Boris regarda une dernière fois à tribord. Ola était déjà loin. Il entrait dans le port.
En temps normal, il aurait fait la tournée des marchés et des restaurants de La Cruz. Il aurait vendu ses vivaneaux rouges à la Pescadería Altamar, puis une dorade au restaurant la Cevichería et les deux autres à la Peska. C’était son rituel de retour : retour à la terre, retour aux gens, retour aux mots. Il arrivait à l’aube et terminait sa vente vers dix heures. Oui parce qu’il marchandait toujours longuement. En fait, tout le monde savait bien dès le début à quel prix les poissons partiraient, mais c’était l’occasion de bavarder, raconter sa pêche, prendre des nouvelles du monde, de la santé du peso, de celle de Claudia, leur présidente, des résultats du championnat de foot. Un jour Brad (je vous parle de lui dans deux paragraphes) lui avait offert un tee-shirt de l’équipe des Chivas de Guadalajara. Depuis, il en était devenu un fervent supporter, son joueur préféré était Gilberto Sepúlveda Lopez. Pourtant, il ne jouait pas, ne regardait jamais les matchs, il avait d’ailleurs une connaissance limitée des règles. Mais voilà, après deux jours en mer, il aimait parler de tout ça. C’était à chaque fois comme s’il était parti pendant vingt ans. Et tout se terminait toujours par des rires et des pesos.
Oui mais aujourd’hui, il lui fallait faire vite. Alors, sans se poser de questions, il alla directement trouver les frères José (ils avaient curieusement le même prénom). Les acheteurs de Walmart. Diego ne commerçait jamais avec eux parce qu’ils ne marchandaient pas, ne riaient pas et jetaient toujours un ou deux poissons, en disant pescado malo après lui avoir écrasé l’œil. Il leur vendit vite et mal sa pêche.
Maintenant, il lui fallait retrouver Ludmilla. Brad saurait lui dire où elle se trouvait. Brad était blond, riche, paresseux mais gentil, il était doucement amoureux de Ludmilla. Il avait vingt-cinq ans, depuis au moins quatre ans et il était en deuxième année de commerce international depuis, ouh la, au moins cinq ans. Brad était français, fils de diplomate, né à Saint-Cloud et s’appelait Jean-Hugues. Il préférait Brad. Soit.