Des fois, j’ai une idée. Là, dans la tête. Alors l’idée elle vient, elle est là, mais je sais pas d’où elle vient, ça fait bizarre. Vous comprenez. On peut pas dire pareil avec une voiture. Du genre le gars il dit, ben c’est bizarre, j’ai une voiture dans le salon, mais je sais pas d’où elle vient ! Ben non, ça se peut pas, ça serait trop bizarre. Encore que.
Figurez-vous que dimanche dernier, il m’arrive un truc vraiment bizarre. Je sais, je dis souvent bizarre, mais si c’est bizarre, ben c’est bizarre, c’est tout. Donc. Je raconte.
Alors le samedi soir, parce que faut expliquer sinon on comprend pas, avec le René, on sort. On sort et on picole. Bon, je sais pas si c’est bien, si c’est pas bien, mais on sort et on picole pas mal. Et ben samedi dernier, comme d’habitude, on boit des coups et après, on rentre, un peu bourrés. Normal. Le René là, il est vraiment fatigué, alors j’y dis, viens chez moi et quand tu vas mieux tu rentres chez toi. Donc, on s’installe chez moi, c’est vrai on était complètement bourrés, dans le salon, et on commence vite à ronfler.
Bon, on dort, on dort, on dort, là je raconte pas cette partie vu qui se passe rien. Après on se réveille le dimanche matin. Là, qu’est-ce qui se passe ? Un truc bizarre comme j’ai déjà dit. Non, pas de voiture dans le salon. Ça, c’est pas possible vu que de voiture y’en a plus. Elle est partie. Enfin, vous voyez ce que je veux dire, elle est partie avec la voiture. Alors pour la voiture, là je m’en fous vraiment. Toute façon, je sors plus du village. Ça m’intéresse pas. Le monde, il m’intéresse pas. Et les gens pareil. C’est peut-être égoïste de parler comme ça, mais le monde il s’intéresse pas à moi. Alors c’est pour ça, souvent, je suis tout seul. Et des fois, c’est ça que je veux vous dire, j’ai une idée pendant ma solitude.
Des fois, je la rêve. Enfin assez souvent quand même. Et je la vois bien, c’est pas croyable ce qu’on voit bien dans un rêve. Et on se parle, et on s’amuse, et on fait du vélo – tranquille, le gars, il a jamais fait de vélo mais dans son rêve il fait du vélo avec son ex – et on va au cinéma. Moi c’était les westerns mes préférés, elle, c’était les films d’amour, et ça la faisait chialer, bon sang qu’est-ce qu’elle chialait, moi je me marrais. En fait, on allait jamais au cinéma, c’était à la télé qu’on regardait les films, la télé elle était toujours allumée. Elle est pas partie avec, elle a laissé la télé, mais je la regarde plus. Elle est toujours éteinte. Bon je continue. Et donc je la rêve. J’aime bien mes rêves et j’aime bien garder mon rêve longtemps. Je fais semblant de pas me réveiller pour rester dedans. Et puis quand je dois bien me lever alors j’éteins mon rêve et je retourne dans ma solitude. Et ben dimanche matin, le René il est déjà assis dans le canapé, il regarde le mur, moi j’éteins mon rêve et là, paf !, j’ai eu une idée bizarre. Je me dis comme ça, peut-être qu’en ce moment, je suis dans le rêve de quelqu’un. Et je rigole, je me dis, faut vraiment être con pour me foutre dans son rêve. Donc je suis dans son rêve, à l’autre con, et bien sûr, lui aussi, même s’il est pas en recherche d’emploi, comme ils disent, et même s’il est dans sa solitude, il finit par se réveiller. Alors là je deviens quoi moi. C’est ça que je demande. Je deviens quoi si je suis dans son rêve, quand il se réveille.
Vous comprenez ? Je me bidonne et je raconte ça au René, mais lui, il se marre pas, il continue à regarder le mur. Même avec le René, des fois, je suis un peu dans la solitude.