Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

C'est Peu Dire

  • : Les Restes du Banquet
  • : LA PHRASE DU JOUR. Une "minime" quotidienne, modestement absurde, délibérément aléatoire, conceptuellement festive. Depuis octobre 2007
  • Contact

Et Moi

  • AR.NO.SI
  • Philosophe inquiet, poète infidèle, chercheur en écritures. 55° 27' E 20° 53' S

Un Reste À Retrouver

11 novembre 2018 7 11 /11 /novembre /2018 03:08

L’année suivante, en 1992, j’avais refait un petit voyage d’étude.

J’étais allé à Arlay cette fois. J’avais rencontré le comte Renaud de Laguiche, le propriétaire du château, là où Yvonne et Séraphin se seraient rencontrés, autour du fameux vin jaune si l’on suit le récit émouvant d’Odette. Le comte m’avait reçu très courtoisement. On m’avait fait goûter un délicieux vin de paille, « c’est bon contre la dépression, mais ça ne vous concerne pas manifestement, et ça accompagne à merveille une charlotte au chocolat ou un fondant aux noix ».

Mon histoire semblait beaucoup l’amuser, mais ni lui ni son épouse Anne de Vogüé ne se souvenaient de l’épisode du mariage d’Odette, Yvonne et Séraphin. Anne se rappelait bien que son père, Robert-Jean de Vogüé, comptait parmi ses amis, un artiste excentrique et rebelle qui passait souvent au château et qui ressemblait beaucoup au Louis-Gonzague de mon récit. Mais ce « mariage à trois », pour être sincère, elle n’y croyait pas une seconde. « On en aurait parlé, vous en conviendrez aisément, et cela nous aurait marqués car août 1954, figurez-vous, c’était trois mois avant notre propre mariage en novembre – mariage à deux seulement ! Quant à Yvonne, oui, il y avait bien une femme du village qui s’occupait du linge au château et qui s’appelait Yvonne, je m’en souviens bien, elle était enjouée et avenante, mais qu’elle ait eu une aventure avec mon père ou son ami, permettez-moi d’en douter. Mon père était très bon avec ses domestiques, mais c’était une époque, malgré tout, où l’on ne se mélangeait pas. J’ai le sentiment que votre belle histoire est à moitié vraie, à moitié fausse. » Oui, la comtesse avait raison, et voilà ce qui m’ennuyait, j’aurais préféré que tout fût complètement faux.

J’étais retourné également à Château-Chalon, sur les traces de la grange du Père Jacquot. Pas de grange, mais ça, c’était normal, en revanche j’avais bien retrouvé le magasin ATAC évoqué par Odette, mais cela prouvait-il quoi que ce soit ? Nora aurait pu l’avoir ajouté à son récit. Ah, la « matrice narrative » comme elle disait joliment. J’étais entré dans le magasin espérant être ébloui par je ne sais quelle vision. J’y avais acheté une bouteille de vin jaune et un morceau de comté ; effectivement, j’avais vu des caissières tristes et fatiguées (comme celles du Stoc de La Marjorie à Lons dont parlait Odette), mais cela non plus ne prouvait rien. La matrice n’était décidément pas très féconde.

À Chalon-sur-Saône, j’avais rencontré Louis Chavarol, le neveu de Gustave Lebouillu. Il m’avait confirmé l’existence des distilleries Simon Aîné (qui revenaient plusieurs fois dans le récit d’Odette) et m’avait appris qu’elles avaient fermé en 1959. Il se souvenait très bien que son oncle Gustave possédait, dans les années cinquante, un Solex et une Aronde (ça collait donc avec les souvenirs d’Odette), mais n’avait jamais entendu parler de Séraphin Bonito Oliveira. Gustave avait eu une fille, Monique qui était décédée l’année précédente et un fils Jean-Marie qui était à la maison de retraite du Bois Menuse, « bon, c’est qu’il a plus toute sa tête ». J’oubliais la piste Lebouillu, mais je n’abandonnais pas mes recherches sur les distilleries Simon Aîné.

J’avais pu téléphoner au petit-neveu d’Étienne Simon, monsieur Pelletier. Il m’avait confirmé la date de la faillite des distilleries, confirmé aussi que son grand-oncle avait trois filles Odette, Yvonne et Suzanne, mais n’avait aucun souvenir d’un certain Séraphin, de plus (voilà qui était plus contrariant) il n’avait jamais entendu parler d’un Gustave Lebouillu, censé être le proche collaborateur d’Étienne Simon.

C’est à croire que quelqu’un se moquait de moi. Chaque fois qu’un indice me donnait à penser qu’Odette (ou Nora ?) avait tout inventé, je rencontrais quelqu’un qui me prouvait le contraire et inversement, après chaque preuve incontestable de la véracité du récit d’Odette, je tombais sur un fait qui ruinait mes certitudes. Je me demandais si je devais poursuivre mon enquête ; d’ailleurs, cette quête acharnée du vrai ne me ressemblait pas. J’ai toujours placé le style au-dessus de la vérité.

 

Partager cet article

Repost0

commentaires