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C'est Peu Dire

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Un Reste À Retrouver

12 octobre 2020 1 12 /10 /octobre /2020 05:00

O

Au premier abord, il est possible de se laisser embobiner par le O. Couronne royale, soleil prodigue, anneau doré des promis – l’amour pour toujours. Tout cela est formidable, c’est adorable et fort romantique. Le O en impose. Serait-il l’alpha et l’oméga ? l’origine et le tout ? Serait-il la forme de l’absolu ?

Cela semble trop beau pour être honnête. Cette mythologie d’un ordre accompli qui aurait résorbé le chaos ne serait-elle pas plutôt une énorme imposture ? Cette allégorie d’un corps sans organes, exonéré de toute pathologie, insoumis à la mort elle-même, ne serait-elle qu’un extraordinaire bobard forgé par quelques dogmatiques tordus ? Ce zéro occulte, qui pourrait tout parce qu’il n’est rien, ne serait-il autre chose qu’une grotesque comédie géométrique ?

Mon opinion est que cette dévotion est le symptôme d’une névrose collective, la nostalgie de la mort d’avant la vie. Forme totale, le O est le modèle du ghetto théologique. J’y vais fort, mais telle est mon hypothèse personnelle.

Totalement faux, objecteront d’aucuns : bien au contraire, le O symbolise le voyage harmonieux autour du globe, ou mieux, la ronde joyeuse de tous les hommes de bonne volonté, ou encore l’odyssée osée de néo-conquistadors solidaires et écoresponsables ! D’autres diront, observez, c’est la forme d’une bouche qui s’étonne devant les beautés du monde ; oyez, c’est l’adagio mélodieux d’un corps transporté par la volupté ; cet O, c’est l’éloge de l’innocence, c’est l’apothéose.

(Ce qui est formidable avec cet O, c’est qu’il autorise les théories les plus loufoques.)

C’est l’œil du bossu borgne Quasimodo, celui du cyclope Polyphème qui nous observe par le trou de la couche d’ozone ; c’est Pablo, un baron de la drogue (coca, pavot, opium), vu de haut sous son chapeau à Mexico ; c’est la roue de l’infortune d’un cochon d’Inde, obstiné jusqu’à la folie ; c’est la coupe au bol de Francesco, il santo di Assisi, mais si vous connaissez, il Poverello, l’homme qui parlait aux oiseaux ; doublez-le, les O jumeaux se transforment en deux gros, deux énormes roberts, ceux de la bimbo Lolo Ferrari.

Il serait possible de prolonger le catalogue, mais soyons raisonnables. Mon postulat est tout autre. O, c’est l’écho de la mort. Le O, c’est un monde clos, sans aube ni aurore. C’est un roman sans parole et sans mots, juste un O monotone et monocorde, assommé par sa propre sottise. C’est une forteresse égologique qui protège un hologramme contre des fantômes. C’est un océan sans littoral, une société sans utopies, un logis sans porte de sortie, c’est un port sans bateaux. Un port sans bateaux, ce n’est pas seulement idiot, c’est une sorte d’agonie.

À ce propos, je ne peux clore le sujet sans évoquer la chose : O, c’est l’ouroboros, le boa ou cobra qui se mord la queue. Pour certains, cela connote l’autonomie parfaite de l’être qui se féconde et se reproduit lui-même. J’y vois surtout beaucoup d’orgueil et l’ignorance de l’autre ; le vorace serpent est aussi fort arrogant, préférant l’autofellation à tout rapprochement avec son prochain. L’égo idolâtré est omniprésent et autosuffisant, il s’impose avec morgue et se moque de tout le reste, ce fossoyeur du commun, ce pollueur d’émotions.

Il n’est pas d’envol possible pour un ouroboros ; il n’est pas de voyage possible dans un O, pas de repos, pas de commerce, pas de dialogue, juste la course folle d’un astéroïde isolé qui flotte dans un cosmos sans horizon. On ne dort jamais dans un O, on n’en sort jamais.

Je préfère les routes cahoteuses et bornées des Hobos bohèmes ; j’aime les ornières, les obstacles, les fossés, les forêts. Je préfère la poésie des explorateurs, opaque, tortueuse, mais tonique et volubile. Je préfère le soleil des nomades au sommeil des bouddhas.

Alors, adore ton foyer, mais force tes O et honore le dehors.

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