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C'est Peu Dire

  • : Les Restes du Banquet
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Un Reste À Retrouver

17 février 2018 6 17 /02 /février /2018 03:53

« Bon, Nora veut que je parle de mon passé. Alors. Charles-Marie. Juin 1914, voilà que je suis mariée avec Charles-Marie Bélurier. Eh oui le mariage, c’est comme ça que ça se passait à l’époque. Vous savez, c’était un autre monde. Des fois les gens ils comparent mais rien n’est plus pareil et je rigole bien quand j’entends ceux qui disent c’était mieux avant. »

« Au fait, cette histoire de mariage, ça me rappelle que je vous ai pas encore raconté "notre" mariage. Une idée d’Yvonne bien sûr. C’est elle qui a tout imaginé et c’est notre Séraphin qui a tout réalisé. Moi, j’ai joué mon rôle, je me suis occupée des habits et j’ai décoré la voiture. Alors voilà, je vous raconte ; ça va vous intéresser, je pense ; vous allez voir, je me souviens comme si c’était hier. »

Nora avait laissé à Odette une cassette vierge, elle savait qu’il lui faudrait entendre encore quelques pitreries du trio avant de mettre au jour (selon sa formule) « les sédiments souterrains du drame ». Odette parlait avec beaucoup plus de liberté maintenant, c’était encore très factuel mais ses réflexions sur la mort, l’histoire, le destin laissaient penser à Nora que l’on n’était pas loin d’un point de bascule ; Nora avait le sentiment intime qu’Odette allait commencer à se délivrer des « désordres intestins » qui l’entravaient. (Je continue à retranscrire tels quels les « sentiments intimes » de Nora, pour ne pas alourdir le récit de commentaires de commentaires mais pour tout vous avouer, je commence sérieusement à relativiser ses capacités d’analyse.)

 

« C’était le 21 août 1954, un samedi. En se réveillant, avant même de dire bonjour, Yvonne m’a demandé, "dis donc, Odette, tu es veuve depuis combien de temps ?". Yvonne, elle était comme ça, avant qu’elle parle, on savait pas ce qu’elle allait dire et avant qu’elle fasse quelque chose, on savait pas ce que ça allait être. Et même moi après toutes ces années, je pouvais toujours pas deviner à l’avance. On n’avait pas parlé de Charles-Marie depuis peut-être vingt ou trente ans et elle pensait à lui, justement aujourd’hui. Et moi je devais suivre bien sûr, alors j’ai répondu "demain, ça fera quarante ans", parce que pour mon défunt mari j’avais un peu oublié mais pour les dates, je me rappelais. "Ouf, il était temps !" »

« J’attendais la suite, je la voyais trépigner avec son regard coquin et je savais qu’elle allait m’en sortir une belle. "Odette, tu vas te marier demain." "Me marier. Oui, bien sûr, et avec qui, s’il te plaît ?" J’avais ma petite idée sur la réponse qu’Yvonne allait me faire ; eh bien figurez-vous que c’était encore plus abracadabrant que je croyais. "Avec nous." »

« Vous ne comprenez peut-être pas bien, moi aussi j’ai eu besoin d’une explication. "Nous allons nous marier tous les trois. Séraphin, toi et moi. Mais ensemble. Bon, il faut quand même vérifier si tout le monde est d’accord. Monsieur Séraphin Bonito Oliveira, c’est oui ?" "Oui, je le veux, pour le meilleur et pour le rire." "Madame Odette Grandclément, veuve Bélurier ? … Eh Odette, je te cause." "Ah ça oui, je le veux." "Bien. Et moi Yvonne Mandrillon, fille de Berthe Grandclément ? Ben bien sûr que je le veux, même que c’est mon idée !" »

« Et nous voilà repartis pour un fou-rire. Mais Yvonne était sérieuse et il a fallu s’activer. "Alors comme on manque un peu de temps, on va sauter la mairie, on saute aussi l’église, on va juste faire le voyage de noces, une promenade en voiture ; pour les invités, on verra sur la route. Séraphin, tu t’occupes de trouver une voiture. Odette, il faut deux robes et un costume. Moi je continue à réfléchir." Et nous voilà partis dans les préparatifs de "notre" mariage – un des plus beaux souvenirs de toute mon existence entière. »

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