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C'est Peu Dire

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  • Philosophe inquiet, poète infidèle, chercheur en écritures. 55° 27' E 20° 53' S

Un Reste À Retrouver

31 mai 2025 6 31 /05 /mai /2025 09:00

Jeudi, quatorzième jour

“Adieu, Modestine !” Dernier chapitre ; ce n’est pas mon préféré. Il ne s’est pas foulé, l’Écossais, en plus, je ne le trouve pas très sincère. Moins de deux pages qui se terminent par des larmes de crocodile. Il avait dû abandonner sa chère Modestine, sa “lady friend” (bon, là c’est plutôt mimi de l’appeler comme ça), trop fatiguée pour continuer. Il se retrouvait seul et à deux jambes pour finir son périple commencé avec leurs six pattes (with our six legs)” (là, c’est plutôt cucul). Il avait envie de pleurer. “Mais maintenant elle était partie (but now she was gone)”… et l’inspiration avec elle, apparemment. Finalement, se retrouvant dans une diligence avec “quatre ou cinq jeunes hommes agréables” (là, on ne voit pas le rapport), il se lâche : “je n’hésitai pas à céder à mon émotion (I did not hesitate to yield to my emotion)”. Pour ceux qui n’auraient pas compris : il pleure. Il semblait moins ému quand il marchandait pour en tirer un bon prix ; moins ému également d’avoir “acheté sa liberté avec ce marché (I had bought my freedom into the bargain)”. Pas grand-chose pour sauver ce chapitre. Allez, j’aime bien une idée, pour partie. “Les défauts de Modestine étaient ceux de sa race et de son sexe, ses vertus étaient les siennes (her faults were those of her race and sex ; her virtues were her own)”. On ne pouvait donc pas la blâmer, “la pauvre âme”, pour ses défauts alors qu’on devait la louer pour ses qualités. Quant aux défauts propres au sexe féminin, on va laisser Stevenson tranquille sur cette question. Son voyage se termine, il retrouve “un pays civilisé avec des diligences (a civilised country of stage-coaches)”. Notre ethnologue en a fini avec ses sauvages, il ne lui reste qu’à faire un livre de son périple… pour financer le suivant.

– Bon, tout le monde est là. Merci d’avoir répondu à mon appel, annonça Moby avec solennité. L’heure n’est pas grave mais importante, nous devons réfléchir au voyage de Nov. Laurence va passer en coup de vent, elle a une proposition à te faire, Nov. En fait, le problème, c’est la traversée de la Russie. Ce n’est pas interdit, ce n’est pas impossible, mais c’est compliqué, surtout avec un passeport français. C’est notre manie aussi de confondre les gouvernements et leur peuple. Les Français n’aiment pas les Russes et réciproquement. Pour moi, il n’y a qu’une solution : entrer en Russie par la Turquie. Nov, donne-nous un peu ton calendrier prévisionnel.

– Alors. Je dois retrouver mon père à Paris dans une petite semaine. Ensuite, lui, il doit passer par Genève et aller à Ljubljana pour un festival du film francophone où on restera quelques jours ensemble. Mais je pense passer plutôt par l’Italie, parce que les réunions à Genève, ça risque d’être long et soulant. Ensuite je pourrais rejoindre la Tur…

– … la Serbie, oui, bien sûr ! Excellente idée. Je t’accueille à Novi Sad, c’est sur ta route, et on fait quelques manifs ensemble !

– Je pense que ce n’est pas une mauvaise idée, Olga. Voici comment je vois les choses, dit Moby, en dessinant le trajet dans le vide comme s’il visionnait une carte. Paris, Milan, Trieste, puis la Slovénie avec papa. Ensuite, la Croatie et la Serbie avec Olga. Puis la Bulg…

– Correct. Je te ferai visiter, je te présenterai ma mère et mes amis et on descendra ensemble jusqu’à Istanbul en passant par Sofia que je ne connais même pas. J’ai une jolie Yugo qui n’a pas vingt ans et qui roule très bien encore. Tu connais ? En fait, c’était un projet de FIAT que le big boss avait été refusé. Pas assez classe et moderne pour les Italiens, mais parfait pour nous-autres, retardés de Yougoslaves, comme mon père et ma…

– Excellente idée Olga, interrompit Moby. Ça te conviendrait Nov ?

– Tu plaisantes. Évidemment, ça serait génial de faire la route avec Olga, après, je serai incollable sur l’histoire politique et culturelle des Balkans. Pour ta Yugo, on verra.

– Et peut-être, si vous voulez encore de moi, ajouta Moby avec un sourire espiègle, on se rejoint à Istanbul. Je descends en bateau en Turquie, j’y serai dans trois ou quatre semaines. On se retrouve tous les trois à l’Orient bar pour boire un café turc avec des graines de pistache.

Krouta! Génial, surtout si c’est CMA qui régale, rigola Olga. En passant, Nov, si tu veux un café turc à Novi Sad, demande un café serbe. Même couleur, même odeur, même goût, mais nom différent. Qu’est-ce qu’on est cons parfois avec nos histoires de pays et de frontières ! Mais je te rassure, tout va très bien en ce moment entre Vucic et Erdogan, ils sont très copains, ils font du bon business ensemble. Moi, ce ne sont pas mes potes, ni l’un ni l’autre. Il est très copain avec ton Macron aussi, Vucic, depuis qu’il a acheté tes p. d’Rafales-la-mort.

Olga, Zamolchi!, dit fermement Moby en russe. On reste concentrés.

