Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

C'est Peu Dire

  • : Les Restes du Banquet
  • : LA PHRASE DU JOUR. Une "minime" quotidienne, modestement absurde, délibérément aléatoire, conceptuellement festive. Depuis octobre 2007
  • Contact

Et Moi

  • AR.NO.SI
  • Philosophe inquiet, poète infidèle, chercheur en écritures. 55° 27' E 20° 53' S

Un Reste À Retrouver

30 septembre 2018 7 30 /09 /septembre /2018 03:52

 « Je sais que tu ne me dois rien, c’est même plutôt l’inverse, mais finis-moi ce livre, ça ne devrait pas être très long. Tout est expliqué à l’intérieur ; il y a les enregistrements d’Odette, mes propres enquêtes et mes analyses. Je ne peux pas tout te dire, mais c’est plus qu’important. Fais-le en souvenir de nous, tu comprends. Je ne veux pas une deuxième chance, j’aimerais seulement une belle fin. Une fin plus belle que ce petit mot minable que j’ai jeté dans ta boîte aux lettres. Je pense que ça ne sera pas très difficile à écrire, il suffit de trier et ranger un peu, n’hésite pas à supprimer ce que tu veux. Tout à l’heure, tu disais à Zaïna que tu aimais les fins qui finissent sans finir. C’est quelque chose comme ça que je voudrais pour nous. »

« Tu sais, pour le mot, il faut que je te raconte. J’étais restée toute la nuit devant chez toi avant de le mettre dans ta boîte aux lettres, je le tenais dans ma poche et je regardais ta fenêtre, je te promets, je voyais les heures défiler et je n’arrivais pas à me décider. Vers cinq heures et demie, au lever du jour, je me suis approchée de ta boîte aux lettres, j’hésitais encore, j’attendais un signe qui me guiderait, j’ai même pensé à un moment monter en courant pour réveiller ton corps. Je ne savais pas quoi faire, jamais je n’avais hésité autant dans ma vie ; quand j’avais des choix à faire, il y avait toujours une voix en moi, une voix douce, mais très claire qui me disait ce que je devais faire. Et cette voix se taisait. »

« Et puis un voisin est passé, il m’a fait sursauter en me demandant si je cherchais quelque chose, alors, d’un geste totalement mécanique, j’ai glissé mon mot dans ta boîte aux lettres et je suis partie en courant, complètement paniquée. Mon mot, je le voyais tomber lentement comme un noyé qui coule dans l’océan, un corps qui tombe inexorablement et sans jamais toucher le fond ; cette chute lente et interminable me rendait folle. Excuse-moi de te raconter tout ça. J’aimerais juste que tu nous écrives une autre fin. »

« Je sais bien qu’il ne s’agit pas de nous, je ne suis pas Odette ni Yvonne, sa cousine, ni Berthe, sa tante, mais j’y ai mis un peu de moi quand même, dans cette enquête. Et peut-être un peu de toi. Je ne veux pas une thèse d’anthropologie, d’ailleurs j’ai abandonné l’anthropologie, je veux que tu racontes une histoire. Mais pas une biographie linéaire non plus. J’aimerais un livre court et doux. J’ai lu ton roman, Les Filles en automne, c’est beau, sincère, intelligent, tu as du talent. Écris une belle histoire, pour moi, pour Odette, pour nous. Tu as carte blanche, tu peux trier, j’aimerais que tu n’inventes rien. À la demande d’Odette, j’ai modifié quelques noms, mais l’essentiel est vrai. Encore une chose très importante, signe le livre de ton nom. Je sais, ça paraît contradictoire tout ça, essaie quand même. Ah, il y a aussi le cahier noir d’Émile que je dois encore te donner, je te l’envoie rapidement. »

 

Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai accepté. Au moment de la quitter, je crois que j’aurais aimé la voir rester. Nous nous sommes longuement regardés, j’avais envie de la raccompagner chez elle, enfin, j’avais envie qu’elle ait envie que je la raccompagne. Je ne savais pas ce qu’elle voulait, elle. J’ai espéré qu’elle parle ; je n’ai rien dit. Puis elle m’a pris la main et m’a dit « Odette est morte apaisée, je crois, moi je suis vivante, mais ça ne va pas trop fort, j’ai besoin que tu écrives ce livre, c’est important ». Elle m’a embrassé, sur la joue, à la naissance des lèvres, avec une infinie tendresse. Il me semble que j’ai essayé de retenir sa main. Je crois qu’elle s’est dégagée doucement. Elle m’a fixé, sourcils froncés, lèvres serrées, yeux immobiles ; j’attendais qu’elle sourie. Elle m’a souri. J’allais ouvrir la bouche, je devais parler, il fallait que je lui dise quelque chose, je ne sais pas, reste un peu encore ou quelque chose comme cela, ou bien que je lui propose d’aller voir Les Amants du pont Neuf au Paramount-Opéra. Elle a mis son index sur mes lèvres et a soufflé « chut... ». Puis elle est partie, elle s’est retournée une fois, elle souriait toujours, je crois qu’elle pleurait aussi, je n’en suis pas sûr. Elle a disparu.

Partager cet article

Repost0

commentaires