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C'est Peu Dire

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Et Moi

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  • Philosophe inquiet, poète infidèle, chercheur en écritures. 55° 27' E 20° 53' S

Un Reste À Retrouver

8 mai 2025 4 08 /05 /mai /2025 02:13

Dimanche, jour suivant

Valley of the Tarn”. La vallée inspire RLS qui nous embarque dans une superbe description. Des sons : la rivière “faisait un merveilleux vacarme rauque (making a wonderful hoarse uproar)” ; des odeurs : les arbres “dégageaient un léger parfum doux (a faint sweet perfume)” ; des couleurs, l’automne avait déposé "des teintes or et des taches ternies sur le vert (tints of gold and tarnish in the green)”. Et, pour occuper “la beauté de la scène (the beauty of the scene), les personnages sont des châtaigniers d’Espagne. Je ne saurais dire si Stevenson était misanthrope, misogyne, rurophobe, ce qui est sûr, c’est qu’il est sylvophile. Il aime les arbres et les décrit magnifiquement. Ce qui me plaît, c’est qu’il les considère chacun comme un individu singulier. Je me demande s’il serait capable de distinguer une vague d’une autre et de décrire, non pas la mer mais une vague, avec sa personnalité, puis une autre, ressemblante mais différente. La suite de la journée est moins réjouissante, la nuit est compliquée. Le site est très exposé et RLS a peur d’être visité. Si les humains le laissent tranquilles, ce n’est pas le cas des animaux. Des chauves-souris, des moustiques, des fourmis et probablement des rats vont altérer son sommeil. Au matin, il renoncera à payer la nature pour ce logement décevant. La rencontre avec un frère de Plymouth le conduit à une réflexion intéressante sur la vérité. En substance, si j’ai bien compris, il considère qu’il est parfois préférable et plus généreux de mentir gentiment que de défendre dogmatiquement sa position, surtout quand il est question de “sujets élevés (high matters)” où personne n’a jamais entièrement tort et personne, complètement raison. Sans mauvaise conscience il ment et se déclare converti. Parfois, la voie du malentendu ou de la tromperie conduit à terrain commun plus sûrement que la défense acharnée de positions catégoriques. Je serais à moitié d’accord avec Stevenson. Je ne sais pas si, en privilégiant la confiance et l’amitié, “nos chemins séparés et tristes (our separate and sad ways)” nous conduisent à “une maison commune (one common house)”, mais assurément, la défense de “la” vérité mène le plus souvent aux conflits les plus violents. Il termine en évoquant une sorte complicité avec les camisards qui sont, à l’image du paysage, “souriants quoique sauvages (smiling although wild)”.

C’est devenu une habitude maintenant, avec Olga, Sam et Moby, on reste au mess après le diner et on discute. J’adore ces moments, on s’amuse bien et j’apprends tellement de choses. Hier, il s’est quand même passé un truc différent. Olga m’a posé une question qui m’a un peu déstabilisé.

– Et toi, Jules Verne, parle-nous un peu de ce qui te fait vibrer. Explique-nous ta recette secrète pour être toujours souriant et serein. Je vois bien que tu ne t’es pas fait larguer par un soleil coréen, que ton amoureux n’a pas été abattu dans une misérable favela, je vois bien aussi que tu n’as pas de gros souci d’argent ni de santé. Alors ? Il y a bien un truc qui te tient. Moby m’a dit que tu faisais le tour du monde. Respect ! C’est un beau projet. Bien sûr, il y a le comment, le par où tu passes qui comptent, mais moi, j’aimerais bien connaître le pourquoi de ton trip.

Comme d’habitude, c’est Moby qui est venu à mon secours.

– Selon moi, le bon voyageur ouvre les yeux et les oreilles mais ferme sa bouche, surtout si c’est pour dire “chez moi, on fait comme ça” ou “dans mon pays, on dit comme ceci”… On ne parle pas les oreilles pleines. On ne voyage pas la bouche ouverte. Nov, écoute, plus tard tu raconteras. Et je te dis, moi Moby je ne suis pas un grand savant, mais je te dis que tu en auras des choses à raconter et que bientôt, c’est toi qu’on écoutera. Voilà, c’était le quart d’heure sagesse de Moby-Wan Kenobi, j’ai fini.

– Et voilà, tu as encore raison, Moby. Je ne sais pas si tu es un savant, mais tu es un sage, dit Olga. Quel dommage qu’il n’y ait pas plus de Moby sur Terre et moins de Hasina, de Trump, de Poutine, de Marcos. Mais quand même Nov, insista Olga, pourquoi ? Tu ne serais quand même pas un agent secret du BIA, le service de sécurité de Vucic, tu ne serais pas en train d’enquêter sur ceux qui rêvent d’une autre Serbie ?

– Ah ah, non, s’amusa Brad. Je vais te rassurer et te décevoir par la même occasion, mais je ne sais pas grand-chose de la situation politique actuelle dans ton pays ; Vucic, le BIA, ça ne me dit rien. Mais je te promets de m’y intéresser parce qu’il est probable que je passe par Belgrade dans quelques semaines. En fait, mon histoire est simple, j’ai promis à Diego (c’est le père de Ludmilla) de ramener un truc à Hawaï.

