Le surintendant – sous-entendu Saturnin du Toussiny – n’était ni si malentendant ni surendetté du tout (c’était tentant pourtant de le penser), seulement définitivement édenté (sur le devant) ; il vendait du vent à qui voulait et se vantait de pouvoir venter à volonté (et il n’inventait pas, le charlatan, ses ouragans malodorants vous ruinaient le nez, par Satan !).
À la fin du printemps, le surintendant, pas méchant, mais tout en esbroufe, organisa une fête – grosse bouffe, vol-au-vent, anisette et vin blanc, mais pas de schnouff (ou peut-être quelques amphètes, deux boulettes et trois barrettes).
Il invita l’ambassadeur Guillain de Lestouffe, dit « Patapouf », vilain, boudeur, pas très malin (et quel glandeur ! et quel branleur !) ; pignouf de première classe, il ne sortait qu’accompagné d’une de ses pouffes, Ludmila, Svetlana, Iekatarina…, ses « fouffes de l’Est », comme il disait – quelle horreur !
Saturnin convia aussi sa voisine, la divine Ève aux lèvres vert olive (jolie veuve, veule et velue plus que naïve, parfois devine, souvent avinée). Ève Lévi était animée d’une passion innée pour les bons vivants aux mœurs déviantes ; les odeurs malséantes et les couleurs délirantes avivaient ses avides envies de vits à toute heure du jour et de la nuit.
Il invita également la jeune sous-préfète Mimose La Salette-Préloux, ouverte, posée, toujours satisfaite, avec un beau sourire de bergerette – comment dire ? l’invitée parfaite ! Il escomptait bien la séduire et se faire plaisir. (« Ose Mimose et tire-la en levrette », tel était l’élégant code secret de sa fête.)
Il y avait aussi quelques nymphettes sans pudeur, Édith en visite chez Brigitte et Marguerite, une blondinette, qui cohabitent rue de l’Estafette ; des triathlètes cosmopolites sans vie intérieure ; un ermite pas très net, trafiqueur et tripatouilleur ; un exégète à lunettes hâbleur et en faillite ; une femmelette en fureur complètement obsolète et un peu hypocrite ; un accoucheur insolite, helvète, mais honnête ; un spirite compétiteur (surnommé La Triplette : baiseur, banqueteur, baratineur) ; un dépuceleur à talonnettes en fuite ; une starlette antisémite sans demeure fixe. Et puis un proxénète hermaphrodite, un dictateur en voiturette, une carmélite, un vendeur de savonnettes et d’eau bénite, un dompteur de civettes et de bernard-l’ermite, un cénobite manipulateur, un chanteur d’opérette alaouite, un fumeur de cigarettes illicites, un chiite provocateur, des coquettes sybarites en chaleur, des mauviettes, des parasites, des midinettes de bonne humeur et beaucoup de pique-assiettes, mais pas d’agriculteurs.
Il y avait mademoiselle Georgette (concubine du père Lépine et fille adultérine de la mère Antoinette) connue pour sa laideur et son coup de fourchette (les jeux de braguette, de lance-roquette ou de pouët-pouët de son hôte la lassaient vite, elles préféraient les rillettes, les tartiflettes et surtout les paupiettes sauce poulette, mais pas les aubergines ni les courgettes) ; et sœur Bernadette, « une fleur divine, une madone florentine, une capucine aux effluves charmeurs, mais aux épines acérées comme des machettes », disait d’elle le surintendant, poète à ses heures, qui avait bien tenté de lui conter fleurette, mais en vain ; et aussi le docteur Ropine, toujours en goguette, coureur par sa mère et bagarreur par son père, porté sur la bibine et les brunettes, il soignait tout à la chloroquine, même le diabète et les terreurs nocturnes.
Pour l’occasion, le surintendant avait fait venir un trouvère et un troubadour (par souci d’équité ethnique), un jésuite sévère et un bolchevique (pour l’équité éthique), toute l’élite moscovite (pour l’étiquette et les verres de vodka), Patrick Leclerc pour sa plastique et sa petite gueule d’amour, Monique (la quincaillière) pour son esthétique glamour, Miquetanère pour son humour à l’envers et madame Judith Mansour, la conseillère d’orientation (on ne sait pas pourquoi).
Quelle fête les amis ! Vers six heures du matin le surintendant rentra se coucher, seul, mais repu et bien-aise.