– Ça va, Moby, je commence à la connaître. Malheureusement, Olga, je ne possède aucun Rafale, sinon je le vendrais pour acheter des latrines à Dacca. Pour le reste, la politique du fric et du deal, je crois que je suis d’accord avec toi.

– … ensuite, continua Moby imperturbable, tu prends un vol Istanbul Moscou et enfin, tu poses tes fesses dans le Transsibérien. Il te faudra un visa et ton billet de train avant d’arriver en Russie et quelques documents. Je ferais bien le voyage avec toi. Je suis allé des dizaines de fois en Russie, mais je n’ai jamais dépassé Moscou.

– Eh bien vas-y, lança Olga. Tes enfants ne sont pas aux Philippines en ce moment et Esmeralda se débrouille très bien sans toi. Prends-toi de vraies vacances. En plus, tu imagines, pour Nov, avoir un guide et un traducteur comme toi.

Brilliant! Comme ça on se retrouve à Séoul, compléta Sam. C’est très facile par le ferry de rejoindre Donghae depuis Vladivostok. Après, Nov ira vers Hawaï et Moby vers Manille.

Qué guay! Je vais en faire des kilomètres et en plus toujours tellement bien accompagné.

Tout le monde était très excité, mais Brad sentait Moby hésiter, comme si quelque chose le retenait. Il avait tellement envie que son ami l’accompagne. Il pensa que la question financière le souciait, mais qu’il n’osait pas en parler. Brad voulait lui proposer de lui payer le voyage, mais avait peur de le blesser. Il lui fit quand même la proposition, mais en français, pour que la chose reste discrète.

– Écoute Moby, j’aimerais tellement faire le voyage avec toi. D’abord parce que tu es mon ami et en plus parce que tu pourrais m’aider. Rien que pour lire le nom des gares, je serais perdu. Alors voilà, je te propose de t’offrir le voyage. Pour moi, ce n’est rien. D’ailleurs, ce n’est même pas moi qui paye, c’est mes parents. Je ne veux pas te gêner, mais j’aimerais vraiment que tu acceptes.

– Oui moi aussi j’aimerais beaucoup, continua Moby en anglais, merci de payer pour moi, mais je dois encore régler un problème. Les enfants, ma femme, ils m’attendront, mais c’est Lope, le beau-père, il est très vieux et fatigué. Je dois téléphoner d’abord avant de décider, mais je crois que je vais dire oui.

Brad fut surpris sur le coup. L’idée de se faire payer le voyage ne semblait pas gêner Moby, il n’avait même sans doute jamais envisagé de le payer lui-même, tout simplement parce qu’il n’en avait pas les moyens. Son hésitation n’avait rien à voir avec l’argent. C’est presque comme s’il trouvait normal de ne pas payer. Rapidement, Brad se dit qu’il venait de recevoir une nouvelle leçon. On n’achète rien d’essentiel.

– C’est sûr que pour toi, ça serait plus simple et plus sûr, j’ai même un copain qui travaille aux douanes à l’aéroport de Vnukovo. Ça peut aider. Il y a de moins de moins de bakchich, mais un cadeau fait toujours plaisir, si tu vois ce que je veux dire.

– Cool, on serait tous plus rassurés, dit Sam. Surtout tes parents. J’ai un cadeau moi aussi, une balise GPS pour qu’on puisse te suivre en live pendant tout ton parcours. Je la commande maintenant et la fais livrer, on la retirera à la capitainerie après-demain, comme ça, je pourrais la paramétrer et te montrer comment ça fonctionne. C’est tout petit, ça a plusieurs mois d’autonomie, tu pourras la glisser au fond de ton sac et l’oublier. Et nous, on verra un petit bonhomme traverser la planète sur nos téléphones. Tes parents vont adorer.

Hi guys, dit Laurence qui venait d’arriver, puis elle continua en français. Bon Nov, j’ai juste trois minutes pour te faire une proposition. Je fais court. On devait remonter à Paris en vélo avec deux copines, le long de la Seine. 400 kilomètres à peine et 1300 mètres de D+. Malheureusement notre accompagnateur nous lâche. Alors voilà. Est-ce que tu veux le remplacer ? Ce n’est pas pour une balade, mais ce ne sera pas une course non plus. Disons entre les deux. Enfin plus course quand même. Nous, on sera en Gravel montés avec du 28 mm, il y a surtout du bitume, mais aussi du chemin blanc et du sentier, mais attention, on n’y va pas pour compter les brins d’herbe. Toi, tu seras en Gravel électrique, un Cube, la Rolls des VAE, en plus il est débridé, parce que sinon, dans les descentes, on te perdrait. Tu auras un sac avec toutes les affaires, mais on va vraiment s’alléger pour ne garder que le minimum. Tout est prévu, le matériel, la trace, les réservations. Quatre jours, trois nuits, un peu moins de cent kilomètres par jour, cinq heures grand maximum, sans les pauses. Qu’en penses-tu ? Tu me connais, je suis directe, alors n’hésite pas à me répondre franchement aussi.

Puis, avant de disparaître, elle lança en anglais :

Your answer before tonight, please.

What’s going on, demanda Sam ?

Chto proiskhodit, répéta Olga en russe ? Moby, traduis-nous s’il te plait.

– Ça c’est du Laurence tout craché, direct, carré et efficace, mais je n’ai pas tout compris. Nov, qu’est-ce que tu en dis ?

– Ah ah, moi non plus je n’ai pas tout compris, mais je vais dire oui évidemment.

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