– Ah oui, comme les cailloux voyageurs ! Tu prends un galet, tu le décores et tu le déposes quelque part pour que quelqu’un le trouve et le dépose ailleurs. C’est ça ?

– Pour les cailloux, je ne connaissais pas. Moi, c’est un nuage, pas un caillou.

– Eh là, Arthur Rimbaud ! Je comprends maintenant. Si ton regard est beau et profond comme un ciel de printemps, c’est parce que tu as un nuage dans la tête !

– Enfin, plutôt sur la tête. Sur nos têtes, au-dessus du bateau.

– Bravo les poètes, intervint Sam, c’est beau ce que vous dites. En passant, votre histoire me fait penser à une application de jeux, parce que pour moi, dedans, dehors, la frontière n’est pas très claire. Entre le virtuel et le réel, il n’y a pas de police des douanes et pas de tariffs, c’est poreux. Vous connaissez WeCards ? En fait, c’est pour faire bouger les gens, une façon ludique de lutter contre la sédentarité. Tu dois trouver des images virtuelles qui apparaissent sur ton chemin, enfin sur ton téléphone. Ça te pousse à aller toujours un peu plus loin. Ça fonctionne bien pour faire marcher les enfants, mais les plus gros joueurs sont des adultes, ils s’échangent même les images ensuite. Encore un qui a eu une idée de génie. Voilà, c’était le quart d’heure geek de Sam Saltman, j’ai fini. Au fait, Olga, tu ne devais pas nous parler de Dacca et des flying toilets ?

– Oui, c’est vrai. J’aurais bien aimé vous parler de la Serbie parce que c’est en train de bouger. Et de Novi Sad aussi, c’est ma ville et c’est de là que sont parties les manifestations l’année dernière. Je vais y passer un an. Je dois tenir un séminaire à l’école d’architecture pour parler de mon dada, rues et places où pourquoi construire le vide, mais vous pouvez être sûrs que je serai aussi dans la rue. Pour le vide, vous allez comprendre quand je vous parlerai du Railway slum à Dacca. Le problème, c’est que je ne sais jamais par quel bout commencer parce que, là-bas, tu as un concentré de toutes les pires misères humaines. Travail et exploitation des enfants, vente et mariage forcé de petites filles, violence du narcotrafic, malnutrition, prostitution de mineurs, trafic d’organes, pollution, catastrophes naturelles, choléra, dysenterie. Et le pire, c’est que dans cet enfer terrestre, tu trouves des gens formidables. Moby, tu me surveilles et si je monte trop en température, tu me débranches. Je n’arrive pas à rester longtemps calme et mesurée, je porte une telle colère en moi, et la mort d’Octavio n’a rien arrangé.

– Ne t’inquiète pas, rassura Moby, tu sais, ils commencent à te connaître et ils savent que tu peux être excessive et manquer un peu d’objectivité. Ce qu’ils ne savent pas, c’est le travail que tu fais sur place, ce que tu as fait aux Philippines.

– Oh là là, c’est tellement vieux tout ça. Je n’étais pas encore diplômée et je suis allée faire un stage pour Architectes sans frontières à Manille, ça a été le coup de foudre. Pour le pays, pour les slums, pour le travail. C’était en 1995. J’ai rencontré Moby et sa femme, Esmeralda. Je suis rentrée terminer mes études et j’y suis retournée jusqu’en 1999. Il faut dire que la situation chez moi n’était pas très sexy. La guerre de Bosnie venait de se terminer et la guerre du Kosovo allait commencer. Tout ça sous la présidence de Milosevic, notre Serbe le plus célèbre après Djokovic, condamné pour génocide et crimes contre l’humanité. Il a réussi à mourir avant la fin de son procès. Quant à Djoko, c’est bizarre, il était plutôt réac, enfin très proche du milieu nationaliste serbe, eh bien là, il m’a étonnée. Vous vous souvenez de Roland-Garros 2023, il avait écrit sur une caméra, “Le Kosovo est le cœur de la Serbie” ?

– Oui, je me rappelle très bien. En plus il a gagné contre Casper Ruud. Mais je n’avais pas compris le message sur la caméra. J’ai eu une question sur les Balkans à un examen, j’ai rendu copie blanche. Mais j’ai décidé de me faire des fiches sur chaque pays dont vous parlez, Philippines, Serbie, Bangladesh, Corée. Je suis trop nul et en plus c’est intéressant.

– Eh bien, bon courage pour l’histoire de la Yougoslavie, moi-même, j’ai du mal. Bref, Djoko a toujours pris des positions vraiment contestables, limite fachos, eh bien figurez-vous qu’il soutient les étudiants contre Vucic. Vucic, je le laisse tranquille pour le moment, je m’occuperai de son cas plus tard. Donc, on est en 2000 et je pars cette fois pour le Bangladesh. Mais il est tard, je continuerai demain. Voilà, c’était le quart d’heure d’Olga la pipelette, papagaia servia, comme disait Octavio, et je n’ai pas fini.

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