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C'est Peu Dire

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Un Reste À Retrouver

24 octobre 2020 6 24 /10 /octobre /2020 02:34

P

Le P est un R qui a replié une jambe, il est bien planté sur un pied, comme la hampe d’un drapeau. Plutôt pic ou piquet que passant, il ne se perd plus, ne se disperse pas. On peut penser à un pèlerin devenu pantouflard et patient, il ne penche pas vers l’avant et ne pense plus au passé. Petit soldat de plomb en pause qui ne pose pas de problème, ou planton impassible qui fait le pied de grue pour protéger quelque personnage prestigieux.

Le R est toujours en partance, le K progresse en cadence, le P, lui, a trouvé sa place, il a ses repères. C’est un profil sans prétention, un peu plan-plan ; ça peut ne pas plaire à tous. Doit-on pour autant le prendre pour un planqué ? Il est placide, sans passion mais puissant : essayons de comprendre sa pertinence.

C’est important de trouver sa place et pratique de connaître son personnage. Rien n’est plus pénalisant que le caprice et l’absence de plan ; rien n’est moins pardonnable que le parjure. Parfaitement, mais il faut prendre garde aussi au péril de la répétition, quand on n’expérimente plus, quand on n’apprend plus. Dépourvu de personnalité, sans perspective, on reproduit vite une vie prévisible dont on ne peut plus s’échapper, on copie, on plagie des pages qui ne nous appartiennent pas. Partir peut être pénible, progresser peut être épuisant, mais pire encore est l’épreuve de la platitude, le supplice du repos sans répit. On croupit dans la prison des habitudes, déprimé par le poison de la lassitude.

Changer de peau, changer de pays, de personnage, changer de paradigme, de programme, de parti, changer de point de vue, passer la frontière, parler aux étrangers… c’est compliqué, voilà pourtant ce dont on ne peut se passer si l’on veut comprendre un peu plus la complexité de l’expérience humaine.

À observer de près, le P pourrait passer pour un progressiste en période d’introspection, et peut-être prépare-t-il un nouveau départ. Soyons prudents, à trop attendre on prend de mauvais plis impossibles à perdre par la suite. Espérons donc que le P, s’il a trouvé sa place, soit prêt à explorer de nouveaux paysages. Il est des départs précoces, mais les placements peuvent être implacables. On ne répare pas une épave sans espoir. Il faut parfois rompre les liens pour se déprendre de l’emprise des opinions et l’oppression des préjugés.

Pour autant, un point encore est primordial –– les exilés le savent, ils ont payé cher pour l’apprendre –, le déplacement peut être une plaie profonde et pérenne. Rien n’est jamais simple ; ne nous prononçons pas trop promptement. Disons que quand on en a pris le parti, bien sûr, il faut partir, un peu n’importe où. Au bout de la planète, en Patagonie, en Papouasie ou bien tout près, juste là après le pont. Mais partir, ce n’est pas seulement un paquetage et des ampoules aux pieds, c’est aussi un état d’esprit.

Apprendre à passer, apprendre le passage, passer sur les présages pour poser des projets. Le projet du printemps, ce sont les prunes et les poires de l’été ; le projet du poète, c’est une page qui protégera la parole, une page qui prendra le parti des petites choses, disait Ponge.

L’impermanence n’est pas un caprice, pas une puérilité des corps et des pensées ; tout passe, personne n’est dupe et il faut s’y préparer. Le présent est l’impossible pointe du temps, beaucoup moins qu’une plainte, à peine un soupir. Mais le présent n’est pas la présence et voilà le problème qui se pose, celui de la présence. Comment développer une présence pleine, c’est-à-dire comment être proche de soi, proche des autres et du monde ? quelle est la bonne proximité, entre promiscuité et séparation ? quelle est la bonne amplitude, entre disparition et dépendance ? Quelle part de soi perd-on quand on part ? La part qui pèse ? la part qui porte ?

Voilà une pléthore de points d’interrogation. Les philosophes ont du pain sur la planche.

 

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