– Bon, je te raconte mon histoire avec Santiago, mais ne me reproche pas de t’ennuyer si tu trouves ça fade. Au fait, Brad, tu as vu Nubecito récemment ?
– Zut, c’est vrai qu’on l’oublie tout le temps. Diego m’a dit de ne pas m’inquiéter, si je ne sais pas où il est, lui, il sait où je suis. Il te suivra como tu sombrera, comme ton chapeau.
– Tu es sûr d’avoir entendu ça, Brad ? Il n’aurait pas dit plutôt como tu sombra, comme ton ombre.
– Hein ? Ah oui ? C’est ça ! Je devrais savoir, Sol y sombra, c’était mon livre d’espagnol au collège. Avoue aussi que vous êtes compliqués : sol, ce n’est pas le sol, c’est le soleil et ombre, ce n’est pas l’ombre, c’est l’homme… Et-Brad-bada, boum-boum, mais-ne-sombra, bam-bam !
– Ah ah, bravo pour ce petit rap de la sombra ? En attendant, je trouve cette idée d’ombre vraiment intéressante. Tu sais que Stevenson n’a pas écrit que son voyage dans les Cévennes mais aussi The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde. Alors, aurions-nous affaire à un nouveau Docteur Jekyll and Mister Brad ! Tu aurais un double, bad et sombre, que tu évacuerais en l’extériorisant sous forme de nuage pour ne conserver que la meilleure version de toi, glad et solaire ? Non ? Qu’est-ce que tu en dis ?
– Ouh là, doc Lula, Sir Brad, il vous dit parle à mon ombre, ma tête est malade ?
– Euh, désolée, no tengo la réf, enchaîna Ludmilla dans un magnifique fragnol.
En effet, je suis là, pensait Nubecito. Merci de vous inquiéter, j’aurais aimé que l’on m’accorde une existence sommaire et une autonomie relative, mais finalement, peut-être que je ne suis que le dedans exilé de Brad. Après tout, ça ne fait rien, parce qu’on ne dépose pas son ombre comme on pose son sombrero, si je puis me permettre ! Bon, mais là, elle s’éloigne de son sujet la petite Ludmilla. J’attends avec impatience qu’elle raconte son aventure avec Santiago. Les sentiments humains, je les aime en histoire plus qu’en analyse.
– Mince, on est déjà devant le Hard Rock. Bon, ça me laisse dix minutes pour Santiago, c’est assez. Donc, en fin de première, quand toi tu as passé ton bac, tu es parti trois mois en France pour les vacances. Moi je suis restée seule, et un jour j’ai rencontré Santiago à la plage. On a bavardé, mangé des churros, c’était vraiment cool et je voyais bien qu’il ne voulait pas que des churros. Dans ma tête je me disais que je pourrais peut-être sortir avec lui. Pour voir.
– Pour voir ! Mais tu es sérieuse ?
– Oui, voir ce que c’est que d’avoir un amoureux. Alors, je résume, on est sortis ensemble. D’abord il y avait le côté sexe. Même si ce n’était pas ce qui m’intéressait le plus, j’étais curieuse. Tu sais que je n’ai pas eu besoin de You Porn pour faire mon éducation sexuelle. J’avais professeur Purificación à la maison, alors je connais, sodomie, fellation et… comment on dit en français, titty-fuck ?
– Branlette espagnole, dit Brad très fier, pour une fois que je t’apprends un mot.
– Sans blague. Trop drôle. Les Espagnols disent hacer una cubana, faire une cubaine, en Argentine, ils disent faire una turca, une turque et nous ici, on dit faire una rusa, une russe. Tu comprends, c’est toujours une étrangère qui fait des cochonneries avec ses gros seins. On ne peut pas imaginer sa sœur ou sa mère en train de faire la chose. Enfin, si, moi je peux.
– Bon, là tu t’éloignes un peu de ton sujet.
– Ah bon ? Toi qui préfères l’errance au parcours, tu n’aimes pas mes digressions. Tout d’un coup le camino te semble un peu lent et tortueux et tu voudrais une autopista directe. Je t’ai choqué. Allez, c’est vrai, tu as raison. Excuse-moi de parler de façon aussi crue. Tu comprends, je n’ai jamais cherché à effacer mon passé, je ne veux pas raconter ça à la terre entière, mais je ne veux pas non plus gommer toute une partie de ma vie, c’est mon histoire, c’est mon passé, donc c’est moi et oublier, ce serait comme m’amputer.
– D’accord…
– Alors je continue. Donc, je voulais savoir ce que l’on ressent vraiment, parce que pour les hurlements de plaisir de Purificación, je ne suis pas idiote, j’ai vite compris que ça faisait partie de la prestation. Mais en fait, ce qui m’intriguait surtout c’était le sentiment amoureux. Qu’est-ce qu’on ressent quand on est amoureuse ?