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C'est Peu Dire

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Un Reste À Retrouver

2 février 2025 7 02 /02 /février /2025 03:25

Après une soirée tendre et joyeuse où alternèrent lectures en langues étrangères, antojitos délicieusement mexicains, rires chaleureux et paletas rafraichissantes, la jolie troupe s’accorda une bonne nuit réparatrice.

Le lendemain, Brad et Ludmilla retrouvèrent Karolyn Broad à l’agence Voyage voyage. Il fut d’abord question de la traversée en porte-conteneur. Le voyage initialement prévu, Veracruz-Anvers-Hambourg n’était plus possible, le bateau était parti avec 48 heures d’avance à cause de la météo et il n’y avait aucune place avant six mois. Chaque cargo n’embarquait qu’une petite dizaine de passagers et ces voyages devenaient très prisés. Une réservation avait été faite sur un cargo reliant Altamira au Havre.

– Ce n’est pas donné, expliqua Karolyn. Ça prend au maximum trois semaines si la mer est mauvaise. Tu auras une cabine avec toilettes. C’est 1300 dollars, mais tu as droit à 160 kilos de bagage. Bon, c’est une autre façon de voyager, il faut aimer. On mange très bien. C’est parfait si tu veux disparaître un temps ou soigner un chagrin d’amour, mais trop court pour apprendre la physique quantique. Ce n’est pas pour moi, mais je respecte. Voilà les documents à remplir. Le bateau quitte Altamira vendredi, tu dois embarquer à 18 heures dernier délai. Inutile de préciser qu’on ne t’attendra pas. Une chose très importante, tu devras respecter scrupuleusement les espaces autorisés et les espaces interdits et ne jamais déranger les membres d’équipage. Tu prendras tes repas avec les officiers. Pas d’alcool. On ne peut fumer que sur le pont. Toujours éteindre son mégot dans les cendriers. Il y a une salle avec un vidéoprojecteur. La connexion internet, normalement c’est trois heures par jour et c’est payant, mais ils ont un problème de connexion. Il n’y a pas de médecin, mais il y a une bonne pharmacie et il y a moyen de faire son jogging quand la mer est calme.

– Chouette, ça donne vraiment envie. I can’t wait, comme vous dites, mais shoot alors pour la physique !

– C’est parfait Karolyn, remercia Ludmilla. On sera à l’heure.

Si, si gracias, c’est vraiment cool, we will send back the elevator to you, risqua Brad, parvenant enfin à dérider Karolyn.

– Ah ah, pas trop fort l’ascenseur, ça peut faire mal, et à la place de la physique quantique tu pourras apprendre une quatrième langue puisque tu es déjà trilingue, Bradstein. Ludmilla, je te dois bien ça, tu m’envoies tellement de touristes. Bon, deuxième dossier. La ruta artística de Kahlo y Rivera. Tu connais Jack, il veut de l’insolite-cool, mais toutes les agences sont sur le coup et la Maison Bleue est le lieu le plus visité de Mexico, 300000 smartphones par an dans 1000m². Soyez à l’entrée à 9h30 et demandez Frigo – je vous promets, c’est son nom. J’ai imaginé un nouveau circuit, à faire en van s’il pleut, sinon en trottinette électrique. Je voudrais que tu le testes. Casa Azul, musée Diego à Anahuacalli, le musée-maison-atelier Diego et Frida dans le quartier de San Angel. Pause déjeuner à la Cazul, petit restaurant tenu par Guadalupe dans le quartier Coyoacán, dont la grand-tante aurait été cuisinière à la Casa Azul (je n’ai pas vérifié l’information), c’est un plat par jour, aujourd’hui : chiles en nogada, piments farcis, la recette se trouve au musée, c’était le plat préféré de Frida (information vérifiée), mais elle sert des frites, si on demande. L’après-midi, le très beau musée Dolores Olmedo avec goûter à la pâtisserie Esperanza La Noria qui fait un délicieux cheese-cake aux figues de Barbarie, le dessert préféré de Frida, mais on y trouve aussi des donuts, si on demande. Entre chaque visite – Jack y tient –, tu passes par des lugares secretos para viajeros inconformistas, sous-entendu des lieux secrets inconnus des autres agences, celles qui accueillent les voyageurs conformistes, enfin tu vois. Pour les fresques de Diego Rivera, il resterait le Palacio Nacional et le Palacio de Bellas Artes à côté du McDonald’s, mais on risque l’overdose. Tu me donneras ton avis. Pour ne rien te cacher, Ludmilla, je n’ai plus la foi. Tu comprends, notre petite agence voulait faire découvrir un autre Mexique à des routards alternatifs, mais on s’est fait rattraper par le surtourisme et on va faire du bullshit trip comme les autres, traduis ça comme tu veux.

– Décidément, tu sais vendre toi, tu donnes vraiment envie. Par hasard, il y a des choses que je devrais savoir sur le Transsibérien ?

– Chaque chose en son temps, Brad. Tu sais Karolyn, je me pose les mêmes questions que toi. Je suis Mexicaine, j’aime ma terre et les miens, je voudrais montrer que c’est autre chose que le pays du guacamole et des cartels, mais je suis gagnée par le syndrome Malinche, l’indienne qui trahit les siens et les livre à Cortés, celle qui traduit et permet la découverte et la mainmise. En plus, avec ma tête de gringa

– Ouh là là, mais vous pensez trop toutes les deux. On est trop petits pour faire la révolution. Surtout, on n’est pas assez nombreux. Il faut trouver une autre forme de résistance, on n’a aucune chance contre le raz-de-marée des instagrameurs. Au fait, tu sais qui est ma référence en résistance ? C’est Diego. Pas Diego Rivera, non, Diego, ton père. Il a toujours résisté à tout, l’argent de Walmart, la méchanceté de ta mère, la violence des dealers, la dépression de son copain Rodrigo, la pauvreté des jours sans poisson, la bêtise des touristes… Même les tempêtes. Il est toujours là, avec sa gentillesse, avec son rire. Je ne dis pas que c’est un modèle à imiter, mais c’est sûrement un exemple qui peut nous inspirer. Regarde les révolutionnaires, je ne suis pas un surdoué en histoire mais tous, à chaque fois, ils s’entretuent, c’est Robespierre qui supprime Danton, Lénine qui supprime Trotski, avec Frida aux premières loges, et Zapata, supprimé par je ne sais plus qui. Il faut trouver une autre voie avec Diego.

– Je suis d’accord. J’aime bien ce que tu dis sur Pap’. C’est vrai en plus. Je l’ai toujours trouvé tellement fort. J’aime vraiment bien ce que tu dis.

Well, son, you really got me now!

– Qu’est-ce qu’elle dit, je n’ai pas la référence ?

– Moi non plus, Brad, mais ça veut dire qu’elle aime vraiment bien ce que tu dis.

Ça alors, c’est Brad qui a parlé ! C’est bien la première fois que je l’entends réfléchir comme ça, se dit Nubecito. Serait-ce déjà les effets du voyage. Ce gamin serait en train de grandir ? J’aime bien ce qu’il dit. C’est vrai qu’il faut qu’ils changent des trucs, en bas, parce qu’ils sont en train de tout détraquer. Alors résister oui, mais comment ? Malheureusement Brad ne donne pas trop le mode d’emploi.

– Allez les jeunes, je vous mets dehors ! C’est votre moment instagram, faites chauffer les smartphones…

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