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C'est Peu Dire

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Un Reste À Retrouver

28 mars 2025 5 28 /03 /mars /2025 03:09

Dimanche, deuxième matin

« When we are alone, we are only nearer to the absent (traduction personnelle de moi = Brad) quand on est seul, on est seulement plus près de l’absent. »

Voilà, tous les jours je commencerai par un extrait du Travel de Stevenson, une phrase qui m’a plu et que j’ai comprise. Il y a beaucoup de vocabulaire compliqué, mais (je n’ai lu attentivement que la dédicace) je comprends à peu près l’idée sans avoir besoin de la traduction. Pour être honnête, j’ai parcouru le livre vite fait et pour le moment, ça ne me passionne pas. On est loin de l’aventure de l’Île au trésor et du suspens de Docteur Jekyll et M. Hyde, les autres livres de Stevenson. Bon, si Mam l’a mis au programme de son master, c’est que ça doit être intéressant. Oui mais voilà, est-ce que ce qui est intéressant va obligatoirement m’intéresser ? C’est tout. À demain. Je vais faire un tour.

Si je pouvais parler, commenta Nubecito, je demanderais à mon tour : est-ce que ce qui t’intéresse est obligatoirement intéressant ? Sans vouloir les affliger, je vois quelque chose d’étroit chez les humains, sous prétexte qu’ils sont toujours coincés quelque part derrière leurs deux yeux, ils s’imaginent que tout est affaire de point de vue. Détache-toi de toi, petit homme, et je ne veux pas dire prends de la hauteur parce que là-haut, ce serait encore un point de vue. Je veux dire détache-toi du toi, détache-toi du moi.

Fait marquant de la journée, après le déjeuner, Brad est resté avec Moby à écouter Sam leur raconter son histoire. Sam, en résumé, c’est un geek super intelligent, mais très naïf à qui il n’arrive que des malheurs.

Il me rappelle trop le Docteur Samuel Beckett. Du coup, il faut que je raconte son histoire. Sam a fait des études très poussées dans plein de domaines, mais il est surtout devenu un crack en informatique, un as du codage. À neuf ans, il avait inventé un boitier pour pirater toutes les chaînes de télévision de ses voisins et à treize ans, il avait créé sa première appli, une sorte de réfrigérateur connecté, enfin juste le casier à bières. C’était censé lisser le stockage et rationaliser le réapprovisionnement pour éviter la pénurie. En fait, ça permettait à sa mère de connaître en temps réel la consommation de son alcoolique de mari, pour la modérer. Ça n’a pas empêché sa mort précoce, mais d’un cancer du côlon, à la mère, pas au père ; lui, il est toujours vivant, mais en prison parce qu’il frappait son fils. À 27 ans, Sam part en Corée du Sud avec son ami Oscar, un autre surdoué, mais en traitement d’images, lui. Après deux ans de petits boulots, ils mettent au point un logiciel de fabrication d’album de photos très simple d’usage. Vous envoyez des photos, papier ou fichier, du texte si vous le souhaitez, à l’occasion d’un mariage, anniversaire, voyage, enterrement (ce sera leur plus gros succès commercial) et vous recevez un magnifique objet, un vrai album avec des pages à tourner. Vous pouvez tout faire en ligne (même retoucher des portraits, par exemple grossir légèrement votre témoin de mariage ou vieillir votre belle-mère). Ils étaient persuadés que ce retour à l’album physique au pays de Samsung ferait un carton. Ils ont eu raison. Mais il faut revenir en arrière. Pour démarrer vraiment, il manquait à leur équipe un commercial. C’est là que commence la malheureuse histoire de Sam.

Lors d’une soirée, Sam et Oscar rencontrent Sunny, une Sud-Coréenne. Elle s’occupe de marketing digital dans une boite de microprocesseurs. Ils sympathisent et rapidement parlent business. Sunny écoute d’une oreille et ne paraît pas très intéressée. L’affaire en reste là au grand dam des deux Irlandais qui pensaient avoir trouvé la pièce manquante du puzzle. Sauf que trois jours plus tard, ils tombent à nouveau sur Sunny dans un karaoké, par hasard. Il semble, selon l’avocat de Sam, que ce n’était pas un hasard. Ils passent une bonne soirée, rient beaucoup, boivent un peu et décident de se revoir le lendemain pour un brunch plus tranquille au Lucky Seoul. Là, ils découvrent une autre Sunny. Très impressionnée par leur business plan, elle se dit prête à collaborer et leur faire profiter de sa connaissance du marché et de son carnet d’adresses. Quatre semaines plus tard, ils ont deux investisseurs (trouvés par Sunny) et s’installent tous les trois dans un local (trouvé par Sunny). Les six premiers mois sont difficiles sans être critiques et Sunny, à la grande surprise des deux garçons, accepte un salaire très modeste. En marge de leur association, Sam et Sunny se rapprochent pour finalement tomber très amoureux et faire des projets extra-professionnels. En clair, ils parlent de se marier. Il rencontre même sa famille qui vivait près de Dongducheon-Dong, à une heure et demie de Seoul en train. Après neuf mois à peine, l’affaire décolle. Tout accélère. Ils décident de mieux structurer l’entreprise, de changer de locaux et de démarcher à l’étranger. Les deux garçons partent trois jours à Hanoi où ils ont un contact et Sunny propose d’aller chercher des imprimeurs en Chine pour diminuer le coût de production. Oui mais voilà ! Quand Sam et Oscar rentrent de voyage, Sunny a disparu.

Après la sidération, l’angoisse, la colère, ils consultent un avocat. Une rapide enquête le conduira aux conclusions suivantes. Sunny ne s’appelle pas Sunny, n’est pas Sud-Coréenne, n’a pas de famille à Dongducheon-Dong, l’adresse indiquée est un Airbnb. Sunny est probablement Chinoise et est partie avec leur affaire. Le cas est classique. Il n’y a pratiquement aucune chance de la retrouver ; si on la retrouvait ; il n’y aurait aucun moyen de lui faire un procès ; et si par miracle, un procès avait lieu, aucune chance de le gagner. Compatissant et honnête, l’avocat leur conseilla de sauver ce qui pouvait l’être et d’en rester là.

Le plus incroyable dans l’histoire, c’est que Sam, aujourd’hui encore, pleure son amoureuse et lui invente tout un tas d’excuses, persuadé qu’elle était vraiment amoureuse. Elle serait manipulée par une famille cupide, peut-être même séquestrée par la mafia.

– Mince, c’est l’heure de la connexion et je n’ai pas préparé mon mail.

« Un premier mail collectif, chers tous, Mam, Dad, Diego, Ludmilla et Vera…

Je vais bien. On est en pleine mer, ça ne bouge pas beaucoup. On avance lentement. Franchement, il n’y a rien à voir. Je me suis fait deux bons copains, Moby et Sam. On mange très bien. Ma cabine est petite mais c’est propre et confortable. Nubecito va bien, mon Cher Journal aussi (ahahah).

Voilà, c’est tout, mais watch this space, comme disait toujours le prof de marketing à la fin du cours. »

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