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C'est Peu Dire

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Un Reste À Retrouver

30 septembre 2020 3 30 /09 /septembre /2020 02:32

F

Le F pourrait être un fusil posé sur le fût, une faux ou une faucille. Certains, plus imaginatifs, voient un fâcheux trop bien fagoté, un fat à la figure fermée ou une fleur fanée. D’autres, plus facétieux, distinguent parfaitement un fildefériste efféminé (là, il faut quand même le faire !) ; les moins créatifs voient un fragment de E.

Laissons-là ce florilège de fadaises qui ne valent pas un fifrelin. En mon for intérieur – ou faut-il parler de fantasme ? – je vois une femme d’affaires, une cheffe d’entreprise, à la coiffure efficace (une frange asymétrique, pour être plus spécifique) qui n’a pas de temps pour les fanfreluches et les fioritures ; jamais fatiguée, toujours influente, toujours fascinante, jamais faible, elle me fait face et fonce vers moi. Et moi, tout autant effaré qu’effrayé par cette femme (à la frange déstructurée), me sentant défaillir, je tâche de ne pas m’effondrer. Bref, la lettre F est facile à faire parler, mais difficile à déchiffrer. Comment dépasser ces fantaisies ?

Elle est étrange et familière à la fois et renvoie quelque chose d’effronté et inoffensif. Voilà, elle fusionne les genres et confond les styles : farfelue mais fiable, frontale mais fantasque, inflexible mais différente. (C’est la frange qui fait ça, je crois.) Elle a un côté félin, presque féroce à faire frémir et un côté affable, peut-être même effarouché, comme une femme fatale mais effacée pourtant, ou une fille de joie, forte et fière, mais sans fard ni afféterie. Elle fait front, mais sans passer en force ; elle fanfaronne un peu, mais sans fâcher. (La frange, sans doute !) Sur la face gauche, elle est fermée peut-être mais sans faille, sans faux-fuyants et puis il y a le côté droit, vif et expressif. Froide et fiévreuse à la fois, comme un feu follet bienfaisant. Ne voyez là ni feinte ni fausseté, elle se fiche bien d’offusquer, elle est une effusion sans artifice.

Franchement, j’aime bien la lettre F. J’aime sa fluidité – même si elle est moins fleuve que torrent fougueux –, ses facéties, ses fictions ébouriffantes, sa joyeuse effervescence. Je sais bien que l’on fatigue à se laisser entraîner dans ses farandoles effrénées, mais sa folie est douce et féconde. Oui, je le confesse, j’affectionne la lettre F ; si j’étais une lettre, je la fréquenterais ; enfin, c’est une façon de parler. Elle est moins fade que le E, c’est flagrant, et moins figée que le I, moins conforme que le T, moins falote que le L et moins parfaite que le O. Mais la perfection n’est qu’une fable qui a quelque chose de décisif et funeste, elle réconforte les craintifs que la fête effraie et que la faute affole. Ne confondons pas franchise et fixité, tartufe et fantaisiste. La symétrie et l’uniformité sont sans reflet et parfois fatals. Je préfère le difforme au définitif et l’infidèle à l’infaillible.

In fine, le F est différent, il est différence. Cette différence, ce n’est pas une façade, c’est le flux de la vie qui affleure à même la surface de l’existence. C’est l’enfance fissurée qui refuse les influences néfastes ; c’est le féminin qui réfute les formes officielles ; c’est le profane qui se méfie des impératifs fanatiques et met sa foi dans les hommes et les femmes ; c’est le réfugié, fragile et inventif, qui nous offre un nouvel alphabet – alfabeti dit l’Albanais, alfabeto répond le Portugais.

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