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C'est Peu Dire

  • : Les Restes du Banquet
  • : LA PHRASE DU JOUR. Une "minime" quotidienne, modestement absurde, délibérément aléatoire, conceptuellement festive. Depuis octobre 2007
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Un Reste À Retrouver

6 janvier 2019 7 06 /01 /janvier /2019 03:13

Il me regarda dans les yeux, gardant le silence plusieurs longues secondes, puis se lança. « Eh bien figure-toi que le 24 juin 1894, l’anarchiste Sante Geronimo Caserio poignardait le président Sadi Carnot pour venger Ravachol. Attends. Tu sais où ça s’est passé ? Place des Cordeliers ! Ravachol, les Cordeliers, Yvonne, Renaud, Nora, les trois cordes liées ! Ça ne te rappelle rien ? Ça m’amuse beaucoup le petit jeu de ton Odette, le jeu des dates et des coïncidences. Tiens, encore une, écoute : tu m’as remis ton manuscrit le 20 avril 1994, sais-tu ce qui se passait le 20 avril 1894 – outre la naissance future d’Odette ? Non ? Eh bien, je vais te le dire : c’était la première française de la pièce Une Maison de poupée d’Ibsen qui se jouait au Théâtre du Vaudeville à Paris ! Incroyable, non ? Et ce n’est pas tout, en 1927, ce théâtre a été transformé en cinéma et c’est aujourd’hui... le Paramount-Opéra, ton cinéma préféré. Alors, tu crois toujours au hasard ? Attends, ce n’est pas fini… » Je m’attendais à ce qu’il me dise que Kurt Cobain était l’enfant caché de Romain Gary ou que Renaud avait fait sa première communion le jour de la mort de Séraphin.

Mon éditeur n’a touché à rien, il m’a demandé de changer le titre et d’ajouter un épilogue. « Écris-moi un épilogue, genre mode d’emploi, si tu vois ce que je veux dire. Ah, une chose encore, donne-moi un vrai livre la prochaine fois et vas-y doucement avec les guillemets et les parenthèses ! »

 

Une question tenace, complexe et, en un sens, absurde continuait néanmoins de me tarauder. Nora ? Qui était-elle ? L’auteure du récit ou l’héroïne du roman ? La femme que j’avais follement aimée entre novembre 1980 et juin 1981 ou le personnage trouble d’une romance populaire ? En me relisant, je m’étonnais de la discordance entre la Nora de la deuxième partie, tourmentée et empêchée, et celle de la troisième, lumineuse et pétulante. Y aurait-il eu deux Nora, comme il y avait eu deux Odette ? Deux Nora, ou peut-être même une seule, mais fictive ? N’avais-je pas imaginé Nora et sa vie amoureuse (et la mienne par la même occasion) ? N’avais-je pas tout inventé, Odette, Berthe, Nora, Zaïna ?

Il paraît que parfois, l’écrivain finit par se laisser absorber par le monde de ses héros et ne distingue plus le réel de la fiction, il parle à ses amis de ses personnages comme s’ils existaient. Les amis en question pensent toujours que c’est une plaisanterie, ils jouent le jeu et ne se doutent pas qu’il s’agit bien plutôt d’une confusion mentale très grave.

Bon, mais moi, j’ai le sentiment d’être en parfaite santé et puis, j’ai du concret et du tangible avec le mot de rupture de Nora que j’avais gardé. Quand même, je n’aurais pas pu me l’écrire moi-même dans un moment d’égarement. Non, bien sûr que non. Je ne suis pas fou. Peut-être ne sait-on pas quand on est fou, mais quand on ne l’est pas, on le sait d’un savoir certain. Non ?

Le livre, finalement intitulé Signé Nora, devrait sortir avant la fin de l’année. J’espère que Nora le lira.

 

Juillet 1994

 

[Ainsi se termine Signé Nora roman-feuilleton commencé le 28 octobre 2017 sur Les Restes du Banquet. Il aurait pu s’intituler Signé Odette, car tout vient d’elle, véritable « matrice narrative ». J’ajoute que si Odette était le prénom de ma grand-mère, l’analogie s’arrête là ; mon aïeule a eu sept filles, n’était ni mercière ni analphabète et, à ma connaissance, n’a jamais mis les pieds à Beaume-les-Messieurs. Ville que je ne connais pas non plus d’ailleurs, pas plus que Chalon-sur-Saône, Lons ou Montélimar. Enfin, ne cherchez pas, je n’ai jamais aimé ni fréquenté de Nora qui est le fruit sucré de l’imagination d’Odette ; ne cherchez pas, Nora est une pure fiction. (En plus, j’ai changé son prénom.) AS]

 

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