Alors que je me promenais sur le sentier littoral en fin de journée, j’aperçus au loin un homme qui… jouait du parapluie. Je veux dire qu’il tenait son parapluie comme un saxophone et faisait mine d’en jouer. Je trouvais ça amusant mais en m’approchant, je compris qu’il ne faisait pas semblant, le malheureux, il pensait vraiment jouer. Tout à sa musique, il avait la gestuelle et les mimiques d’un saxophoniste, totalement étranger au reste du monde. C’était tout de suite moins amusant. Quelle tristesse, pensai-je, si jeune et déjà l’esprit dérangé. Alors bien sûr, il semblait inoffensif et apaisé, heureux dirais-je même. Enfin quand même, à trente ans à peine… il avait dû rester coincé dans un joli rêve et ne plus jamais revenir parmi nous. En arrivant à son niveau, je fus pris d’une envie de lui témoigner mon amitié et alors que je cherchais un mot ou un geste pour lui faire comprendre que j’étais là, malgré son absence à lui, il ne me vint rien d’autre que l’idée d’esquisser quelques pas de danse sur sa musique de parapluie. Il me sembla qu’il sourit timidement, enfin qu’il appréciait mon geste, mais il est tellement difficile de rentrer dans la tête de ces gens-là. En m’éloignant, je continuai à sautiller en rythme – ce qui ne fut pas très difficile, parce que, par une bizarrerie que je ne m’explique pas, émanaient de son parapluie de vrais sons de saxophone.