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C'est Peu Dire

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Un Reste À Retrouver

26 août 2018 7 26 /08 /août /2018 02:45

« Bonjour, ma mère m’a dit que tu es un écrivain. »

« En effet, oui. Et toi, quel âge as-tu ? »

« J’ai neuf ans et demi. Moi aussi je voudrais être un écrivain. J’écris déjà des histoires. »

J’essayais de compter pour trouver la date de conception. Neuf ans et demi plus neuf mois, on est fin novembre 1991 – j’ai toujours été nul en calcul – ça fait dix ans un quart. Il faudrait que je convertisse tout en mois. Ça fait juin 1980 ; mais non, impossible, je l’aurais vue enceinte ! Juin 1981, alors ? Mais début juin ou fin juin ? Ah, mais non ça fait mai 1981 ! Non, pas mai, on était encore ensemble !

« Quand je suis chez mon père, c’est pas lui qui me lit des livres, c’est moi qui lui raconte mes histoires et quelquefois, j’arrive à l’endormir. »

« Ah oui, c’est drôle. Et quand auras-tu dix ans ? »

« Ben à mon anniversaire, bien sûr, le jour même, normal. »

Elle avait dit cela très sérieusement, m’avait regardé sévèrement en pinçant les lèvres, je ne comprenais pas, est-ce qu’elle me reprochait quelque chose. Subitement et sans prévenir, elle éclatait de rire. J’essayais d’oublier le problème de date. Je souriais de bon cœur. Elle ressemblait à sa mère, à part les cheveux frisés, le même visage rond et surtout ces yeux tout noirs et si profonds. C’était la première fois que j’approchais d’aussi près une chose comme ça, je veux dire un enfant. La première fois même, je crois, que j’avais une conversation. Je me doutais bien que ça parlait, mais je n’avais pas idée que l’on pouvait dialoguer avec.

« C’est bien d’écrire, parle-moi de ton dernier livre alors. » Tout en disant cela, je me voyais poser cette question et me trouvais complètement ridicule ; ce n’était sûrement pas ce que l’on devait dire à une enfant de dix ans. Je cherchais quelque chose de plus approprié, j’allais lui demander si elle voulait boire un verre de grenadine ou un diabolo menthe, elle avait dû voir le film. Sans m’en laisser le temps, elle enchaînait.

« D’accord, mais en fait, je vais te parler de mon premier livre (parce que, en vérité, j’en ai écrit qu’un seul, mais aussi j’ai neuf ans et demi seulement). Il est pas encore fini. Je te préviens tout de suite, mais toi tu vas comprendre, c’est pas des histoires de princesses que j’écris. »

« Mon livre, il raconte l’histoire de Séraphin. Séraphin c’est un homme qui marche sur la route sans jamais s’arrêter et partout où il passe, il rencontre des gens qui ont des problèmes et lui, il leur fait du bien, mais attention, c’est pas un magicien ou un dieu qui s’est déguisé, c’est juste, moi je dis comme ça, un bricoleur génial, parce qu’il sait tout réparer et il sait toujours trouver une solution à tous les problèmes. À chaque fois, quand il arrive, il répète la même phrase : "Si vous avez un problème, alors moi j’ai une solution et nous allons réparer ça." Tu vois, c’est comme le refrain d’une chanson. Maman elle appelle ça une ritournelle, j’adore le mot. »

« Après, il y a autre chose, à chaque fois avant de repartir (quand il a trouvé la solution et qu’il a réparé), tous les gens du village s’assoient en rond sur la place et Séraphin leur raconte une histoire, toujours. Mais cette histoire, c’est pas n’importe quoi, c’est ce qu’il a fait dans le chapitre d’avant, mais en plus court et en mieux arrangé. Par exemple, je t’explique, dans le premier chapitre c’est un village où dans toutes les familles il y a exactement deux enfants, c’est comme ça, et à chaque fois à Noël, le Père Noël donne un seul vélo à chaque famille, alors évidemment, il y a des bagarres et des vols et même des crimes et des vengeances après. C’est ça justement qui énerve le Père Noël alors il continue à donner un seul vélo pour les punir, normal. Quand Séraphin arrive, c’est une vraie guerre dans le village, alors il réfléchit et au Noël suivant, il fabrique des tandems avec chaque vélo et des bouts des anciens vélos cassés et chaque enfant a alors une place et en plus ils se font des copains. Tu vois, c’est juste un exemple. Le deuxième chapitre, c’est une histoire de pommier qui fait trop d’ombre au voisin, à la fin de l’histoire du pommier (que Séraphin résout, mais je t’explique pas sinon c’est trop long), Séraphin raconte l’histoire du tandem du chapitre Un. Tu comprends ? »

« J’aime bien ma technique parce que comme ça, je raconte deux fois la même histoire, la première fois c’est un entraînement et la deuxième fois je trouve de nouveaux trucs quand même pour pas répéter exactement et arranger. Si tu veux prendre ma technique pour ton prochain livre, je peux te la prêter. »

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