sais que c’est mal de penser ça, mais je rêverais qu’il tombe en panne et que je puisse aller mettre les mains dans le cambouis.

– Désolé, mais ce n’est pas une transat, cinquante mètres de traversée au maximum, ça devrait bien se passer.

– Manon, sur Google Maps, ils indiquent aussi un zoo, tu en penses quoi, demanda Nov ?

– Oui, c’est Biotropica, je connais. Alors, d’abord, on ne dit plus zoo, on dit jardin animalier. En général, quand on change les mots, ça cache quelque chose. Bon, c’est vrai que c’est l’occasion de voir des preuves de cette imagination délirante dont je parlais, des zorilles, des tamanoirs, le dragon de Komodo et l’inévitable panda. Je comprends le succès de ces lieux et heureusement, les choses ont changé, les animaux ne sont plus en cage, ils sont bien traités, ils sont suivis par des vétos et souvent, le parc soutient et accompagnent des programmes de recherche. Il reste que ce sont des exilés, et même des exilés climatiques. Je veux dire que ces déplacements, c’est pour les protéger de la déforestation, des trafics divers ou de l’exploitation commerciale.

– Tu veux dire que dans un monde parfait, il n’y aura pas de zoos, dit Laurence. OK, mais il y a un truc qui me gêne dans ta vision. Je sais que tu vas trouver l’argument pour me contredire, comme d’habitude, mais j’essaie quand même. Dans ton monde parfait, il y a les scientifiques qui vont nager avec les baleines, danser avec les loups et taper la causette avec les Bonobos. Et de l’autre côté, il y a le peuple, qui reste dans l’ignorance et doit se contenter de ce que les savants ont la grande amabilité de leur raconter.

– Non, ce n’est pas ce que je veux dire. C’est compliqué et je pense que, compte tenu de la situation dégradée, ces lieux deviennent des sanctuaires nécessaires. Et je ne te cache pas que j’emmènerai Lucas dès que j’en aurai l’occasion. Mais dans ce brouillard, il reste une chose à laquelle je tiens et François Sarano le répète souvent. C'est bien que ce soit lui qui dise ça, d'ailleurs, lui qui se rapproche tellement des animaux. Il dit qu’une frontière infranchissable nous sépare du monde sauvage. C’est difficile à poser pour un scientifique et pourtant, ça me paraît fondamental. Il faut accepter que quelque chose nous échappe. Un cachalot, ce n’est pas un moteur qu’on peut démonter, une holothurie, ce n’est pas une machine qu’on peut réparer.

– ... et une Manon, ce n’est pas une Laurence, enchaîna Magali.

– ... oui mais nous, on a la chance d’avoir les deux dans l’équipe. Au fait, Laurence, glissa Nov innocemment, tu ne nous as pas beaucoup parlé de toi.

– Entièrement d’accord, confirma Magali. Tiens par exemple, pour changer de niveau, une question idiote comme je les aime. Si tu devais choisir entre ton gros moteur et ton petit mari, tu garderais qui, demanda Magali, très fière d’elle ?

– Ouh là, je suis un bipède et j’ai besoin des deux pour garder l’équilibre. En fait, plus j’écoute Manon et plus je comprends que je ne suis pas une scientifique. Je suis une technicienne et pour moi, dans les histoires humaines, les relations politiques, les corps, les esprits, etc., il y a deux états possibles, ça marche ou ça ne marche pas. Ça peut manquer de nuances, mais ça ne veut pas dire que c’est toujours simple. Avec un moteur, quand ça marche, je surveille, j’écoute, je vérifie, j’anticipe, et quand ça ne marche pas, j’observe, je réfléchis, je diagnostique et, si je peux, je répare. Eh bien, dans la vie, je fais pareil. C’est pour ça aussi que je parle moins que vous, quand ça va bien, j’observe et j’écoute, après je m’arrête là, je ne fais pas de diagnostic et je ne traite pas, parce que je ne suis ni psychologue ni médecin. Mais dans ma vie, quand ça ne marche pas, quand il y a un problème, je cherche les causes du dysfonctionnement ou de la panne. J’ai une vision assez mécaniste de la vie et des rapports humains, j’imagine des courroies, des durites, des pistons, des signaux envoyés et reçus ou pas reçus. Quand ça ne marche pas dans ma vie, je cherche la cause, ce qui est cassé ou usé, et j’essaie de réparer.

– Je confirme, c’est tout toi ça. Je me demande même si tu ne cherches pas les problèmes parfois, juste pour les régler.

– Je ne dirais pas que je cherche les problèmes, mais, c'est vrai, ils m’attirent en un sens. En fait, j’adore les pannes. Au début de notre relation avec Marc, on faisait beaucoup de sorties motos, nous sommes deux motards. Évidemment, une virée de trois jours avec dix motos, statistiquement, tu as au moins un problème mécanique. C’était mon moment préféré.

– J’ai l’impression que tu sors de moins en moins ta moto et de plus en plus ton vélo. Non ?

– Exactement. Et j’ai l’explication. Avec le temps, on a eu plus d’argent, on avait des motos plus neuves, on partait moins longtemps, moins loin. Bref, les pannes ont commencé à se faire rares et les sorties à m’ennuyer.

– Et c’est pour ça que tu as préféré faire des virées vélo avec moi, pour essayer de régler ma panne conjugale !

– Ah ah, non, non, non. Je crois que tu es une excellente mécanicienne du cœur et que tu as fait de l’autoréparation, Magali. Et avec succès je dois dire. Bon, tu t’es un peu perdue au début, en soulevant le capot, mais tu as expérimenté plein de trucs et voilà le résultat. Tu es belle, tu es drôle et tu es puissante. Je te le dis sincèrement, je t’admire.

– Oh les filles, arrêtez, je vais pleurer. Je vous aime tellement.

– Je crois aussi que Paco a su réparer quelques durites et analyser les signaux, ajouta Nov en riant. En tous les cas, je suis content d’être là, avec vous et de vivre ces moments d’amitié. J’aime bien l’idée aussi que vous soyez si différentes et pourtant si proches. C'est exactement comme moi avec Vera.

– Ah, ça faisait longtemps, le retour de Vera bella !

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