Un jour, on devait être en avril je pense, nous écoutions Reality de Richard Sanderson, la musique du film La Boum. « Dreams are my reality... », nous accompagnions le disque en chantant. « Mais c’est vraiment trop nul ! » Nora traduisait en direct, cela nous amusait beaucoup : « je t’ai rencontré par surprise, je ne réalisais pas que ma vie changerait pour toujours », puis elle reprenait sa tête sérieuse ce qui me faisait rire davantage encore « je t’ai vu là à la B.U., je ne savais pas que tu comptais pour moi, il y avait quelque chose de magic in the air », tout en chantant elle mimait un slow langoureux. Et moi je ne savais pas qu’elle pouvait être aussi drôle, j’étais plié en deux, j’en avais mal au ventre.
« Je te ferai écouter La Boum de Renaud, tu verras, c’est un autre style : "j’irai plus dans vos boums, elles sont tristes à pleurer, des filles y’en avait qu’douze, pour quatre-vingts poilus, on fait mieux comme partouze, y’a qu’avec les p’tits LU, qu’ça a été l’orgie." » Cela avait bien entendu relancé notre fou-rire. J’avais justement sous la main un demi-paquet de Petits LU, je lui tendais.
« Tiens, Petits LU… » J’étais incapable d’aligner plus de trois mots sans pouffer.
« Don’t call me Petit-LU... »
Je pense que nous n’avons pas pu terminer une seule phrase, ce soir-là, sans éclater de rire. Jamais nous n’avions autant ri.
Puis il fallut se reposer. Nous sommes alors restés un bon moment, à reprendre notre souffle, détendre nos abdominaux, ne plus rien dire, ne plus rien faire, juste laisser la nuit s’installer. Nous étions heureux, dans le sillage joyeux de nos délires.
Alors Nora a mis Bohemian Rhapsody de Queen et a commencé à chanter : « Is this the real life, is this just fantasy... », nous ne riions plus, nous étions assis au pied du lit, côte à côte, sans parler, « ...no escape from reality ». Elle s’est tournée vers moi, sans rien dire, m’offrant simplement son joli sourire ; elle s’est assise sur moi à califourchon et m’a longuement regardé, j’aimais ce regard fixe qui m’avait un peu gêné au début. « Laisse-toi faire », elle nous a déshabillés, j’ai tiré la couette par terre, nous nous sommes allongés dessus, je commençais à la caresser, elle m’a embrassé juste aux coins des lèvres, s’est approchée de mon oreille « ma douceur, j’ai envie », puis elle a pris mon sexe et l’a guidé jusqu’au sien. « Tout doucement, vas-y tout doucement. Viens en moi, ma tendresse. » J’ai pensé, une demi-seconde, que je n’avais pas de préservatif, d’habitude on n’en mettait jamais, puisqu’on n’en avait pas besoin, puis j’ai oublié. Je l’ai pénétrée lentement, longtemps. C’était la première fois.
Nous restions allongés, l’un contre l’autre en bougeant doucement. Elle ne me quittait pas du regard. Jamais je ne l’avais vu me regarder avec une telle intensité, elle respirait fort, elle souriait à peine, je ne lui connaissais pas ce sourire discret, mais je l’aimais aussi, parfois elle retenait sa respiration, se pinçait la lèvre, penchait la tête en arrière et fermait les yeux, puis elle me revenait, nous nous regardions sans rien dire, nous étions juste complètement ensemble. Et puis j’ai senti le plaisir monter en elle, lentement, et sa respiration accélérer, j’ai vu ses pupilles se dilater, je sentais des petites gouttes de sueur perler le long de sa colonne vertébrale, elle frémissait. Elle se cambra, s’agrippa à mes hanches, ouvrit grand la bouche, soupira bruyamment et sourit ; elle ferma les yeux quelques secondes, les rouvrit et me regarda à nouveau, oui, pour jouir avec moi, devant moi, oui, pour moi. Qu’elle était belle ! Puis ç’a été mon tour, « reste en moi, tendresse, je veux te garder » ; j’ai joui aussi, elle m’a senti venir à l’intérieur et a frémi de nouveau.
Pendant tout ce temps, elle ne m’avait pas quitté du regard et avait gardé ce sourire légèrement dessiné. Moi qui étais toujours un peu inquiet de la voir partir dans son monde, qui avais peur qu’elle m’oublie, peur qu’elle ne me revienne pas, je m’étais dit ce jour-là que ma vie était en train de changer pour toujours, que je l’avais trouvée. Elle m’avait accepté au creux de son plaisir, là où se mélangent les souffles.
C’était la première fois que nous faisions l’amour comme cela. Je l’aimais. Oui, je pense que c’était en avril ou tout début mai 1981.