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C'est Peu Dire

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Un Reste À Retrouver

8 décembre 2024 7 08 /12 /décembre /2024 03:49

D’accord, on n’a pas les réponses, mais on ne peut pas en rester éternellement à des questions et Nubecito imaginait des scénarios sur la vie après le déferlement. Peut-être qu’Ola va renaître en chatte, ou en nuage même. Et après l’averse ? C’est vrai ça, y a-t-il une vie après l’averse ? Nubecito glissait de la réflexion à la rêverie ; la frontière est ténue, il est vrai. Peut-être que je renaîtrai dans le corps d’une mouette ou d’une vague. Disons par exemple qu’Ola renaît en chatte, est-ce que c’est toujours la même Ola ? Elle est différente, bien sûr, avec ses oreilles pointues et sa queue poilue, mais est-ce qu’elle garde quand même quelque chose de la Ola d’avant ? Je ne sais pas, une allure chaloupée ou une odeur iodée ou quelques souvenirs vagues ? Et puis j’y pense, ça veut dire aussi que quand on naît, en fait, peut-être qu’on re-naît. Et moi, avant d’être nuage, peut-être que j’étais un piroguier maori ou un frangipanier rouge, ça j’aimerais bien parce que j’adore les frangipaniers rouges. Mais peut-être aussi que j’étais méchant ou affreux, une méduse ou un scorpion ou un dépeceur d’enfants. Oh là là, Ola, comme c’est compliqué !

– Salut ‘Pa. Comme j’aime te retrouver. Mon grand marin. Ça fait au moins trois semaines…

– Bonjour ma jolie carangue. Regarde-moi, tu as encore grandi, mais tu as les joues creuses, je sais que tu as mal mangé là-bas.

– Ah, ah, oui c’est vrai, mais je crois que je ne grandis plus. Alors, qu’est-ce que tu voulais me dire de si urgent ?

– Attends, je t’explique tout, mais d’abord, assieds-toi, toi aussi le camaron français. Je vous ai préparé du huachinango a la veracruzana. J’ai gardé les meilleurs vivaneaux, je n’allais pas les laisser aux frères José quand même. Donc voilà le truc. J’ai trouvé Nubecito la nuit dernière, au large, et Ola m’a demandé de le raccompagner chez lui, à Hawaï, mais c’est trop loin pour ma barque alors j’ai pensé que tu trouverais une solution. Il est là et aussi, Olà est morte.

– Mon dieu mais c’est terrible. Ola s’est noyée et Nubecito a survécu au naufrage. C’est son fils ?

– Euh, attends, non. Comment te dire ? Nubecito est un petit nuage et Ola était une vague. Ils se sont rencontrés sur le rivage d’O’ahu.

– …

– Tiens, prends des petites pommes de terre avec ton poisson, ajouta Diego tout en observant Ludmilla qui semblait ne pas le comprendre, ce qui n’arrivait jamais.

– …

– Je sais que ça paraît bizarre, mais j’ai promis et sans toi, je ne pourrai pas tenir ma promesse.

– …

– Pourquoi tu ne dis rien, Ludmilla. Dis-moi quelque chose. Parle à ton père. Ce n’est pas une blague. D’ailleurs, lève la tête.

– …

– Je sais bien que ce petit nuage ne prouve rien. Je sais aussi que les vagues ne parlent pas. Mais Ola, si, j’ai bien entendu. J’ai promis, et ne pas tenir ma promesse me rendrait malheureux jusqu’à la fin de ma vie.

Ludmilla vit une vraie tristesse voiler le regard de son père et ça, ce n’était pas supportable.

– Bon, reprit-elle doucement, je récapitule. Ola la vague est morte, on n’en parle plus. Nubecito, le petit cumulus là-haut, doit retourner à Hawaï et toi, tu ne sais pas comment faire.

À cet instant, Ludmilla se lança. Son cerveau devenait un supercalculateur, ses neurones étaient des hubs ferroviaires, ses synapses, des voies maritimes ou des lignes de bus et des cartes virevoltaient dans son esprit. Après deux ou trois minutes à peine, elle dit sans hésitation :

– D’accord, on va le faire. Puis elle marmonna comme si elle pensait à voix haute : alors il y a bien l’option Phileas Fogg, il suffirait de remonter jusqu’à San Francisco et suivre sa trace, mais le passage par la mer Rouge est vraiment trop dangereux, en plus la traversée de l’Inde en train est un enfer.

– En attendant, moi, je reprendrais bien un peu de poisson à la Veracruz, interrompit Brad.

– Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ? Oui, oui, oui, Brad, tu es génial. Veracruz, bien sûr. Deuxième option. On traverse le Mexique jusqu’à Veracruz, ensuite il y a un cargo qui va jusqu’à Hambourg, je le sais on a eu un client allemand à l’agence qui nous a demandé des informations. Après, il faudra rejoindre Moscou. Pas facile la Russie en ce moment, ton père devrait pouvoir nous aider. Ensuite, le Transsibérien jusqu’à Vladivostok. Incroyable, c’était le dernier cours de ta mère sur le voyage de Cendrars ! Una completa locura ! Cette histoire est une dinguerie, dit-elle dans un français parfait. Après, après, après… Comment rejoindre le Japon, là j’ai un trou, la Corée du Sud, peut-être. Ta mère saura. Il faut appeler tes parents, Brad. Tu vas faire le voyage de ta vie !

– …

– Comme je t’envie !

– …

– Allez, appelle-les !

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